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Patrick Nossent : « Il faut privilégier un numérique utile et qui participe à la transition énergétique »

Comment se décline concrètement votre action en faveur de la performance des bâtiments, des infrastructures et des territoires durables et de la transition énergétique et numérique ?
Patrick Nossent –
Nous travaillons sur l’ensemble des champs du développement durable pour les bâtiments, les infrastructures et les territoires. Parmi les thèmes abordés, nous distinguons notamment la qualité de vie et l’environnement, la performance économique, le management responsable ou encore le numérique responsable. Tout ce que nous faisons est transparent, public et élaboré avec l’ensemble de nos parties prenantes. Dans le détail, le premier volet, lié à la qualité de vie, est défini dans nos référentiels comme englobant les sujets ayant trait à la santé, par exemple la qualité de l’air intérieur, au confort, notamment le confort thermique d’été, le confort acoustique, ou le confort lumineux, le bien-être en général et toutes les fonctionnalités et les services apportés aux occupants des bâtiments. Le deuxième volet concerne l’environnement. Il englobe tous les nouveaux défis sur l’énergie et le bas carbone, le cycle de l’eau, l’économie circulaire, la biodiversité. Le volet performance économique intègre les économies de charge, mais aussi la valeur patrimoniale du bâtiment, qui est un levier important pour faire avancer les différents sujets que nous portons, ou encore l’attractivité des territoires, qui est une thématique essentielle. Le dernier volet concerne le numérique responsable : nous pensons que le numérique est utile dans les transitions, mais pas à n’importe quel prix. Ce n’est donc pas n’importe quel numérique, mais un numérique pour atteindre des objectifs socio-environnementaux, comme l’efficacité énergétique ou l’intensification des usages, mais aussi un numérique qui minimise ses impacts sur la santé, sur l’environnement, sur la vulnérabilité aux cyberattaques et sur la protection des données personnelles. Ce champ est très large et s’applique à la fois aux bâtiments qu’ils soient rénovés ou anciens, aux infrastructures de transports ou de production d’énergie par exemple, et aux quartiers. Cela offre beaucoup de leviers d’action sur le terrain.

Il existe aujourd’hui un nombre important de labels et de certifications pour garantir la qualité du bâtiment, de ses équipements, mais aussi ses niveaux de performance. Ces évaluations reflètent-elles systématiquement la réalité du terrain ?
P. N. –
De plus en plus. Il faut savoir que ces certifications sont relativement récentes. Il y a 20 ans, nous commencions à tester les certifications HQE. Nous avons donc démarré avec des indicateurs de moyens. Les retours d’expériences aidant, nous avons aujourd’hui des méthodes d’évaluation plus performancielles, qui reposent sur des simulations en phase de conception, ou sur des mesures sur le terrain en phase d’exploitation. Nous avons entendu et intégré les reproches, car il est vrai qu’entre les performances théoriques et les performances réelles, il peut y avoir un vrai écart. C’est le cas dans tous les domaines, dans l’automobile par exemple : la consommation affichée est théorique et ne prend pas en compte l’usage qui en est fait ou l’entretien du véhicule. Grâce à nos retours d’expériences, nous avons su faire la part des choses entre la performance intrinsèque du bâtiment, c’est-à-dire la performance potentielle ou nominale, atteignable dans des conditions optimales d’utilisation, et la performance réelle, obtenue dans des conditions d’usages réelles, qui correspond à ce que les utilisateurs attendent et reflète davantage la réalité du terrain. Nous avons beaucoup avancé d’un point de vue méthodologique pour coller le plus possible à la réalité et repenser les modèles de simulation. Pour évaluer les bâtiments, nous avons besoin d’une base qui permette de comparer les bâtiments entre eux selon des scénarios d’utilisation types, et en complément, nous réalisons des scénarios proches de ce que les acteurs déclarent en utilisation future. Lors de la phase d’exploitation, nous comparons ces résultats à la performance réelle pour identifier les pistes d’amélioration. Ce chemin était nécessaire et nous avons beaucoup progressé grâce aux outils de simulation, mais aussi grâce à l’instrumentation des bâtiments, qui permet de connaître les conditions climatiques, mais aussi l’intensité d’usage. Nous sommes adossés à un centre scientifique et nous utilisons des méthodologies novatrices, à la fois sur les simulations et sur la mesure et nous testons régulièrement de nouvelles façons de faire.


« Le bâtiment semble être le problème, mais je préfère dire que c’est la solution : la marge de progrès est considérable et les solutions techniques existent pour réduire son impact et réussir sa transition énergétique et numérique. »


Pouvez-vous nous expliquer le processus de certification ?
P. N. –
Pour commencer, nous fabriquons nous-mêmes nos référentiels. Beaucoup de certificateurs suivent des normes existantes. Comme nous sommes sur des sujets innovants et émergents, c’est à nous d’effectuer ce travail. Bien sûr, nous nous reposons sur les normes existantes, mais sur beaucoup de sujets il n’y a pas encore de consensus international. Dans ce cas, nous créons un consensus avec l’ensemble des parties prenantes. Il y a donc tout un travail de définition des thématiques qui sont importantes à prendre en compte, des niveaux de performance attendus et possibles et des indicateurs qui vont être les plus utiles pour s’approcher de la performance effective. Une fois que les référentiels sont au point et qu’ils ont été testés et approuvés, nous passons à la phase de certification. La certification est une démarche volontaire et découle toujours d’un engagement des acteurs, qu’il s’agisse du maître d’ouvrage, de l’utilisateur, ou de l’investisseur qui souhaite valoriser la performance de son bâtiment ou de son parc de bâtiments. Cet acteur doit s’entourer des équipes compétentes et organiser son opération pour atteindre le niveau de performance. Notre rôle est de venir attester, à certains moments clés, que la performance est bien obtenue. Nous intervenons au moment de l’engagement, où nous nous assurons que les engagements pris sont compatibles avec le contexte de l’opération et qu’ils sont significativement supérieurs à la pratique courante, sans quoi il n’est pas utile de certifier. Nous intervenons ensuite au stade de la conception. Nous vérifions que les solutions architecturales et techniques, si elles sont correctement mises en œuvre, vont bien permettre d’atteindre les niveaux de performance. Ensuite, nous intervenons en fin de réalisation lorsque l’ouvrage est construit. À partir d’un certain nombre d’essais et de mesures, notre rôle est de nous assurer que les solutions ont bien été mises en œuvre et que, si le bâtiment est correctement utilisé, cela permettra d’atteindre les niveaux de performance escomptés. Enfin, en exploitation, nous mesurons tous les ans que les performances attendues sont bien atteintes. Si elles ne le sont pas, un plan d’action d’amélioration est mis en place pour que la performance soit obtenue. Si la performance est obtenue, il faut tout de même un plan d’action d’amélioration pour tenter d’aller plus loin dans la performance. La certification accompagne les acteurs, ce n’est pas un couperet qui tombe, mais une réelle démarche d’amélioration co-construite. Le fait que nous intervenions très tôt et à différentes phases de la construction du bâtiment permet aussi d’améliorer la performance à coût limité. Plus on intervient tard pour corriger la performance, plus ce sera coûteux. Plus on intervient tôt, plus il est possible d’atteindre la performance à moindre coût. D’autre part, nous intervenons en tierce partie, c’est-à-dire que nous ne sommes pas directement partie prenante de la conception ou de la réalisation du bâtiment. L’attestation que nous délivrons est donc crédible vis-à-vis de tiers, qu’il s’agisse d’utilisateurs, d’investisseurs, ou encore des marchés si la société est cotée en Bourse. Nos certifications prévoient des seuils minimums avec des incontournables, pour éviter les contre-références, et des échelles de performance pour donner de la transparence à cette démarche d’amélioration continue.

Quelle est selon vous la place du bâtiment dans le contexte de transition énergétique et numérique que nous vivons aujourd’hui ?
P. N. –
Elle est considérable ! La consommation énergétique des bâtiments représente 43 % des consommations nationales. Il s’agit donc du premier poste de consommation d’énergie en France. Le bâtiment c’est aussi 25 % des émissions de CO2, car une partie de l’énergie utilisée dans les bâtiments est décarbonée. Mais si l’on considère la ville dans son ensemble, avec notamment les transports, on arrive à des niveaux impressionnants. Le point central de la question des consommations est lié aux modes de vie. Ce n’est pas le bâtiment qui consomme, mais les gens qui l’utilisent. Ce secteur a énormément d’impact. Le bâtiment semble être le problème, mais je préfère dire que c’est la solution : la marge de progrès est considérable et les solutions techniques existent pour réduire l’impact du bâtiment. Nous savons faire des bâtiments à énergie positive, bas carbone, sains, confortables, respectueux de l’environnement, mettre de la biodiversité sur les façades, sur les toitures et sur les terrains… Il existe tout un panel de solutions. La question aujourd’hui est celle du déploiement. Nous sommes responsables des solutions à mettre en œuvre pour améliorer la situation.

Les politiques publiques de réduction des consommations d’énergie dans le bâtiment portent-elles leurs fruits, selon vous ?
P. N. –
Beaucoup de progrès ont été faits, essentiellement sur les bâtiments neufs et sur leurs consommations énergétiques. Les bâtiments anciens et les sujets liés au carbone, à la biodiversité et aux déchets ont été un peu laissés pour compte. Pourtant, les bâtiments neufs ne représentent que 1 à 2 % du parc. À ce rythme, la transition environnementale va s’effectuer à très faible vitesse. Je salue en revanche le décret tertiaire, attendu depuis 10 ans, ainsi que le plan de rénovation énergétique des bâtiments prévus dans le cadre de France Relance, qui va dans le bon sens, car ils s’intéressent tous les deux au parc existant.

Comment changer d’échelle ?
P. N. –
Il faut pour cela une impulsion forte de la sphère publique, avec un État et des collectivités locales exemplaires et des subventions pour les acteurs désireux d’agir. Beaucoup d’acteurs ont sauté le pas via des démarches volontaires, mais d’autres n’en sont pas à ce stade. La certification est donc aussi un outil d’accompagnement des politiques publiques et les démarches volontaires ouvrent la voie à des politiques plus ambitieuses.

Le label R2S notamment, comme d’autres portés par la SBA, permettent de créer un cadre à l’arrivée du numérique dans le bâtiment. En quoi la création d’un standard est-elle nécessaire au développement du Smart Building ?
P. N. –
Les standards offrent la possibilité au plus grand nombre de participer. Sans standard, ce sont les plus gros acteurs qui imposent leurs façons de faire à l’ensemble du marché. L’idée est de faire du bâtiment une plateforme de services. Pour permettre l’innovation, nous avons identifié trois couches qui doivent être indépendantes et interopérables : le réseau, les équipements et les services. Cette vision commune accélère l’innovation en créant une émulation. Elle permet de faire travailler les différents acteurs pour atteindre un objectif commun, tout en sensibilisant les décideurs et en formant les professionnels.

Tous les acteurs du Smart Building n’ont pas strictement les mêmes définitions des technologies et des processus. Quelle est votre démarche concrète pour mettre au point un tel standard accepté de tous ?
P. N. –
Il faut mettre tous les acteurs autour de la table pour proposer une vision commune et la faire porter par le plus grand nombre, d’où les livres blancs édités en partenariat avec la SBA. Faire adhérer les acteurs à la vision est la première étape, ensuite, cela demande beaucoup de travail, de dialogue et de concertations. Enfin, la phase de test sur des bâtiments réels est le juge de paix : le référentiel est soumis à la critique, ce qui nous permet de l’améliorer dans une démarche de concertation commune.

Quelle est votre vision sur la prise en compte des projets Smart à l’heure actuelle ?
P. N. –
La définition et la vision commune du Smart Building et de ses trois couches est aujourd’hui acquise par l’ensemble des acteurs et a été corroborée par les pouvoirs publics via la publication de la charte « Bâtiment connecté, solidaire et humain ». Aujourd’hui, c’est davantage la question des services qui se pose et nous voyons apparaître une multitude de services connectés basés sur le socle R2S. La priorité du numérique appliqué au bâtiment est d’apporter des services pour améliorer l’efficacité énergétique. Le numérique a un poids très important en consommation énergétique, qui ne fera que croître dans le futur. Il faut privilégier un numérique utile et qui participe à la transition énergétique, et éviter la surintensité des usages numériques au sein du bâtiment, ce qui serait contre-productif.

Pourquoi coupler rénovation énergétique et numérique du bâtiment ?
P. N. –
Il s’agit de faire un choix judicieux. Souvent, en déployant le numérique, on crée un réseau pour un service. La proposition de la SBA, via le label R2S, est de mettre en place le réseau Smart du bâtiment, qui sera toujours moins cher et moins impactant environnementalement que plusieurs réseaux parallèles. La contrepartie est l’interopérabilité, c’est-à-dire que tous les objets connectés et tous les services doivent pouvoir être accessibles à partir de ce réseau Smart. Cela doit être le cas y compris pour les objets et les services qui n’existent pas encore si l’on veut éviter les risques d’obsolescence de l’installation. Cette condition est nécessaire pour conjuguer le temps long de l’immobilier et le temps court des innovations numériques.

Quels sont les points à retravailler selon vous pour garantir la confiance des acteurs de l’immobilier ?
P. N. –
Chez Certivea, nous travaillons beaucoup sur les retours d’expériences. S’il y a eu des contre-références dans le passé, nous les avons étudiées au même titre que les réussites pour mettre au point nos certifications. Nous avons déjà publié un grand nombre de retours d’expériences, qui sont de belles histoires de réussites et qui aident les acteurs à se projeter. D’autre part, la formation est essentielle et le MOOC de la SBA réalisé en partenariat avec le Cnam pour former les acteurs au Smart Building a permis de sensibiliser un grand nombre de décideurs. Chaque professionnel a sa carte à jouer en améliorant ses compétences sur le sujet.

Le BIM Exploitation ou le BOS offrent la promesse de bâtiments connectés, intelligents, évolutifs et serviciels. Comment assurer le déploiement intelligent de ces solutions pour éviter les contre-références, qui sont un véritable frein au déploiement de ces nouvelles technologies ?
P. N. –
Nous sommes à un moment de bascule. Les acteurs se sont mis d’accord sur les référentiels, les certifications et continuent d’échanger leurs connaissances et leurs idées. La période de réel décollage est imminente et tous les promoteurs se préparent à l’arrivée de ces nouveaux services. L’an dernier, nous avions réalisé une enquête pour mesurer l’avancement de ces questions un an après la publication de la charte sur le « Bâtiment connecté, solidaire et humain » et nous avions constaté un réel intérêt de la part de l’ensemble des acteurs. Cette année, nous allons refaire cette enquête et je suis persuadé que le sujet aura continué sa progression. Lors de périodes de grandes transitions comme celle que nous vivons actuellement, il ne faut surtout pas négliger le facteur temps. Aujourd’hui, tous les acteurs, publics ou privés, tirent dans le même sens, ce qui est porteur d’avenir pour la filière.

Quel est le potentiel offert par les technologies du numérique appliquées au bâtiment ?
P. N. –
Commençons par le BIM, qui est à nos yeux un des principaux outils de modernisation de l’ensemble de la chaîne du bâtiment. Un début de normalisation est en cours avec le référentiel BIM4Value, qui vient fixer un cadre pour favoriser la commande en précisant les cas d’usage qui sont attendus et les grandes étapes pour y parvenir. Comme tout outil, il faut savoir ce que l’on souhaite en faire et à quels cas d’usage il peut répondre. Nous sommes persuadés que c’est en exploitation que le BIM sera le plus utile. Lorsque nous observons les bénéfices de cette technologie dans l’aéronautique ou l’automobile par exemple, cela nous permet d’en espérer beaucoup. Ce processus d’organisation des données et de management de l’information prend d’ailleurs une nouvelle dimension avec le Big Data, grâce à l’organisation automatisée des données statiques et dynamiques du bâtiment. Il s’agit d’un véritable enjeu pour le management des données qui dépasse largement les frontières de ce que l’on peut faire aujourd’hui. Des questions restent en suspens, notamment celle liée à l’hébergement des données. Nous pensons que les données doivent être stockées en dehors de la maquette pour plus de sécurité et d’interopérabilité. L’intelligence artificielle est déjà là, avec des algorithmes intelligents embarqués dans les équipements ou déportés à l’échelle du bâtiment ou dans le Cloud selon les cas. Je pense que l’intelligence sera partout, car je ne crois pas à la centralisation, qui peut affecter la sécurité, mais aussi la réactivité et la résilience des systèmes. Tout ne doit pas être envoyé dans le Cloud. D’autre part, l’IA sert déjà la performance énergétique des bâtiments, car il existe de nombreux algorithmes de gestion de l’énergie en fonctionnement. Concernant la Blockchain, nous identifions son potentiel pour les échanges d’énergie dans un contexte d’autoproduction notamment, pour le partage des espaces et des services du bâtiment ou encore pour les microtransactions. Mais il existe d’autres technologies qui offrent un fort potentiel, comme l’impression 3D, les engins autonomes ou encore la convergence de la mobilité et du bâtiment.

Quelles sont les conditions pour réussir la transition numérique du parc français ?
P. N. –
Nous sommes aujourd’hui en train de mener cette transition en nous appuyant sur quatre piliers principaux. Il faut d’abord de bons exemples qui montrent la voie et permettent aux décideurs de se projeter. Il faut ensuite mettre sur pied des standards et engager la formation des différents acteurs. Enfin, il est important d’imposer des écoconditionnalités, pour intégrer le numérique aux rénovations globales des bâtiments.

Quelle est votre vision du bâtiment de demain ? Quels seront ses caractéristiques et ses avantages ?
P. N. –
Nous préférons réfléchir à l’échelle de la ville. L’objectif à moyen terme serait d’offrir une multitude de services accessibles à pied en 15 minutes. Cette question des services de proximité, théorisée par le scientifique Carlos Moreno et baptisée « ville du quart d’heure », interroge sur la décentralisation de la ville et de ses services. Il faut davantage de services de proximité, comme cela a pu être constaté lors du confinement notamment, comme l’éducation, l’alimentation, la santé, le travail… Cette ville de demain devra également faire face aux changements climatiques. Il faudra pour cela des bâtiments et des villes plus résilients, capables de résister aux tempêtes, inondations canicules… avec de la nature en ville et des transports propres. Mais le bâtiment devra aussi être sobre en carbone, confortable été comme hiver et permettant de vivre bien, en étant à la fois économe et connecté. Si l’on veut parvenir à cela, on ne peut pas se contenter d’agir sur le neuf. C’est pourquoi il faut dès maintenant engager des rénovations globales pour une meilleure qualité de vie et un meilleur respect de l’environnement.

Propos recueillis par Alexandre Arène

Filière 3e:
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