E+C- et réglementations du neuf, quels impacts pour la filière ?

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Généraliser le bâtiment à énergie positive et réduire son empreinte carbone, c’est tout l’enjeu du label E+C- lancé en 2017, incluant désormais les usages mobiliers et préfigurant la future réglementation environnementale (RE). Y a-t-il en marche une révolution pour la filière électrique ?

E+C-, premier pas vers la future réglementation
« Le label E+C- impacte en premier lieu le système constructif, avec le choix des matériaux de construction pour réduire leur impact environnemental, augmenter leur cycle de vie jusqu’à la déconstruction de l’ouvrage, choisir des solutions et des énergies les moins carbonées. Pour les systèmes dits actifs, l’impact est notamment sur le dimensionnement des installations et des équipements techniques. Cela touche également les usages et leur modulation, enfin, bien sûr, l’efficacité énergétique et la production d’énergie renouvelable », introduit Thierry Djahel, directeur Développement & Prospective chez Schneider Electric.

Les industriels mesurent bien les enjeux à participer à cette expérimentation, et la plupart intensifient leurs efforts pour la réalisation et la mise à jour de leurs profils environnementaux produits (PEP) nécessaires au calcul des émissions CO2 du cycle de vie (ACV). « Ainsi, tous les produits que nous développons font l’objet de fiches PEP avec optimisation du poids carbone, y inclus l’optimisation de la Supply Chain et les études pour recourir à un usage minimal de substances dangereuses en conformité avec les réglementations (RoHS, REACh) », illustre Thierry Djahel. Ce qui est important, c’est que la future réglementation incite ou favorise les constructeurs qui font l’effort d’informer leurs clients sur le calcul détaillé de la valeur environnementale de leurs produits, insiste l’expert.

Thierry Djahel

« Ce label est pour la profession une évolution, non pas une révolution. Nous avons des solutions techniques et, pour exemple, notre organisation au sein de Siemens reflète les trois domaines clés du bâtiment bas carbone : la production d’énergie renouvelable, les automatismes et enfin la digitalisation du bâtiment », ajoute Jean-Daniel Napar, vice-président Stratégie CPS Siemens BT. La GTB y occupe un rôle central pour assurer le confort, la santé, la productivité et le bien-être au travail, mais aussi minimiser les émissions de CO2, les consommations d’énergie et gérer le rechargement des véhicules électriques. Les voies de communication existent, sont désormais obligatoires et bidirectionnelles car le bâtiment E+C- s’inscrit dans un quartier, un territoire. La technologie n’est pas à réinventer, il y a bien sûr à adapter les algorithmes, les régulations et les GTB à ces nouveaux contextes, les fabricants y sont prêts en alliant pragmatisme et innovation.

Dan Napar, président de l’ACR

E+C- en démarrage et en évolution
Selon l’Ademe, près d’une centaine de bâtiments, dont certains atteignent le niveau ambitieux Énergie 4, sont répartis dans dix régions. Près de 800 sont attendus pour 2018. Les 13 communautés régionales autour de l’ACV et du label sont aussi mobilisées pour sensibiliser les acteurs locaux, capitaliser sur les bonnes pratiques, et remonter des éléments pour préparer la réglementation 2020.

Le secrétaire d’État à la Cohésion des territoires a tout récemment annoncé que le gouvernement a d’ailleurs « décidé de revoir le référentiel E+C- pour faire en sorte que l’on puisse décroiser les critères énergie et carbone ». Une mesure qui devrait permettre « d’avoir des capacités d’initiative à produire des bâtiments à très haute qualité énergie ou des très hautes qualités de carbone ». Des évolutions et sans doute davantage de flexibilité, mais dans tous les cas, il est essentiel que les exigences soient soutenables et donc co-construites entre les acteurs et l’État.

« Le mode collaboratif entre le CSTB, la DHUP et les acteurs de la filière pour corréler les évolutions du label avec la nouvelle réglementation, nous semble indispensable à renforcer, notamment sur plusieurs points clés : tout d’abord parce que les applications de gestion active et énergétique doivent prendre toute leur place dans le prochain moteur de calcul. Les innovations technologiques doivent également pouvoir être intégrées de façon plus souple et les modalités de traitement du titre V doivent être allégées », souligne Thierry Djahel, de Schneider Electric. Avec le développement logique de l’autoconsommation collective et individuelle, le coefficient de 2,58 entre énergie primaire et énergie finale se doit d’être affiné. En effet, l’autoconsommation individuelle bénéficie actuellement d’un coefficient de conversion Ep de 2,58. À l’inverse, la question reste ouverte pour les kWh réinjectés en autoconsommation collective. Un coefficient intermédiaire permettrait d’accélérer le mouvement pour que la RE2020 incite les maîtres d’ouvrage à ne pas limiter la production renouvelable aux seuls usages du bâtiment, poursuit l’expert de Schneider Electric.

Réglementation française et directives européennes
« Nous sommes attentifs également à ce que les réglementations par pays soient le plus alignées possible afin que le référentiel de solutions ait la couverture la plus large possible. Être obligé de développer des produits pays par pays serait à contresens : les directives européennes sont également en cours avec le “Winter Package”, dont l’ambition est de réviser simultanément trois directives – celle sur l’efficacité énergétique (2012/27/EU), celle sur les énergies renouvelables (2009/28/EC) et celle sur la performance énergétique des bâtiments (2010/31/EU). Tout ceci en revisitant le cadre et la gouvernance du marché de l’électricité européen (directive 2009/72/EC et règlement 714/2009), et les mesures d’écodesign ainsi que les labels énergétiques. La nouvelle réglementation française devra également s’y conformer », précise Jean-Daniel Napar, de Siemens.

Pour les PME et les innovations, la nouvelle RE doit être flexible
« Nous sommes pour l’instant hors catégorie, car notre solution qui sera lancée en série en septembre 2018 n’est pas une chaudière condensation gaz ; elle repose sur une PAC au C02 animée par un compresseur à combustion externe, véritable innovation car il utilise la chaleur de la combustion gaz pour compresser le fluide. C’est une technologie sans frottement donc sans entretien, sans bruit et très performante. Avec un rendement allant jusqu’à 200 % nous ne sommes pas une chaudière hybride, pas une PAC électrique mais une chaudière utilisant une PAC gaz haute performance. Nous aimerions donc une catégorie qui puisse accueillir cette technologie totalement alignée sur le facteur 4 de réduction des émissions de C02 dans lequel la France est engagée », indique Lionel Scaloni, directeur commercial Europe de BoostHEAT.

Avis partagé sur un autre domaine par André Amphoux, président d’Astato, spécialiste de la ventilation naturelle et hybride, qui souhaiterait pour la nouvelle réglementation « la reconnaissance de la ventilation naturelle comme une énergie renouvelable, et qu’il y ait moins de freins à l’usage de la ventilation naturelle. Une de nos solutions est basée sur un mixte naturelle et mécanique : la ventilation naturelle fonctionne lorsque les conditions de température extérieure ou le tirage éolien sont ad hoc, l’assistance mécanique ne palliant qu’en cas d’insuffisance du tirage naturel. Nous souffrons également du manque de concertation sur ces sujets et des lourdeurs pour obtenir le titre V. »

De fait, le marché de la rénovation est souvent la priorité des PME innovantes, également parce que l’enjeu de transition énergétique est central sur ce marché déjà très important.


Zoom sur : XPole

(c) Groupe 6_2

Le bâtiment XPole, sur 26 000 m2, ne consomme que 37 kWh/m²/an, garantis par contrat.
Il produit de l’énergie au-delà de ce qu’il consomme via 4 000 m² de PV et deux éoliennes. Il peut fonctionner selon quatre scénarii : revente, autoconsommation, stockage, microgrid.
La flexibilité est prévue pour des charges thermiques, aérauliques, lumière et prises de courant et peut s’inscrire dans une tarification dynamique et/ou revente des effacements ou encore dans des schémas de délestages sélectifs.
Les paramètres de confort par zone sont définis par les occupants et la réservation de salles de réunion est connectée à la GTB.


Alexandra Del Medico, secrétaire générale de Qualifelec

Les qualifications sont au rendez-vous
« Nous avons une volonté d’accompagner le mouvement lié aux nouvelles réglementations du neuf. De fait, les nouvelles qualifications vont dans ce sens : par exemple, nous avons fait évoluer récemment la qualification solaire photovoltaïque pour nous adapter aux nouvelles segmentations et accompagner l’ouverture à l’autoconsommation et répondre au décret qui l’encadre », explique Alexandra Del Medico, secrétaire générale de Qualifelec.

« Le professionnel peut ainsi mieux valoriser ses multiples compétences et choisir, par exemple, au sein de notre qualification SPV, les indices suivants : l’indice ≤ 36 kWc, l’indice > 36 kWc et l’indice Maintenance des installations solaires photovoltaïques. »

« La maintenance est donc aussi concernée par l’évolution de nos qualifications et nous avons désormais dans la nomenclature de qualification trois indices pour valoriser les professionnels qui interviennent dans ce domaine : maintenance PV, maintenance PAC et maintenance Ventilation, sans oublier la Qualification Maintenance des Installations Électriques », poursuit Alexandra Del Medico.


3 Questions à

Thierry Mouge, président de la société Perrenoud, éditeur spécialiste des logiciels de calculs thermiques.

Quelle est la collaboration des éditeurs aux nouvelles réglementations ?
T. M. –
Les éditeurs ne sont pas vraiment impliqués dans les travaux actuels de la DHUP et du CSTB. Pourtant, nous avons une pierre à apporter à l’édifice, notamment en termes de retour d’expériences sur les problématiques rencontrées par les bureaux d’études. Ainsi pour E+C-, les travaux des groupes d’élaboration ont débuté en avril 2016, et nous avons été avertis en septembre 2017 de leur finalisation. Nous avons eu alors jusqu’au 15 décembre pour élaborer le logiciel, qui a ensuite été évalué pour être bon à diffusion en février 2017.

Quels résultats offrent l’analyse du cycle de vie (ACV) ?
T. M. – Notre module dédié à l’ACV est connecté à la fois au module logiciel RT2012 et à la base INIES pour injecter les fiches et nomenclatures des produits de construction et des équipements. Le calcul en résultat est conforme à la norme EN 15978 et reprend, en sus des produits, les consommations d’énergie, d’eau et le volet chantier. Le cycle de vie est basé sur une période de 50 ans, et les résultats sont présentés par phase, lot et sous-lot et il est possible de comparer plusieurs variantes d’un même projet.

Comment les acteurs s’impliquent-ils et réagissent-ils ?
T. M. – Le marché est en phase de croissance progressive, bien sûr au niveau des maîtres d’ouvrage, qui sont de plus en plus demandeurs de cette voie, et les bureaux d’études thermiques suivent ou anticipent cette tendance. En 2017, près de 160 personnes ont été formées au module d’analyse ACV que nous éditons, et qui se présente comme un module complémentaire au module RT2012. Nous avons un programme de formation renforcé en 2018, désormais sur une durée de deux jours, avec une dizaine de points de formation répartis sur la France entière.


Pour Xavier Hornung, secrétaire général de la CSEEE (Chambre syndicale des entreprises d’équipement électrique de Paris et sa région), « les professionnels s’adaptent en permanence et élargissent leur domaine d’expertise à des marchés structurés par la demande et l’environnement réglementaire et normatif, comme les IRVE. Ils répondent à leur marché actuel, HQE, BREEAM, RT2012 et comptage énergétique notamment, tout en évoluant pour couvrir le maximum du processus de projet de la conception à la maintenance. L’évolution qui est la plus prégnante est aussi le positionnement de plus en plus marqué d’une partie de nos adhérents vers des rôles d’ensemblier avec une approche multi-systèmes, mais aussi de conseil auprès des maîtres d’ouvrage, notamment pour les architectures IRVE ».

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Le surcoût de la RE2020
La mise en œuvre du label E+C- nécessite des moyens et des ressources supplémentaires et les analyses des coûts des opérations permettront aussi de calibrer la future RE. Toutefois, le volet financier, s’il peut être un frein aujourd’hui avec des moyens et ressources supplémentaires pour obtenir le label, comme le souligne Thierry Djahel, de Schneider Electric, ne l’est certainement pas si l’on considère la conception du bâtiment dans une approche globale en intégrant son coût complet sur sa durée de vie. Quant au cadre législatif et réglementaire, il est demandé par les acteurs, qui soulignent également la nécessité d’une cohérence entre les réglementations neuf et rénovation.

Jean-François Moreau

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