Interview Thierry Bièvre

j3e – En 2009, Elithis dessinait le premier bâtiment à énergie positive avec la « Tour Elithis ». Quel retour d’expérience en avez-vous reçu ?

Thierry Bièvre – Le retour d’expérience sur la tour Elithis est exceptionnel car nous avons réussi à combiner haute technologie et bio conception de manière très équilibrée, pour accroître les services aux personnes tout en minorant les contraintes sur le coût d’exploitation. On voulait démontrer que l’efficacité énergétique était une question de dosage de très haute technologie et de matière grise. On a souvent l’habitude, pour dépasser les objectifs, de prendre un bâtiment standard et d’y ajouter un arsenal de matériaux et de technologies pour donner une performance supérieure. Souvent on additionne les choses, ce qui peut avoir un intérêt en kWh, mais pas en euros, et même avoir un effet déplorable sur le coût global car on dépense plus en investissements et on multiplie parfois les coûts de maintenance de façon non rentable par rapport aux économies d’énergie.

j3e – Ce chantier a-t-il eu de l’influence sur d’autres chantiers suivants ?
T. B. – Cela nous a amenés à être humbles. Car quand on propose des solutions qui ne sont pas encore opérationnelles sur le marché, il faut être prudent et apporter la qualité de prestation attendue par le maître d’ouvrage et ce à quoi doit répondre le bâtiment. Puis cela nous a permis d’avoir un état d’esprit plus agile. De ne pas travailler par mimétisme comme c’est souvent le cas dans l’ingénierie. C’est-à dire qu’une fois qu’on a trouvé une solution, on la réplique. Cela nous a également permis d’apporter des solutions toujours adaptées au besoin client. Un bâtiment à énergie positive peut avoir une technologie différente, une architecture différente, un bioclimatisme différent en fonction des priorités données par le maître d’ouvrage et du budget alloué. Tout cela nous a amenés à calibrer notre prestation intellectuelle, à être plus créatifs que ce que l’on aurait pu imaginer au départ. Cela nous est profitable aujourd’hui et a entraîné d’autres acteurs du marché à se mettre dans ce sillon-là. Et finalement, c’est toute la filière du bâtiment qui a progressé grâce à cela.

Tours ELITHIS DANUBE - STRASBOURG - X-TU Architects
Tours ELITHIS DANUBE – STRASBOURG – X-TU Architects

j3e – Dans quelle mesure le métier de conseil et études évolue-t-il depuis la création d’Elithis ? Dans quel sens va cette évolution ?
T. B. – Les métiers d’ingénierie et de prestation intellectuelle, qui peuvent être de la programmation, de l’architecture ou du conseil, ont un bel avenir devant eux. Car on est en train de changer de monde. On avait un modèle de construction fondé sur des connaissances fondamentales, sur des acquis, qui faisaient avancer doucement la filière. Puis il y a eu les différents chocs : chocs pétroliers, prise de conscience environnementale, problématique RSE, maintenant la crise économique, qui sont venus bouleverser les habitudes et font qu’on vit aujourd’hui un changement de paradigme qui sera facilité si l’industrie de la prestation intellectuelle se fait éclaireur d’une industrie plus traditionnelle, qu’elle soit de construction ou manufacturière. On est en train d’opérer un changement et c’est cela qui facilite notre expansion et notre vision. Car pour faire muter tout un secteur, il faut avoir une aisance de mouvement dans son outil industriel, ce qui est beaucoup plus compliqué pour des acteurs de type manufacturier ou de construction, qui ont derrière eux des investissements qui sont autant de lest pour opérer des virages à 90 ou 180°. Il y a une inertie liée à l’outil industriel qu’ils ont développé. Or si ces acteurs s’adossent à des prestataires intellectuels de type Elithis, cela leur permettra d’être plus agiles et peut-être même de coopérer avec d’autres manufacturiers, pour que chacun apporte sa valeur ajoutée dans un leadership partagé et non pas chacun dans son silo de manière très monopolistique. En France, on attend que la transition énergétique vienne des énergéticiens, et des grands majors spécialisés. Cela viendra plutôt à mon sens de manière transversale, transdisciplinaire, ce qui permettra à ces industries de survivre au choc. Pour permettre à ces industries de prendre des virages lourds, je prends souvent l’exemple d’un grand navire méthanier qui entre dans un port. Si vous ne lui adjoignez pas un bateau pilote, il ne pourra pas accoster. Pour moi l’industrie de prestation intellectuelle, c’est ce bateau pilote qui peut permettre à tout un secteur d’aborder sereinement les futurs marchés de la transition énergétique.

j3e – Elithis a démarré autour de l’ingénierie des fluides. Comment se traduit par la suite l’intégration de métiers complémentaires ?
T. B. – Cela crée une sorte d’univers au lieu d’une pyramide. En fonction des différents projets, il y a plus ou moins d’attractivité de l’un ou l’autre des pôles. C’est une hiérarchie d’attraction plus que de compétences ou de pouvoir. Cela permet de manière assez simple à chacune des business unit de se développer sans avoir à tirer derrière elles des entreprises qui ne seraient pas alignées sur ces marchés du futur. Ce mode de management, que je qualifie de « sphérique », crée du possible. Chaque métier complémentaire aborde le développement durable, l’économie d’énergie ou le conseil en environnement avec une culture d’entreprise commune mais sans inhibition par les métiers des autres filiales. Une dernière née d’Elithis, dont on va bientôt faire l’annonce, s’appelle Foundation et intègre pour l’ensemble des entités du groupe les métiers du digital. C’est un projet simple. Aujourd’hui, sous l’angle de la productivité, les outils numériques ont permis de faire des progrès importants. Ce sont des outils de connexion avec le marché, d’analyse et de prospective. Nous considérons qu’une conception en building information modeling peut faire émerger des solutions d’intelligence artificielle et de création de valeur beaucoup plus importantes que ce que l’on est capable d’imaginer aujourd’hui. La maquette numérique est un de ces outils, le véhicule de ce business model. Se mettre dans les conditions du virtuel reflète notre ADN de créatifs et d’explorateurs. Cela va nous permettre d’envisager des choses qui auraient coûté très cher de manière plus classique : impression 3D, smart building, assistance aux usagers, etc.

j3e – Quels sont les enjeux sectoriels pour un groupe qui s’est spécialisé dans l’efficacité énergétique et la qualité environnementale ? Comment vous projetez-vous dans l’environnement réglementaire ? Quels sont les principaux sujets pour vous sur 2014-2015 ?T. B. – Ce qui nous intéresse de très près, c’est la rénovation des bâtiments. Qu’elle soit dans le monde industriel ou tertiaire, résidentiel ou fonctionnel. Aujourd’hui, on a un parc bâti qui est considérable en matière de m2. On considère que sur les enjeux environnementaux soulevés par les accords de Kyoto et qu’on a peine à faire émerger aujourd’hui, la prestation intellectuelle peut apporter un bon tiers d’économies sans que soient engagées de dépenses lourdes d’investissement. Ce sont des observations, des remises en cause, de l’accompagnement sociotechnique, un peu de suivi des consommations, une meilleure connaissance des pratiques des usagers

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