Interview – Emmanuel Gravier, président de la FFIE

Emmanuel Gravier

La Fédération française des entreprises de génie électrique et énergétique (FFIE) compte environ 5 000 adhérents de petites, moyennes et grandes entreprises de l’installation électrique, qui représentent un chiffre d’affaires de près de 14 milliards d’euros. L’organisation compte une dizaine de permanents au siège, 90 présidents départementaux et 13 délégués régionaux. Elle est constituée de plusieurs commissions de travail et dispose d’importants relais au sein de la filière et du monde politique.

Quels sont les sujets phares de la FFIE pour l’année à venir ?
E. G. – La FFIE mène une action et une réflexion fortes sur la prospective des métiers de l’installation électrique liée à la révolution des énergies renouvelables, de la numérisation, ou encore du bâtiment connecté. Il s’agit d’une révolution technologique, sociologique, comportementale, qui se manifeste dans tous les lieux de vie et pour laquelle les installateurs électriques ont un rôle majeur à jouer. Le 8 février dernier, la FFIE a d’ailleurs organisé une réunion phare de prospective sur l’ensemble de ces sujets, et portait sur la manière dont les installateurs électriciens, et notamment les patrons des entreprises d’installation, peuvent faire évoluer leurs entreprises dans ce nouveau monde. Nous avons eu une belle réunion il y a un an sur la présentation de la ville intelligente, qui produit sa propre énergie, réfléchit sur son stockage, vectrice de sécurité, de bien-être, le tout lié à l’énergie et à la gestion numérique de l’ensemble des données qui concourent à la vie quotidienne ; nous évoquons la technologie des capteurs, de la transmission et du traitement des données. Tous ces sujets sont largement en cours d’implantation dans tous nos chantiers et nos réalisations. Ce mouvement de révolutions technologiques s’accélère considérablement. En tant qu’installateurs et courroie de transmission très importante entre ce que créent les grands fabricants d’équipements électriques et l’utilisateur final, nous occupons une place centrale dans l’avènement de ces révolutions technologiques. La FFIE est pleinement représentative de tous ces installateurs, petits, moyens et gros, qui travaillent au quotidien sur ces sujets.

Les objets connectés occupent une place de plus en plus importante dans le bâtiment. De quelle manière accompagnez-vous vos adhérents dans cette transition ?
E. G. – Les objets connectés sont des constituants traditionnels de l’électrotechnique du bâtiment, qui deviennent progressivement connectés. En partant du tableau d’abonnés ou du TGBT (tableau général basse tension), des disjoncteurs vont pouvoir émettre de l’information sur leur usure, leur qualité technique et guider la maintenance prédictive. Certaines de ces technologies existent déjà, comme les détecteurs de présence qui communiquent : tout ce que nous installons, mis à part les câbles, considérés comme l’ultra-terminal, migre vers l’IoT. Aujourd’hui, lorsque l’on réalise le siège social d’une grande institution qui en a les moyens – car tous ces équipements sont très onéreux –, ces nouvelles technologies sont potentiellement installables. Nous sommes au début de cette révolution et nous avons à la FFIE un rôle majeur de formation, de référentiel de formation, avec notamment des notions de communication, d’interopérabilité, d’interconnectivité entre tous ces sujets. Il est important de comprendre que ces équipements viennent de constructeurs différents et qu’en tant qu’installateurs, il est de notre rôle de rendre ces solutions interopérables et de s’assurer que tous ces équipements communiquent bien entre eux. En dehors des qualités électrotechniques qu’il faut avoir pour exercer au sein de nos entreprises, il faut aujourd’hui ajouter la notion de télécommunications, de transmission d’informations, qui relève davantage des télécoms que de la distribution énergétique.

Comment les électriciens vivent-ils cette transition numérique, selon vous ?
E. G. – Si le marché était en meilleure santé, avec de moindres soucis financiers, les électriciens seraient ravis de se jeter à pleine force dans ces sujets. Dans les projets de rénovations, nous proposons d’installer ces solutions. Seulement, les rénovations revêtent souvent un fort enjeu financier, qui bloque l’arrivée de ces technologies, pourtant disponibles, et que nous savons aujourd’hui mettre en place. Une autre question est celle de la gestion technique du bâtiment (GTB), qui intègre des notions de supervision et nécessite une forte interopérabilité entre les équipements. Les électriciens sont enthousiastes à l’idée de voir arriver de tels projets. Il faut bien se souvenir que les patrons de nos entreprises sont d’abord techniques, même si une nouvelle génération apparue ces dernières années vient davantage du monde de la gestion. Tout cet écosystème reste très ouvert aux avancées technologiques et chacun veut tirer parti de cet appel d’air technique, qui favorisera bientôt les affaires.

Cette transition numérique s’accompagne de nouveaux outils tels que la maquette numérique. De quelle manière le BIM impacte-t-il le travail quotidien des électriciens ?
E. G. – Le BIM est un exemple parfait de cette transition numérique. D’un côté, les électriciens sont enthousiastes sur les aspects techniques, mais au sujet du BIM, nous attendons que les clients soient prêts et que toute la filière soit mûre. Au sein de la FFIE, nous avons mené un grand travail prospectif sur ce sujet, par l’intermédiaire d’un guide, de communications conjointes avec la FFB (Fédération française du bâtiment) sur l’attention à porter au BIM. À titre d’exemple, j’ai dans mon groupe d’installation électrique 80 chantiers en cours, et seulement deux utilisent le BIM. Ce sujet peine à démarrer, mais lorsqu’il sera réellement lancé, on ne pourra plus l’arrêter.

Comment expliquez-vous cette frilosité générale et ce temps très long de mise en mouvement du BIM ?
E. G. – Cela s’explique de plusieurs manières : les architectes ont peur de perdre certaines de leurs prérogatives, les grands acteurs du BTP comme Vinci ou Spie ont des équipes spécialisées dans la maquette numérique, mais sont prudents, et enfin, les donneurs d’ordres ne sont pas très enthousiastes. Personne ne souhaite lancer l’offensive du BIM. Nous devons nous-mêmes rester prudents, en tant qu’installateurs, car le BIM peut ôter une partie de la valeur ajoutée de notre travail. Si un architecte décide de travailler avec un fabricant en particulier, sans passer par l’installateur, nous risquons de ne devenir que des poseurs. Il est important pour les installateurs que le matériel passe physiquement par leurs stocks, faute de quoi une partie de leur marge risque de disparaître. La digitalisation amène à de l’information, qui peut impacter la logistique, ce qui pourrait représenter pour les installateurs un réel danger. Malgré cela, nous savons qu’un jour la maquette numérique arrivera.

Dans certains pays comme les États-Unis ou l’Allemagne, le BIM est entré dans les pratiques et fonctionne très bien. Que faudrait-il pour que le BIM se développe réellement en France ?
E. G. – Je peux vous citer un autre exemple pour expliquer ce retard à l’allumage, celui de l’installation des bornes électriques en Norvège. Le pays a pris des mesures très fortes quant à l’implantation de bornes de recharge de véhicules électriques. Et grâce à cela, la moitié du parc norvégien de véhicules est électrique. Les Anglo-Saxons ont également été beaucoup plus rapides que nous pour implanter des bornes de recharge de véhicules électriques. Il y a une question culturelle propre à la France. Mais nous y viendrons. Au sein de mon entreprise d’installation, un certain nombre de collaborateurs ont été formés au BIM, pas assez à mon goût. Mais aujourd’hui, ils se retrouvent un peu désœuvrés, car la demande pour ces compétences sur les chantiers ne décolle pas. Et nous intervenons pourtant sur de gros projets. Selon moi, le décollage aura réellement lieu aux alentours de 2020, pas avant.

Quels sont pour vous les grands leviers pour l’avènement du bâtiment intelligent ?
E. G. – Pour que le sujet du bâtiment intelligent accélère, il faut qu’il y ait encore des progrès sur les coûts du matériel installé et sur l’interopérabilité entre les différents équipements. Ces deux sujets seront les vrais enjeux pour notre métier. Mais nous sommes d’ores et déjà dans cette mouvance. Un autre sujet concerne les protocoles de communication. Je pense que les différents constructeurs conserveront leurs protocoles propriétaires, mais l’enjeu sera de les faire communiquer entre eux. Il est important de comprendre que la plupart d’entre eux sont internationaux et que la bataille ne se joue pas en France. Il est impossible de se mettre d’accord entre constructeurs et par pays.

Vous avez signé en décembre la Charte « Bâtiment connecté, bâtiment solidaire et humain » de la Smart Buildings Alliance. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
E. G. – Nous vivons actuellement une période de transition profonde, et la FFIE a pleinement son rôle dans la conduite de ces transformations. En plus des aspects énergétiques, les notions de « solidaire et humain » sont centrales, et incluent notamment la sécurité des personnes et des biens tout comme le confort. Avec le vieillissement de la population, le maintien à domicile est un autre axe de travail très important. Il s’agit d’une révolution technologique, mais aussi sociologique. Le fait d’avoir signé cette convention montre bien notre rôle d’intermédiaires entre les professionnels qui proposent des solutions techniques et le client final. Une de nos forces est de nous positionner sur la chaîne de valeur au moment du conseil et de pouvoir proposer à nos clients des solutions techniques auxquelles nous croyons. C’est par les installateurs que ces technologies inonderont les bâtiments. Encore faut-il que tous nos adhérents soient formés à ces nouveautés. Nous appuyons d’ailleurs le mouvement en réalisant de nombreux cycles de formation et d’informations en régions.

La FFIE participe-t-elle à l’élaboration de la directive européenne de performance énergétique des bâtiments (DPEB), actuellement en négociation ?
E. G. – La FFIE est membre de l’AIE (Association européenne de l’installation électrique). C’est dans le cadre de cette association que nous participons aux discussions. Tous ces sujets sont européens et il faut arrêter de cantonner ces sujets aux frontières de l’Hexagone. Nous sommes actuellement aux balbutiements de cette directive, mais il y a une forte volonté européenne sur ces sujets. Comme toutes les concertations européennes, nous ne sommes pas le seul pays concerné. Il faut dans le même temps calmer les ardeurs des pays nordiques, qui sont très en pointe sur la performance énergétique des bâtiments et qui souhaitent mettre en place des objectifs trop ambitieux pour les pays latins, qui accusent un léger retard. Pourtant, le temps presse ! Les dernières COP ont mis une pression terrible sur les États. Les constructeurs sont tous obnubilés par l’atteinte d’émissions carbone régulées et les objectifs annoncés sont forts. Il ne faut surtout pas penser que ces sujets sont négligeables. C’est assez étonnant, car sur le terrain, les sujets liés au climat avancent à très grands pas, mais le sentiment général est celui d’une période de faux plat. Aujourd’hui, dans toutes les stratégies des grands groupes, le développement durable est intégré.

À titre personnel, vous occupez le poste de président de la FFIE depuis maintenant plus de deux ans. Quelles ont été vos plus grandes satisfactions et fiertés ?
E. G. – Nous avons tout d’abord su mettre en avant les questions de prospective, pour tenter d’imaginer de quelle manière allait évoluer notre profession dans les années à venir. Un autre point qui nous apporte une certaine satisfaction est l’amélioration des relations extérieures de la FFIE. Nous avons su remettre à l’honneur la filière et en valoriser les acteurs. Nous avons également lancé une forte dynamique territoriale, qui a permis d’ancrer nos actions de formation et d’information en régions. Ensuite, nous avons mis en place deux nouvelles commissions de veille technologique, l’une au sujet de la maquette numérique, des objets connectés, et l’autre sur l’énergie avec pour objectif d’améliorer la prise de conscience de nos adhérents sur ces sujets. Nous souhaitons positionner la FFIE dans un rôle de conseil pour ses adhérents, afin de les faire bénéficier pleinement ce ces évolutions technologiques.

Comment voyez-vous évoluer la FFIE dans les cinq années à venir ?
E. G. – Nous souhaitons tout d’abord accélérer l’ensemble des travaux menés ces dernières années tout en faisant évoluer notre organisation en tant que fédération professionnelle. En octobre, une nouvelle échéance d’élections aura lieu à la FFIE, à l’issue de laquelle un grand plan FFIE 2022 sera élaboré. Nous souhaitons augmenter l’intensité et le contenu de nos actions. L’installation électrique a de beaux jours devant elle et se trouve au cœur des transitions que vit aujourd’hui la filière. Nous souhaitons créer une FFIE de conquête, avec une organisation professionnelle agressive et offensive, à la pointe de la transition numérique du métier d’installateur.

Pour finir, J3E consacrera son numéro de mars aux femmes de la filière électrique. Selon vous, comment évolue la place des femmes au sein de la filière ?
E. G. – Le comité de direction de la FFIE est composé de six personnes, dont trois femmes. Notre conseil d’administration compte quant à lui six femmes, contre une seule dans la précédente assemblée. Le sujet avance et c’est essentiel à mes yeux. Les femmes apportent un œil neuf à la profession, et une autre manière de mener les affaires que les hommes. Nous soutenons pleinement cette évolution.

Propos recueillis par Alexandre Arène

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