Portrait d’entreprise : Codra, Vigie high tech

Eric Oddoux, président de Codra / (c) Codra

Le métier de Codra ? Rendre la vue aux entreprises et aux collectivités. Ses logiciels, sans relâche, pilotent, contrôlent, rendent compte, avertissent. Des milliers de lignes codées qui moulinent, des vigiles, sur les cinq continents, dans les villes, pour que les robinets distribuent toujours de l’eau, dans les usines pour que les chaînes de montage ne s’arrêtent pas inopinément, dans les airs afin que les avions circulent dans le couloir qui leur est assigné. De la haute technologie pour mettre de l’huile dans les rouages et fluidifier la vie, c’est Codra.

En ce jour de mi-août, en Région parisienne, l’été en pente douce a cédé la place à l’automne. La pluie, un café, une conversation qui s’engage, informelle, avec Éric Oddoux, le patron de Codra, spécialiste de l’informatique industrielle. Un aparté, avant le plat principal, qui glisse sur le sport, le cyclisme en particulier, et des mots dans la bouche du manager, qui témoignent, en creux, d’un sens affirmé du challenge et de la compétition. Du haut de ses 37 ans, il vient tout juste d’endosser le costume, gris anthracite ce jour-là, de président, et marche dans les pas de son père, René Oddoux, le cofondateur de l’entreprise en 1986. Un passage de relais en douceur, sans avoir tué le père, d’un point de vue freudien s’entend ! Mais c’est bien le fils qui désormais tient les rênes, une continuité qui rassure les clients et continuera donc à créer de la valeur.

La genèse de l’histoire c’est au CEA (1) qu’il faut la chercher, là où les fondateurs travaillaient à l’époque. Ils conçoivent pour l’institution un logiciel de supervision de boîte à gants, « une enceinte étanche dotée de gants qui permet des manipulations dans une atmosphère particulière et confinée ». C’est l’acte de naissance de Codra et de Panorama, le nom judicieusement donné au logiciel.

(c) JPB
(c) JPB

« Panorama », retouché, amélioré, pour un autre projet d’ingénierie du CEA*, devient Panorama P2, et sa commercialisation peut alors débuter, « pour générer des ressources et continuer à créer ». Le produit devient une réelle plate-forme de collecte, de traitement et de présentation de l’information. Entre 1993 et 2001, jusqu’à son rachat par Codra, c’est Europe Supervision qui commercialise le produit. Développé sur deux décennies, Panorama est devenu un système global d’information, décliné en plusieurs versions, P2, TLM, IT, E2, autant d’outils de supervision et de « reporting » qui pilotent, analysent le bon fonctionnement d’installations industrielles et de services pour tous les secteurs d’activité. Depuis 2002, la diffusion à l’international est assurée depuis le Royaume-Uni par Codra Software Limited. Panorama E2, développé à partir de 2003, « est un logiciel Scada, pour Supervisory Control And Data Acquisition. À ce stade de notre conversation, je témoigne, Éric Oddoux, ingénieur émoulu de l’Université Technologique de Compiègne, naturellement pétri de termes techniques et d’acronymes, fait tous les efforts pour rendre accessible les arcanes de son métier. Je lui en sais gré et essaie d’en rendre compte ! C’est donc « un système de contrôle et d’acquisition de données, qui traite en temps réel un grand nombre de télémesures et contrôle à distance des installations techniques ». Il est en outre « capable de dialoguer avec tous les protocoles et tous les équipements quelle que soit leur origine ». Ce produit fer de lance, adoubé par le CEA et EDF, deux clients historiques, génère 60 % du chiffre d’affaires et « supervise à ce jour 30 000 machines ». Bichonné, Codra y consacre tous les ans entre 1,5 et 2 millions d’euros en R&D « pour couvrir de nouvelles problématiques et s’ouvrir les portes de nouveaux clients ». L’aéroport de Los Angeles, la Snecma, Total ou encore Arcelor Mittal lui font confiance. Bientôt, Panorama aura un petit frère, l’encre des faire-part n’est pas encore sèche, mais on connaît déjà son nom, ce sera Panorama H2, « H », pour « Historian », qui « permettra de calculer des statistiques de fonctionnement des installations ».

(c) JPB
(c) JPB

« La force de Codra, insiste Éric Oddoux, repose sur l’engagement de ses 84 collaborateurs [dont 70 ingénieurs], qui mènent des projets sensationnels, savent sortir des sentiers battus et inventer le mouton à 15 pattes ». L’animal mythique, c’est l’affaire de la division ingénierie informatique qui taille le sur mesure pour répondre à des cahiers des charges spécifiques. Des « challenges techniques » pour les applications les plus pointues. Exemple, la PME fournit l’outil de supervision du projet de Laser Mégajoule, ou LMJ, installé en région Aquitaine. Mené par la Direction des applications militaires du CEA*, c’est un des éléments du programme militaire français destiné à pérenniser la dissuasion nucléaire de la France après l’arrêt définitif des essais nucléaires en conditions réelles.

Les ingénieurs maison pensent « des logiciels capables d’évoluer au gré des besoins des clients sans remettre en cause l’architecture de base, certains de nos contrats en cours vont durer de 10 à 15 ans ». Sur ces périodes et au-delà, la PME doit répondre présent. Indépendante, elle autofinance son développement ; le management est maître à bord et entend le rester. Pour l’heure, cela lui réussit, l’entreprise, sur les cinq dernières années, a généré une hausse de 70 % de son chiffre d’affaires. Mais Éric Oddoux la tête froide sait garder, l’avenir repose sur une subtile équation. Il lui faut « assurer la croissance sans remettre en cause la rentabilité », pour continuer d’innover en complète autonomie avec « des projets attractifs, nos cartons en sont plein, intellectuellement séduisants pour attirer des têtes bien faites ».

Échouer est un verbe inconnu chez Codra. Gagner est un mot du quotidien, tout comme grandir, dans le sens de progresser, « accepter de se planter quelque part », reprendre son souffle et « mettre tout en œuvre pour pousser nos compétences toujours plus loin et trouver LA solution qui satisfera notre client. C’est notre force, elle est connue et reconnue ». Une politique qui consiste aussi à anticiper, l’éditeur de logiciels, membre d’un groupe de travail de l’ANSSI (2), fourbit à ce jour ses armes afin de protéger ses logiciels des méfaits de la cybercriminalité.

Codra, c’est un savoir-faire technologique unique en perpétuel renouvellement, cela est acté. Son management ajoute une brique, « étoffer la force commerciale ». Un nouveau challenge pour une entreprise d’ingénieurs où le commercial, un temps considéré comme une contingence, « un mal nécessaire », va prendre toute la place qui lui revient. Nul doute que Codra, là aussi, saura faire preuve de créativité. Le dernier mot sera pour Félicien Marceau qui avait coutume de dire « du bon sur du bon, ça ne peut donner que du bon ». Du Codra tout craché.

(1) Commissariat à l’énergie atomique
(2) Agence Nationale de sécurité des systèmes d’information

Olivier Durand

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