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Entretien avec Gilles Marty, agence INCA : Lumière is more…

Gilles MARTY, architecte, agence INCA. © DR

Fondateur et directeur de l’agence INCA depuis 1997, Gilles Marty est diplômé de l’Ordre des architectes en France et au Canada. Fort de son expérience d’architecte acquise depuis plus de trente ans, Gilles Marty organise et dirige la conception et la production architecturale de l’agence INCA. Il a orienté et spécialisé l’activité d’INCA dans une démarche d’innovation pour la création de projets d’exception dans des sites hors du commun, porteurs de valeurs et d’identités fortes. Passionné et visionnaire, il cherche à établir de nouveaux liens entre l’architecture, l’Homme, le paysage, l’histoire et le patrimoine. Il élabore les analyses stratégiques de sites et concrétise ses concepts fondateurs dans des projets de mise en valeur, sur la base d’une intelligence des lieux et d’une connaissance pointue des problématiques d’aménagement, d’accueil du public, d’interprétation et de fréquentation. Gilles Marty est par ailleurs enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble et expert international auprès de l’Agence française de développement pour les projets patrimoniaux : patrimoine architectural, paysager, naturel, historiques, culturel.

Dans quel domaine l’agence INCA intervient-elle ?
Je me confronte à des lieux dans lesquels il existe déjà une accumulation variée de couches historiques, culturelles, paysagères. Ils représentent une sorte d’inspiration à la créativité architecturale. Je m’efforce d’intervenir dans une harmonie durable afin d’intégrer nos projets le plus intelligemment possible dans ces sites d’une grande sensibilité historique et naturelle. C’est un équilibre difficile à trouver. Par essence, la lumière y joue un rôle prépondérant. En effet, selon moi, l’origine de l’architecture n’est pas utilitariste, mais spirituelle et symbolique. Il existe, bien avant l’architecture, des lieux qui nous parlent des relations entre l’homme et la nature. Je pense que les grottes ornées constituent les premiers gestes architecturaux. Je suis convaincu qu’il existe un lien direct entre la naissance de l’architecture et la lumière : le fait de descendre sous terre, de peindre des représentations animales ou humaines, de partir à la recherche de l’obscurité pour, d’une certaine manière, mieux appréhender la lumière ou la couleur.

Vous pensez que l’histoire de l’architecture et celle de la lumière sont reliées l’une à l’autre ?
Absolument. Prenons l’exemple d’une cathédrale : c’est un ensemble d’éléments qui diffractent la lumière et évoquent une impression, un sentiment de spiritualité qui est tout à fait médiéval. J’ai beaucoup étudié l’architecture florentine, et notamment Brunelleschi qui a été un précurseur de la Renaissance, où la lumière prend une tout autre valeur : elle met en scène une forme de rationalité architecturale avec une perspective humaniste, contrairement à la lumière moyenâgeuse, dramatique, accentuée des cathédrales. Brunelleschi contrôle la lumière dans un système rationnel, et propose une lumière contemporaine, assez douce, régulière, qui met en scène quelque chose d’autre. Plus tard, la lumière accompagne alors l’architecture, comme à la basilique San Lorenzo à Florence ou à l’église Saint-Jean-Népomucène sur la Zelená Hora (montagne verte) à Ždár nad Sázavou, en République tchèque, conçue par l’architecte Jan Blažej Santini-Aichel. On voit, dans ces exemples, comment la lumière est extrêmement calculée pour créer un effet de dématérialisation de la matière et l’amener petit à petit vers le ciel. Plus on va vers le haut et plus la lumière est abondante. La question est là : comment rendre, dans les plis et replis de la matière mise en scène par la lumière, l’effet ascensionnel. J’ai également travaillé sur la saline royale d’Arc-et-Senans construite par Claude-Nicolas Ledoux : autre époque, autre intention ; l’architecture offre de grandes courbes évoquant la course du soleil, la lumière, la royauté.

Quelle place pensez-vous que la lumière occupe dans l’architecture moderne ?
Depuis toujours, mon architecte de référence est Ludwig Mies van der Rohe, ce Germano-Américain qui a réinventé l’art du gratte-ciel, et dont l’aphorisme less is more est censé résumer une architecture dépouillée et minimaliste. Mais on ne s’intéresse jamais au « more » de cette phrase. Or, tout le travail de réduction, je devrais dire de raréfaction de la matière chez Mies, est un fabuleux processus de simplification de l’architecture pour obtenir de purs effets lumineux qui se développent à la surface des choses, comme le passage d’un nuage dans le ciel qui opacifie complètement la façade d’un immeuble vitré ou au contraire la rend transparente lorsqu’il disparaît. D’une certaine manière, Mies, contrairement à ce que l’on pense, n’est pas un architecte inspiré par les Grecs au sens classique du terme, mais il est purement gothique : il va chercher ces effets lumière dans son architecture. Ces exemples montrent bien en quoi l’histoire de l’architecture est directement liée à l’histoire de la lumière, des premières grottes ornées jusqu’aux œuvres les plus contemporaines. On ne peut pas parler architecture sans parler lumière. Lorsque j’étais plus jeune, je voulais devenir luthier : c’est sans doute pour cette raison que, dans mon travail, je recherche, un accord entre l’architecture et le site.

Ensuite, viennent les formes, les lignes, les géométries, des cadrages, une lumière. Je réduis au minimum la matière du bâtiment à sa plus simple expression – j’ai trop regardé Mies, sans doute ! – pour donner libre cours aux effets lumineux. Plus on complexifie la matière et plus on perd notre objectif premier : créer des bâtiments en accord avec le site, avec le paysage, l’environnement dans lesquels ils s’érigent. Lorsque je cherche à fondre mes bâtiments dans la nature, j’ai à ma disposition une palette infinie de variations colorées de la lumière. Donc, je vais capter cette lumière-là et l’intégrer dans mes bâtiments. Pour y parvenir, je dois me poser les questions suivantes : comment vais-je orienter un bâtiment ? Est-ce que je veux que la toiture dialogue avec le ciel ? Avec une ligne d’horizon ? Quels types de matériaux vais-je utiliser pour un sol si je veux en atténuer la réflexion ? Comment vais-je créer un ensemble de seuils pour apporter l’obscurité ou au contraire la lumière ? Et cette lumière, où vais-je la chercher ? Au sud, au nord ? Il n’est pas possible de tout contrôler et bien souvent, nous découvrons des effets lumineux auxquels nous n’avions pas pensé et qui nous surprennent.

Lourdes. Conception lumière : Sara Castagné (LUMINOcité) © Franck Brouillet

Comment abordez-vous l’éclairage artificiel ?
Je fais confiance aux experts, mais je les choisis en fonction de leur capacité à partager avec moi un sentiment, une atmosphère, ou une vision. Les Canadiens parlent d’« humainerie » ; il faut trouver des gens avec qui parler, échanger, pour comprendre ce que l’un et l’autre souhaitent accomplir. Cette conversation se poursuit tout au long du projet jusqu’à trouver la bonne atmosphère, le bon éclairage, tant en ce qui concerne la lumière à proprement parler que l’objet lumineux tout en gardant en permanence une vision globale. Je pense notamment au site de Lourdes que nous avons réaménagé et sur lequel j’ai travaillé avec la conceptrice lumière Sara Castagné à l’époque agence (LUMINOcité, aujourd’hui directrice de Concepto). Quand tout a été fini, c’est de nuit que nous nous sommes rendu compte que notre projet était réussi. L’architecture est pour moi l’activité humaine par excellence qui permet de créer le passage permanent entre l’immatériel et le matériel. Dans ce processus c’est la lumière qui guide les choses.

J’ai travaillé aussi sur un domaine viticole avec Franck Franjou, concepteur lumière, qui dessine de grandes fresques. Il m’a fait comprendre qu’il pouvait exister une autre approche de la conception lumière. Dans ce domaine, j’ai créé des petits sites de dégustation qui, bien sûr, vont fonctionner la nuit. Franck Franjou a dessiné tout un imaginaire autour de ces éléments architecturaux ; un peu comme si c’était un tableau, ou une scène baroque. Comme si l’on proposait un voyage, un embarquement… Frank Franjou esquisse les grandes intentions de la scène nocturne et, une fois ces tableaux vivants dessinés, on réfléchit ensemble à la façon de les relier, de leur donner du sens dans une vision nocturne grâce à la lumière.

Propos recueillis par Isabelle Arnaud

Isabelle ARNAUD: Rédactrice en chef de la revue Lumières
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