Mersen, ou le graphite de la Terre à l’espace !

Luc Themelin, directeur général

Non, le graphite, ne se résume pas à « la mine de crayon » des écoliers ! Fruit de l’énergie des entrailles de la terre, parce que doué de conductibilité, les ingénieurs ont su lui assigner de multiples applications industrielles. Ce minéral constitue la raison d’être du groupe Mersen, leader et expert des spécialités électriques et des matériaux avancés, qui sait en tirer toute la quintessence.

Mersen s’appelait, il y a peu encore, Carbone Lorraine. Une entreprise née de la fusion, en 1937, entre la Compagnie Lorraine de charbons pour l’électricité, fondée en 1891 à Pagny-sur-Moselle pour fabriquer des moteurs électriques et des « charbons » pour l’éclairage électrique, et l’entreprise Le Carbone, créée en 1892, à Gennevilliers en vue de  concevoir des balais pour moteurs électriques.

Carbone Lorraine, ce nom qui fleure bon les mines, le charbon et les terrils, témoignait d’un monde révolu, sans rendre compte de la réalité du groupe, internationalisé et particulièrement innovant. En 2010, l’entreprise, relance les dés et renouvelle son image, «il a fallu se gratter la tête », relate Luc Themelin, président du directoire. Malgré une bonne notoriété en France, « Carbone Lorraine, restait quasiment inconnue à l’étranger, nous devions donc trouver une identité qui fédère toutes nos marques et à laquelle tout le monde pouvait s’identifier ». Mersen, c’est aussi l’acronyme de « Material, Electrical, Research, Sustainable, Energy ». Cinq mots pour résumer l’entreprise de 2016.

En 2014, Mersen, « pour affronter un contexte économique tendu », a revu son organisation autour des pôles « Advanced Materials » et « Electrical Power », et développe ses compétences vers cinq marchés : énergie (solaire, éolienne et conventionnelle), transports (ferroviaire et aéronautique), chimie et pharmacie (équipements graphites résistant aux hautes températures) ; électronique (élaboration de graphites dédiés à la fabrication de semi-conducteurs), et procédés industriels (conception de pièces de graphite destinées à équiper les chaînes de production). Cette position de multi-spécialiste lui a permis de grimper à bord du métro d’Honolulu, du Dreamliner de Boeing ou des télescopes spatiaux d’Airbus Defence and Space, entre autres !

L’entreprise a constamment misé sur l’international, poursuivant la stratégie initiée, il y a fort longtemps, par Le Carbone, présente en Allemagne, aux États-Unis et en Italie, avant la fusion. La France ne représente que 10 % du chiffre d’affaires. L’entreprise taille, depuis des décennies, dans le blanc de la carte. « Les patrons de la boutique, à l’époque, comprenaient qu’il ne fallait pas rester franco-français, ils avaient la volonté d’aller chercher le business et la croissance là où ils étaient, et avant tout le monde si possible, même si parfois cela était au milieu de nulle part !». Le groupe, « actif dans 60 pays », réalise 37 % de son chiffre d’affaires en Amérique du Nord, 34 % en Europe et 24 % en Asie. Une répartition équilibrée qui évite la dépendance d’un marché particulier et peut compenser l’éventuelle baisse de régime d’une région.

(c) Mersen
(c) Mersen

Quel que soit le marché visé, la stratégie est la même : « nous fondre dans le paysage, recruter des collaborateurs locaux, dotés de l’esprit d’entreprendre, à eux d’ouvrir les portes ». Un management décentralisé qui répond « aux besoins de proximité des clients ». L’entreprise dont « 90 % [des sites étrangers] sont managés par des patrons locaux », se veut chinoise en Chine ou brésilienne au Brésil. Et c’est payant, puisque le groupe « fournit 40 % du parc éolien chinois », et affiche au Brésil « une croissance de 12 % de son chiffre d’affaires ». Par ailleurs, un maillage serré de 56 sites industriels « nous permet de concevoir et de produire avec le même niveau de qualité quel que soit le pays ».

Pour chacune de ses applications, Mersen est « challengé par trois ou quatre acteurs », se démarquer est son obsession, « notre avantage concurrentiel passe invariablement par la qualité de nos produits, leurs performances, notre technologie et notre réactivité ». Lors de sa réorganisation, Mersen a intégré une direction de la « technologie de la recherche, de l’innovation et du support business », et douze centres de R&D, positionnés sur trois continents constituent le fer de lance de l’innovation du groupe. Cette direction est dotée d’une feuille de route précise : « anticiper les tendances du marché et s’assurer que tous les moyens sont mis en œuvre pour répondre aux attentes du client ». Ce qui doit permettre à Mersen de lancer ses produits plus rapidement. Le groupe, qui possède des unités de fabrication complexes pour développer des procédés uniques qu’ils ne sont « que deux ou trois dans le monde à maitriser, fabrique 80 % de ses produits sur mesure ».

Mersen, devenu « incontournable », brille sur ses marchés. Les rangs de numéro 1 mondial des équipements anticorrosion en graphite et des fournisseurs de composants passifs pour l’électronique de puissance en témoignent.

De quoi sera fait l’avenir ? Mersen, qui a réalisé 772 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015, projette d’atteindre le milliard d’euros, à court terme. Le groupe a énormément renforcé ses expertises ces dix dernières années, grâce à l’acquisition de 13 entreprises, « le développement futur se fera par petites touches ». Du côté de la recherche, «  nous avons plus de 140 projets innovants dans nos cartons, certains sont susceptibles d’apporter une réelle rupture technologique ». Sur ce point, Mersen, avance avec précaution, « le disruptif implique l’adhésion de nos clients, qui peut être longue à obtenir, car bien souvent c’est leur proposer de nouveaux procédés de fabrication et de nouveaux modèles économiques ».  Traditionnellement, le chiffre d’affaires se concentrera sur trois zones majeures qui représentent déjà 95 % du résultat : l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. L’Afrique, « tant qu’il n’y aura pas d’industrie high tech, nous n’avons pas vocation à y aller ». Certaines zones sont prometteuses, la Turquie notamment, en dépit des aléas géopolitiques, « qui développe ses industries, la chimie, l’aéronautique ». Ou l’Inde, « pour des raisons historiques, les Indiens, ne chercheront pas à s’équiper auprès des chinois et s’ils peuvent trouver une alternative aux produits japonais ils seront preneurs. Dotés d’infrastructures, disons peu flatteuses, le marché est énorme ». Le charbon a de l’avenir !

Olivier Durand

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