Interview : Olivier PERALDI, directeur général FESP

J3e a interviewé Olivier Peraldi, Directeur général de la Fédération du Service au Particulier, qui nous parle de son livre blanc dévoilé au Salon des services à la personne il y a quelques jours. Crée en avril 2006, la fédération fait office d’intermédiaire entre les instances étatiques et les acteurs du milieu des services à la personne et oeuvre quotidiennement pour assurer une qualité de service optimale et pour la professionnalisation de ce secteur d’activité.

Vous venez de rédiger un livre blanc, présenté au salon des services à la personne il y a quelques jours. Pouvez-vous en décrire les participants et les circonstances de création ?

Olivier Peraldi – La mutation numérique interroge tous les secteurs économiques. Celui des services à la personne n’y échappe pas. Après la connexion des véhicules et désormais des personnes via les objets connectés, l’avènement en cours du smart grid et des smarts city montre à quel point le mouvement est massif. Il intègrera à terme chaque espace de la vie quotidienne. Le domicile est le prochain terrain de conquête du numérique. Ses atouts sont indéniables. Il constitue un lieu socialement et culturellement cohérent et représente un espace d’expression de besoins pour les personnes qui y vivent. Les besoins actuels sont bien connus. Ils trouvent en grande partie leur réponse dans les offres commerciales des professionnels du service à la personne. Nous pourrions aller plus loin. Les réalités démographique – plus de personnes âgées, un taux de natalité élevé, etc. -, mais aussi les évolutions sociologiques – éclatement familial, taux de travail des femmes, etc. – dynamisent l’expression des besoins. Pour répondre à cette dynamique de marché, les technologies numériques, à côté d’autres leviers de croissance tels qu’une nécessaire flexibilité du marché du travail et une maîtrise du coût de réalisation du service déclaré, invitent à repenser nos métiers et nos modèles économiques.

Ce contexte a incité la fédération que je dirige à poser la question des impacts de cette émergence du numérique dans le foyer auprès des Français, quels que soient leur âge, leur lieu de résidence, leur catégorie sociale ou encore leur niveau de revenus. L’objectif était de comprendre l’évolution de leur besoins en services à domicile et d’évaluer les pistes de développement d’une offre qualitative et quantitative dans un environnement numérique. Cette approche volontairement ouverte à l’ensemble des situations de vie des Français a rassemblé dans une même recherche les entreprises de services à la personne leaders et challengers, des opérateurs de mobile, des assureurs et assisteurs, des groupes de protection sociale, des équipementiers, ainsi bien sûr que des start-ups et des acteurs publics tels que la Caisse des Dépôts et Consignations(CDC) ou encore l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (Anah).

Pourquoi ce livre blanc ?

O.P – Il y a eu une très bonne initiative fin 2013, avec la création de la filière de la silver économie, signée d’ailleurs par la fédération. Mais le compte n’y est plus depuis cette avancée. Tout d’abord, il nous a semblé souffrir d’un affaiblissement de la dynamique impulsée du côté du gouvernement.

Ensuite, le périmètre tel qu’annoncé dans le contrat de filière gouvernemental s’est réduit au fil des mois. Le milieu des services était en effet inquiet d’un certain nombre de dérives potentielles. Malheureusement, nous connaissons aujourd’hui ces dérives. Il y a aujourd’hui une réduction de la cible du contrat de filière silver économie à la seule problématique de l’accompagnement à la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Par ailleurs, l’angle technologique, voire domotique, est omniprésent au détriment d’une approche articulant technologie et intervention humaine auprès de la personne aidée. Enfin, la filière est en train de s’user dans des expérimentations qui n’aboutissent pas à des généralisations, dans le fractionnement du marché et dans les difficultés des collectivités locales à accompagner durablement, voire financer, ces initiatives.

Troisième motif d’inquiétude, la silver économie n’a toujours pas trouvé son marché. A titre d’exemple, 4,5 millions de systèmes de télé-assistance ont été installés en Grande-Bretagne. En France, on en reste à un peu plus de 500 000. Le contrat de filière ne prévoit de générer que 60 000 dispositifs…

Que proposez-vous ?

O.P – On ne peut pas réduire la silver économie à un dispositif réservé aux plus âgés. La moyenne de durée de vie à son domicile d’une personne de 82 ans dépendante est de cinq ans. Que faire au bout de cinq ans des équipements spécifiques à la dépendance installés dans un logement qui accueillera une nouvelle population qui n’a pas les mêmes besoins ? Il faut prévoir des dispositifs modulaires, adaptables, capables d’être redéployés si la personne change de domicile, sinon les retours sur investissement sont trop faibles.

En bref, la silver économie en France s’est positionnée sur le segment numérique, c’est certainement une bonne approche. Mais se concentrer sur la seule situation de la personne ne suffit pas. C’est la limite d’une approche par catégorie de personne. Les services et l’industrie ont vocation à répondre aux besoins de tous. Le critère rassembleur et pérenne est le domicile.

Par ailleurs, le positionnement doit être : « industrie + service », « produit + humain ». C’est là que se trouve la valeur ajoutée. La téléassistance ne constitue plus vraiment une innovation aujourd’hui ; en revanche, c’est en se concentrant sur les usages, actuels et à venir, qu’il est possible d’imaginer, d’innover et de créer une offre dynamique.

Pourquoi insister sur cette dimension de services et d’humain au sein du domicile ?

O.P – Le domicile est un lieu particulier. Ce n’est pas une voiture. Une voiture peut être personnalisée, mais nous conduisons et nous utilisons tous à peu près nos voitures de la même manière. La personne à son domicile a une façon de vivre bien à elle, des besoins spécifiques, des problèmes multiples, qui sont les siens. Une personne dépendante souffre en moyenne de sept pathologies, pas toujours les mêmes d’une personne à une autre.

Comment trouve-t-on ces publics et ces nouveaux usages ?

O.P – Plutôt que de s’intéresser au service une fois que l’on a développé le produit, l’approche d’innovation devrait se faire en symbiose avec les différents utilisateurs des dispositifs, notamment les entreprises de services à la personne. A défaut, les produits souffrent de biais de construction et de conception. Le monde numérique et les services à la personne appellent aujourd’hui à la co-conception, plus encore qu’à la co-construction. Aujourd’hui, les circuits traditionnels de R&D sont trop enfermants : les industriels captent la matière grise des start-ups et ont tendance à les enfermer dans un cadre trop étroit. Ils ne regardent pas suffisamment le reste de la chaine. Du coup, les pouvoirs publics se concentrent sur cette dimension étroite de la recherche et développement.

Nous préférons parler de « solutions de service » davantage que de « produits de service » ; que ceux-ci aient une dimension numérique ou non. Pour ne parler que du seul champ des séniors, il faut revenir à la notion de filière « silver économie » telle qu’elle avait été pensée originellement, c’est-à-dire un contrat de filière pour les 50 ans et plus. Les services à la personne doivent être intégrés davantage en amont, et pas seulement à l’étage de la diffusion des produits. L’objectif est désormais de passer de la co-construction à la co-conception. Enfin, il convient d’inclure la filière de la silver économie dans le domaine plus vaste des services à la personne en univers numérique, afin de développer une offre adaptée aux réalités de différents publics disposant d’un domicile – vous conviendrez aisément que cela fait du monde – en environnement numériques.

 

 

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