Entretien avec Olivier Peraldi, Directeur Général de la FESP

Olivier Peraldi, Directeur Général de la FESP (Fédération du service aux particuliers)

Olivier Peraldi est directeur général d’une fédération professionnelle d’entreprises après avoir passé de nombreuses années en administration centrale et en cabinets ministériels sur les politiques familiales.

Il est membre au titre du Medef des conseils d’administration de la Cnaf et de la Cnsa, et siège à la Conférence nationale de santé. Il est l’auteur, avec François Jeger, de « Solidarité et vieillissement, le défi de la dépendance » (éd. Territoria, 2011), et de « Sauver la sécurité sociale, question de générations » (éd. l’Harmattan, 2013).

Pouvez-vous décrire le groupe « domicile connecté » que vous animez au nom de la Fédération du service aux particuliers (FESP) ?

Le titre exact du groupe de travail est : « services à la personne : 2020-2030, quel domicile connecté ? » C’est d’abord l’intuition que les performances technologiques inédites associées aux actes de la vie quotidienne vont bouleverser à court terme les habitudes des Français dans leur consommation de services à leur domicile, et donc tout à la fois les pratiques professionnelles des intervenants à domicile et le modèle économique du secteur. Les attentes des ménages portent déjà vers plus de réactivité, de qualité et d’accessibilité aux services qui peuvent leur être rendus chez eux. D’autres besoins existent mais ne sont pas encore suffisamment repérés. Faute d’être structurée, l’offre n’est pas à la hauteur des besoins. Enfin, L’émergence des technologies et l’exigence de qualité en progression sont des invitations à penser un modèle économique qui articulera dans un proche avenir une offre globale mettant en jeu une grande diversité de métiers.

Demain, des professionnels du service à la personne continueront de garder un jeune enfant à domicile pendant que les parents travaillent, aideront à faire des devoirs scolaires, apporteront l’aide nécessaire à une personne en situation de handicap ou de perte d’autonomie. Mais, ces interventions intégreront peu ou prou les performances de la connectique et des technologies des objets connectés. Cette nouvelle chaîne de valeurs rapproche nos entreprises historiques telles qu’Acadomia, O2, la Générale des services, Amélis services Groupe Sodexo, Babychou ou Complétude… d’acteurs aussi variés qu’assureurs et assisteurs, organismes de protection sociale, opérateurs de télécommunication, ingénieurs, architectes, concepteurs de solutions domotiques, agrégateurs de services… la liste est longue.

Pouvez-vous préciser qui est la Fédération et la raison pour laquelle elle a décidé de mettre en place ce groupe ? Quels sont les objectifs de vos adhérents ? (Vous êtes des entreprises de services, pourquoi souhaitez-vous travailler sur les enjeux de domicile connecté ?)

La FESP est l’acteur majeur rassemblant les entreprises de services à la personne, mais aussi les résidences services, et un grand nombre de leurs partenaires. Des entreprises incontournables telles qu’Orange, Axa assistance, Europ Assistance, le Crédit Agricole, ou encore GDF-Suez-Cofély-Inéo sont adhérentes de la fédération. D’autres acteurs sont également membres du groupe de travail sur le domicile connecté tels la Caisse des Dépôts, Huawei, Generali, CNP assurance, Le Groupe La Poste, des économistes de l’Essec, de Sciences Po… Le marché du smarthome est particulièrement fragmenté et peine à structurer un écosystème suffisamment robuste pour développer une offre cohérente à la hauteur des besoins. Il ne peut prendre sa véritable dimension économique et sociétale qu’en intégrant les valeurs et le savoir-faire des services à la personne, c’est-à-dire des 1,6 millions de professionnels intervenant au sein des 4,5 millions de ménages ayant recours chaque année à des services à domicile.

Ce rapprochement entre technologies et intervention humaines au domicile est porteur de valeur ajoutée en créant les conditions d’agrégation des services à distance et présentiels. Il en découlera des solutions d’offres globales et facilement adaptables à la diversité des situations de vie et à leurs évolutions qui, aujourd’hui, font largement défaut.

Que viennent chercher auprès des entreprises de services à la personne des acteurs comme Orange, Huawei, GDF-Suez Cofely-Inéo, le Groupe La Poste, Axa assistance…

L’objectif est de faire se rencontrer les mondes trop cloisonnés, avec des producteurs de services à la personne d’un côté, et ceux de la technologie appliquée au domicile et aux personnes de l’autre. Deux mondes qui s’ignorent trop aujourd’hui et réduisent leurs partenariats aux seuls champs de la sécurité du domicile et de la silver économie. Cela est nettement insuffisant et n’est pas à la hauteur du potentiel de développement du secteur. Concrètement, l’attente est de bâtir ensemble les fondamentaux du secteur des services à la personne dans un contexte de domicile connecté pour tous les Français, qu’ils soient en situation de fragilité ou non. Les travaux se termineront en mai 2015 par la publication d’un livre blanc qui sera transmis aux ministères concernés. Ce livre blanc présentera les pistes d’un ou plusieurs modèles économiques souhaitables pour développer une offre qualitative et quantitative en rapport avec des besoins aujourd’hui, non couverts et qui augmentent chaque année.

Quel est le rapport de ce groupe de travail avec tous les enjeux de la « silver économie » ?

En se situant résolument sur un périmètre plus large que le seul champ social et médico-social, le groupe de travail réunit les conditions d’une dynamique économique qui ne repose pas essentiellement sur la capacité de financement des pouvoirs publics. En tant que membre des groupes de travail « silver économie » lancés en 2013 par les ministères de Bercy et des Affaires sociales, la FESP a largement contribué aux réflexions qui ont abouti au contrat de filière « silver économie » qu’elle a bien entendu signé avec les ministres de l’Economie et des Affaires sociales. Pour autant, limiter le champ d’application de la silver économie essentiellement à la dépendance des personnes âgées, est une double erreur. Une erreur économique tout d’abord. Pour attirer les investisseurs durablement, il convient de s’adresser au plus grand nombre de Français et non de réduire le marché par des segmentations limitant artificiellement le potentiel technologique et en contradiction avec les besoins en services à domicile des Français, quelle que soit leur situation. La silver économie, ne peut pas se réduire à une politique publique portant sur le seul champ de la dépendance. Lorsque la situation de perte d’autonomie est avérée, la notion de risque par exemple a disparue et il est trop tard pour pouvoir intéresser les assureurs.

Quels sont les premiers résultats ou constats de ce groupe ?

Tout d’abord que la technologie la plus performante ne remplace pas l’intervention humaine, mais la complète efficacement dès lors qu’elle a été co-construite avec les différents acteurs de la chaine de services mis en œuvre auprès de la personne qui en bénéficie à son domicile. A ce titre chacun comprend l’importance d’établir des passerelles entre les producteurs de services à la personne et les producteurs d’outils technologiques très en amont de leur mise sur le marché.

Ensuite, que si les outils sont plus ou moins adaptés à des besoins particuliers de publics spécifiques, comme c’est le cas par exemple pour la garde à domicile d’un jeune enfant, pour l’accompagnement dématérialisé à la réussite scolaire ou encore pour des personnes dépendantes ou handicapées, la connectique associée au domicile doit pouvoir s’appuyer de façon plus globale sur des process socles présentant des protocoles communs. Cette mutualisation permettra de réduire les coûts, pour les producteurs comme pour les clients. Ainsi par exemple, plutôt que d’avoir à former les intervenants à domicile à un trop grand nombre de solutions technologiques, il sera possible d’établir des contenus de formation professionnelle largement partagés.

Enfin, les membres du groupe constatent que le développement des services à la personne et du domicile connecté dépendra de la capacité du secteur à créer des plateformes d’agrégateurs et de permettre aux entreprises intervenant à domicile de jouer un rôle pivot. Nous savons qu’il y a déjà en cours des évolutions concrètes en termes de modèles économiques. Il est intéressant, par exemple, de constater que dans le cadre du groupe de travail, la grande majorité des membres et cela malgré la diversité des métiers représentés considère que les pouvoirs publics n’ont pas à être au centre de la chaîne de valeur.

De nombreux acteurs se demandent comment se positionner vis-à-vis des plateformes comme Google Nest ou Apple HomeKit. A votre avis, comment va se constituer la chaîne de valeur du domicile connecté ?

Tout l’enjeu en effet est de trouver le modèle évitant la prédominance sans partage d’un type d’acteurs sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Ce questionnement est au centre de nos travaux. Il apparait néanmoins que ce qui constitue la valeur ajoutée des solutions de services à domicile avec connexion repose sur des critères fondamentaux qui sont ceux des producteurs de services à la personne, tels que la capacité de relations interpersonnelles de confiance et récurrente, le respect de l’intimité et de la sphère privée, la discrétion, la compréhension de l’autre. Au moment où s’impose le « Big data » et où chacun s’interroge sur les excès permis par les technologies en matière d’atteinte à la vie privée ou d’usage des données personnelles, nos valeurs apportent ce qui manque aux solutions technologiques toutes faites, aussi globales que désincarnées, voire inquiétantes à terme pour le respect de la personne.

Quelles sont les opportunités à saisir dans le domaine du domicile connecté ?

Elles sont très nombreuses. Elles vont d’une nouvelle répartition des rôles entre acteurs industriels, serviciels et de relations avec la personne, jusqu’à l’émergence de champions français et, un jour nous l’espérons, internationaux. La France dispose d’une multitude de start up technologiques, d’opérateurs technologiques de dimension internationale, de partenaires assurantiels majeurs et encore en attente, et de grands réseaux de services à la personne désormais structurés qui poursuivent leur développement. La première des opportunités est de rapprocher ces acteurs pour établir le modèle intégré d’un immense champ économique encore en friche.

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