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Interview de Marcel Torrents, président de Delta Dore, pilote du projet efficacité énergétique de la Nouvelle France industrielle.

Siège social de Delta Dore / (c) Delta Dore

Marcel Torrents, président de Delta Dore / (c) Delta Dore

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

j3eVous êtes président de Delta Dore depuis 2008. Avec le recul de sept ans, quelles évolutions du marché et du métier avez-vous perçues ?
Marcel Torrents – Pendant trois ou quatre ans, peu de choses ont évolué, puis les tablettes, smartphones et autres outils se sont réellement développés avec des applications. Par ailleurs, la technologie de la maison était prête. Les notions de mobilité et d’autonomie ont suscité un vrai engouement, ce qui a généré de nouveaux concurrents. Nous avons vu arriver des techniciens des télécoms, des énergéticiens, puis Google, Apple, Samsung, mais aussi les banques et les compagnies d’assurance… Nous sommes bien dans la vague du numérique et des intermédiations. Les valeurs ajoutées des intermédiaires doivent être reconstruites autrement.
Au départ, nous avions des métiers de base comme l’alarme, la thermique, les moteurs de volets roulants et les commandes d’éclairage. Nous sommes désormais spécialistes en domotique. Aujourd’hui, le champ concurrentiel a complètement changé.
Quand nous avons vu ces évolutions se profiler, nous nous sommes interrogés sur la définition de notre métier et sommes arrivés à la notion de pilotage du confort et des économies d’énergie dans le domaine du bâtiment. Notre cœur d’activité, c’est le pilotage. Nous intégrons aujourd’hui tous les métiers, pour traiter des surfaces de 50 m2 comme un mobile home, ou de 455 000 m2, comme le sports hub de Singapour.


j3e Comment l’arrivée du numérique se traduit-elle ? Quels en sont les enjeux ?
Marcel Torrents – Notre premier enjeu concerne la prise de conscience de notre personnel. Tout en préservant nos choix historiques et notre cœur de métier, nous devons prendre en compte les utilisateurs qui sont devenus, avec le numérique, des interlocuteurs avertis.
Jusqu’en 2013 à peu près, les clients n’avaient pas d’avis propre en discutant avec leur électricien. Les choses ont changé, grâce à Internet, aux start up qui sont de plus en plus nombreuses à s’exprimer dans la presse en matière de domotique. Tout ce foisonnement d’idées vient perturber le marché et impacter le client final qui veut avoir son mot à dire.
Nous partons du principe que l’usage de la domotique se développera si elle est utilisée quotidiennement. Ce qui impliquerait par exemple d’ouvrir sa porte sans utiliser de clé, ou que la lumière ou la télévision s’allument automatiquement,
Voilà la différence entre la domotique d’aujourd’hui et celle d’hier. Les entreprises pilotaient hier des éléments pour les clients sans qu’ils perçoivent forcément l’intérêt de la chose. Il faut aujourd’hui des moyens simples et adaptés, plus personnalisés. À cet égard, nous avons mis en place une interface lisible et maniable, qui utilise des photos des pièces du domicile ou du bureau pour que le client se repère facilement et puisse s’approprier l’outil. Il est ainsi possible, de manière intuitive, d’allumer une lampe à distance, de fermer un volet, ou encore d’activer un radiateur…
Pour des applications plus sophistiquées, les budgets sont plus importants. Elles donnent accès par exemple à un suivi vidéo en temps réel de vos pilotages, à la télécommande unique réunissant tous vos besoins.

Interface Powerbat, développée par Delta Dore / (c) Delta Dore

j3e – Vous êtes très axés sur les R&D. Pouvez-vous en dire plus ?
Marcel Torrents – Nous sommes une ETI familiale, notre objectif est d’investir le plus possible dans notre développement. Les technologies évoluant très rapidement, nous avons besoin de ressources pour rester innovants. Nous souhaitons investir suffisamment pour nous développer et satisfaire ce besoin. Nous sommes par exemple les seuls sur le marché à avoir une offre sur la partie alarme qui garantit votre système en termes de radiofréquence pour une durée de dix ans. Nous avons cherché à faire en sorte que les objets durent, sans changer de batterie. Si l’on considère qu’une maison contient environ 200 objets connectés, il n’est pas réaliste d’imaginer l’obligation pour l’utilisateur de changer les batteries tous les ans, ce n’est pas acceptable.


j3e – Qu’en est-il pour le secteur tertiaire ?
Marcel Torrents – Le tertiaire n’a pas évolué à la vitesse du résidentiel, dont il ne serait pas non plus juste de dire qu’il a réellement explosé. Des acteurs comme Google ou Apple ont suscité une appétence très forte à propos du résidentiel, ce qui réveille un peu plus ce marché.
Le tertiaire évolue plus lentement. Les systèmes de gestion existent depuis plus longtemps. Aujourd’hui, on pilote à distance, on donne des recommandations pour améliorer les performances énergétiques, on affine considérablement les outils.
Nous atteignons un degré de sophistication qui permet d’ajuster les consommations en fonction des zones d’occupation d’un bâtiment, ou plus précisément encore, d’accorder la régulation thermique d’un bureau à l’agenda de son occupant.
Nous ne sommes pas en phase de transformation fondamentale des outils à destination du tertiaire, mais plutôt dans une recherche d’amélioration et d’évolution des systèmes, notamment vers plus de confort, plus de garanties de performances énergétiques.


j3e – Parlons un peu de Confluens. Quel est l’objectif de cette coentreprise qui rassemble aujourd’hui CDVI, Delta Dore, Hager, Legrand, Schneider Electric et Somfy ?
Marcel Torrents – L’objectif de faire travailler ensemble des concurrents est vraiment ambitieux. Nous avons constaté que le marché du bâtiment installé est plus important que le neuf. En France, 350 000 maisons ou appartements sont construits chaque année, pour 35 millions de maisons. Pour développer la domotique, on peut se battre pour les 350 000, mais on peut aussi s’intéresser au marché existant, qui est constitué de types de réseaux variés. Les habitats sont fréquemment équipés par deux ou trois entreprises distinctes, dont les réseaux ne peuvent a priori pas être pilotés simultanément. Un client intéressé par la domotique devrait donc changer toutes ses installations… ou piloter cet ancien système grâce à un nouveau protocole, fourni par Confluens. Ce protocole ne permettra pas tout ce qui est possible avec le protocole intégré dans une application, mais il pourra commander des choses simples. C’est l’écosystème de chacun des constructeurs qui exécutera des ordres précis. La diversité des langages des constructeurs est respectée, tout en faisant comprendre à tous des demandes « basiques ».
Ce procédé permet d’inciter l’utilisateur à équiper plus largement sa maison et ainsi d’augmenter le marché de la domotique.
Or nous connaissons bien la maison. Nous en vivons depuis longtemps. C’est pourquoi nous communiquons maintenant entre nous avec la volonté de faire entrer dans cette discussion tous les acteurs possibles. Nous les invitons à venir s’intégrer à un système, à rejoindre une communauté pour élargir leur champ d’action. C’est une opportunité pour agrandir notre marché.
Le deuxième volet concerne les standards de la maison : standards européens, mondiaux, d’entreprise, dont on observe qu’ils divergent. L’utilisateur final a besoin de pouvoir continuer à développer sa domotique, tout en utilisant et préservant sa base installée précédemment. Jusqu’à maintenant, il était inévitable de changer ses installations pour en incorporer de nouvelles, et bien évidemment peu de clients étaient prêts à de pareilles dépenses.

 » Si on laisse le marché évoluer tout seul, il y a le risque que les acteurs des télécommunications, Google, Apple et Samsung, viennent s’approprier le sujet et décréter de quelle manière ils entendent faire fonctionner le maison. »


j3eVous dites bien que votre démarche consiste à inviter le plus d’acteurs possible à rejoindre la dynamique. Quelles réactions recevez-vous aujourd’hui ?
Marcel Torrents – Les grands confrères nous sollicitent pour pouvoir entrer dans la spécification du système, ainsi que tous ceux qui sont proches : la climatisation, les pompes à chaleur, le conditionnement d’air, les réfrigérateurs, les lampes…


j3e – Est-ce valable également dans le tertiaire ?
Marcel Torrents – Dans le petit tertiaire essentiellement : le grand tertiaire a déjà beaucoup travaillé à la normalisation de ses réseaux. Il y a des processus déjà établis. Les besoins en termes de débit et de sécurité induisent des règles du jeu spécifiques déjà bien établies. Les réseaux de communication sont ouverts. En général, ce sont de vrais standards. Il peut y en avoir par nature d’activité, des réseaux pour l’éclairage, pour les volets roulants, pour les utilités dans le bâtiment. Ce sont des réseaux connus que chacun sait utiliser. En d’autres termes, le travail est déjà fait, l’interopérabilité se fait via un ordinateur, grâce à des programmes puissants.
C’est un de nos points forts : nous ne changeons pas le système du client, nous venons nous intégrer, récolter les informations là où elles sont, les traduire, les utiliser, les compacter, et renvoyer les ordres.
L’approche tertiaire est très intéressante, elle est plus industrielle, plus professionnelle.
Sur le thème de la rénovation, les installateurs et rénovateurs ont un marché à prendre, qui est le plus important en termes de potentiel. Le volume de travail est énorme, en France et dans le monde entier. La démarche conduite par Confluens est, elle aussi, destinée à l’international, réunissant des acteurs d’envergure internationale.


j3e – Au sein du programme Industrie du futur gouvernement, vous êtes en charge du projet Rénovation des bâtiments. En quoi consistent ces plans et ces solutions ? Depuis deux ans, avez-vous vu les choses évoluer ?
Marcel Torrents – Cela a commencé par 34 plans, dits « plans de l’emploi », de la nouvelle France industrielle, lancés par Arnaud Montebourg. Avec Jacques Pestre, directeur général de Point.P, nous avons été réunis car nous sommes concernés tous deux par les thèmes de la rénovation thermique des bâtiments, de la rénovation énergétique des résidences individuelles. À nous deux, nous avons en quelque sorte réuni le passif et l’actif : le négociant et l’industriel. Cette rencontre est pleine de sens dans la mesure où il ne s’agit pas d’isoler ou de piloter mais bien de faire les deux, l’un venant au renfort de l’autre. Si vous êtes trop isolé, vous aurez un problème de ventilation, de température, etc. Si vous n’êtes pas ou trop mal isolé, le pilotage sera assez vain.
Dans le cadre des 34 plans, nous avons fait un certain nombre de recommandations dont la plus visible est sans doute le crédit d’impôt investissement énergétique, qui est de 30 % sur l’investissement réalisé. Il a été fortement simplifié et est testé en septembre 2016. Nous avons également recommandé la création d’un cercle d’industriels : nous nous sommes rendu compte du grand nombre de cloisonnements qui existent dans nos métiers. Si nous voulons atteindre une certaine efficacité, être en mesure d’émettre des propositions réellement pertinentes, nous devons nous réunir. Nous avons aujourd’hui 82 adhérents, nous représentons 27 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France. Nous travaillons sur les nouvelles réglementations bâtiments durables pour 2020, sur le passeport énergétique, sur la partie numérique de la maison et la rénovation.
Aujourd’hui, sous l’impulsion du ministre Emmanuel Macron, un regroupement a été fait en 4 plans : les smart grids, la gestion de l’eau, l’efficacité énergétique des bâtiments et la filière bois. Nous essayons de construire des éléments communs. Par exemple, pour la ville durable, l’empreinte carbone et la consommation des bâtiments doivent être optimisés, nous mettons nos savoir-faire en commun pour réaliser des économies et améliorer le confort… Nous essayons de travailler dans l’esprit de la loi Macron, à savoir apporter des solutions plutôt que des produits.


j3e – Quels sont les défis dans votre domaine ?
Marcel Torrents – Il y a une vraie bonne volonté des industriels et des administrations, qui travaillent avec un esprit ouvert, avec une envie de réussir à avancer. La difficulté récurrente de ce genre d’approche collective se trouve dans les jeux politiques, dans les enjeux de chacun. Il faut parvenir à fédérer suffisamment les énergies pour mobiliser cette machine assez imposante et ce dans le sens de l’efficacité.
Je ne vois pas d’obstacle en soi pour la réalisation de ces objectifs. Dès qu’un but est atteint, qu’une étape est franchie, un cercle vertueux se met en place et tout progresse.
Nous ne défendons pas une idée, un syndicat ou un intérêt particulier.
Nous adoptons une vision et un discours plus sectoriels, avec un enjeu principal de création de business.Nous voudrions faire croître ce marché de 10 %, ce qui correspondrait à 100 000 emplois dans les 2 ou 3 ans qui viennent.

 

 

Aymeric BOURDIN:
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