Le décret tertiaire aussitôt paru, aussitôt suspendu – décryptage

(c) Schneider Electric

Attendu, paru, suspendu… le décret sur la rénovation tertiaire du parc tertiaire a très vite suscité des oppositions. Le recours qui a conduit à sa suspension bloque-t-il le processus de la rénovation ? A-t-on tué un totem ou bien est-ce reculer pour mieux avancer ?

 

En juillet 2010, c’est bien la loi Grenelle 2 qui pose les premières obligations à réaliser en matière de rénovation des bâtiments tertiaires, privés ou publics. Les professionnels disposaient alors de près de huit ans à compter du 1er janvier 2012, et jusqu’en 2020 pour engager audits et travaux en ce sens. Un décret devait préciser la nature et les modalités des travaux, et l’objectif de performance énergétique à atteindre. À cette époque, la France faisait figure de pionnière et de leader d’opinion en Europe.

Le groupe de travail « Rénovation du parc tertiaire » piloté par Maurice Gauchot a ensuite rédigé en 2011 un rapport formulant des recommandations pour l’écriture de ce fameux décret. Et le décret devait donc être publié dans la foulée.

2013 – La charte rénovation tertiaire, un premier pas pour montrer l’exemple
Deux ans plus tard, en 2013, le décret n’étant toujours pas publié, le Plan Bâtiment Durable a initié la Charte pour l’Efficacité Énergétique des bâtiments tertiaires publics et privés dans le but d’anticiper la publication du décret. Avec deux objectifs simples : lancer le mouvement et partager les retours d’expérience et les bonnes pratiques.
Avec l’énergie de l’équipe du Plan Bâtiment Durable, la charte a reçu à ce jour l’adhésion de plus d’une centaine de signataires. Cependant, son caractère non contraignant sous forme d’une adhésion volontaire et son contenu plutôt souple ne lui permettent pas de se substituer au texte de loi.

2015 – L’obligation de rénovation remise au goût du jour par la loi de transition énergétique
Dans son article 17, la loi sur la transition énergétique promulguée le 17 août 2015 prolonge l’obligation de rénovation du parc tertiaire par période de dix ans à partir de 2020 et jusqu’en 2050, avec un niveau de performance à atteindre renforcé chaque décennie, de telle sorte que le parc concerné réduise ses consommations d’énergie d’au moins 60 % d’ici là par rapport à 2010. L’article précise que les détails concernant l’application doivent être précisés dans un décret… à venir.

2017 – Pourquoi attendre le décret pour avancer ?
La charte pour la rénovation tertiaire, qui va être relancée par le Plan Bâtiment Durable (voir la tribune de Philippe Pelletier dans ce numéro), ou encore un engagement pour la certification ISO 50001 sont réalisables maintenant, et certains ont déjà montré l’exemple en ce sens, tous secteurs confondus. Bien entendu, la transition énergétique dans l’immobilier ne pourra se généraliser que si elle conjugue efficacité et préservation de la rentabilité des entreprises. Mais avec la montée en puissance du digital, des solutions tant matérielles que logicielles existent pour massifier la détection d’économies d’énergie efficacement et répondre aux obligations à moindre coût.

La nécessité d’une volonté politique forte portée par l’État, Cap sur 2030 ?
Parution reportée puis précipitée en mai dernier, rédaction plutôt minimale sur certains points, les hésitations des différentes administrations au sujet de ce décret lui ont très certainement coûté la vie. Pour engager la transition énergétique des bâtiments, les acteurs attendent des règles claires, stables, cohérentes et portées avec conviction. C’est d’ailleurs essentiel en termes de crédibilité politique. La suspension du décret tertiaire est peut-être l’occasion de remettre à plat le dispositif législatif dans son intégralité pour placer la cohérence et le pragmatisme au cœur du projet. C’est le défi qui attend l’administration du nouveau président Emmanuel Macron, à qui incombe désormais la responsabilité de fixer le cap pour 2030, afin d’offrir aux acteurs du secteur un cadre clair pour engager la transition énergétique du patrimoine tertiaire français.

Le ministère de Nicolat Hulot, que nous avons sollicité, reste en attente du jugement sur le fond dudit décret et n’a pas souhaité s’exprimer sur sa suspension. Il a cependant été réaffirmé que la performance énergétique des bâtiments à usage tertiaire est un enjeu crucial dans la mise en œuvre du Plan Climat, et que des annonces sur la rénovation énergétique des bâtiments seront faites prochainement par le ministre. À suivre, donc.


Le point de vue du Gimélec
3 questions à Hugues Vérité, adjoint au délégué général du Gimélec

Hugues Vérité, adjoint au délégué général du Gimélec

Au niveau de la profession, quel impact voyez-vous à la suspension du tant attendu décret rénovation tertiaire ?
Hugues Vérité – L’impact pour la profession est symbolique, important, car ce décret était un acte d’application du Grenelle et, dans un marché du neuf qui commence juste à repartir, le marché de la rénovation énergétique est encore trop ténu et continue à être le potentiel pour les industriels de notre profession et de la construction au sens large. Et ce même si le décret suspendu était imparfait, notamment car il garde hors de son champ d’application les immeubles d’une surface inférieure à 2 000 m2. C’est d’autant plus symbolique alors que la France a engagé les négociations à Bruxelles pour un paquet « Énergie Propre » ambitieux où le bâtiment constitue un focal de la transition énergétique. Ce n’est donc pas le signal idéal, ni pour le marché ni pour le projet européen.

Charte rénovation tertiaire : y a-t-il des acteurs du Gimélec qui se sont engagés par exemple dans des logiques fortes de partenariat avec des gestionnaires immobiliers, qui sont mobilisés pour leur parc avec des solutions d’efficacité énergétique ?
H. V. – Des adhérents se sont mobilisés et engagés très tôt dans des logiques de partenariat, de coopération ou d’expérimentation avec de grands gestionnaires de parc, et cela concerne tant l’immobilier tertiaire de bureaux multisites que des foncières dans le secteur du commerce, grand ensemble ou magasin de proximité. Les opérations déployées concernent d’abord le mesurage afin de fixer la situation de référence (dans le cadre de l’ISO 50001 par exemple). Ensuite, les clients utilisateurs ont bâti des stratégies plus ou moins complexes de cession, transmission, restructuration de patrimoine, pour enfin investir dans des actions à fort retour sur investissement. Certains ont mis en place des solutions d’ingénierie financière pour transformer du Capex en Opex et ainsi répondre aux contraintes fortes des investisseurs.

Actions gouvernementales : y a-t-il des actions particulières du syndicat auprès du gouvernement et du nouveau ministre, sur le volet rénovation énergétique du bâtiment ?
H. V. – Du côté des pouvoirs publics, il y a le projet de loi sur le droit à l’erreur et à la simplification, qui devait faire l’objet d’une adoption rapide en conseil des ministres fin juillet. L’article 21.2, qui est présent dans la version Rose du texte transmis au Conseil d’État, prévoit de reprendre les obligations prévues dans le décret tertiaire via une ordonnance qui tiendrait compte des motifs de suspension développés sur le fond par le Conseil d’État. Nous attendons avec nos partenaires au sein de la filière le retour sur l’agenda de ce projet de loi, car la première version était loin d’être satisfaisante tant en termes d’ambitions que de mise en œuvre opérationnelle au regard des objectifs combinés de la loi de transition énergétique et du projet de Paquet européen « Énergie propre ».


Le point de vue du PERIFEM
Franck Charton délégué général du PERIFEM

Franck Charton délégué général du PERIFEM

Le PERIFEM est l’association technique du commerce et de la distribution, il regroupe notamment les principales enseignes de la grande distribution, du commerce spécialisé, les gestionnaires des centres commerciaux. L’association a porté un recours en annulation du décret avec l’UMIH (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie) et le CDCF (Conseil du Commerce de France).

Ont été pointés notamment le calendrier irréaliste et donc l’illégalité du décret. L’urgence climatique reste cependant à traiter. L’UMIH parle de victoire et pourtant un certain nombre d’acteurs avaient anticipé ce décret, au travers de la charte volontaire rénovation tertiaire. N’y avait-il pas d’autres moyens de procéder ?
Franck Charton – Le mot victoire est un peu sorti du contexte. D’ailleurs, dans notre communiqué de presse commun, nous avons bien rappelé que si nous partagions les ambitions environnementales de la Loi Transition Énergétique, nous étions opposés à la trajectoire et aux modalités imposées par le décret (-25 % en 2020).
La charte volontaire de rénovation tertiaire a été signée par très peu des adhérents de PERIFEM. Elle nous semble plus adaptée aux bâtiments de bureaux par exemple, dont plusieurs opérateurs ont signé la charte. Rénover un site énergétiquement pour un bâtiment de commerce a beaucoup moins de sens que pour des bureaux. Le process dans le commerce représente une partie très impactante dans la consommation énergétique du site. La question est plutôt le remodeling et l’extension des sites existants, pour lesquels la réglementation thermique apporte déjà les axes de progrès suffisant à l’amélioration du comportement des magasins.

Quels sont les deux ou trois points qui sont les plus problématiques, selon vous ? Que proposez-vous par rapport à ceux-ci ?
F. C. – Le premier point essentiel, c’est la trajectoire trop rapide à horizon 2020. Ensuite, deux autres points nous posent questions :
– Le périmètre énergétique évolutif, et notamment comment suivre dans le temps les évolutions dans le process des magasins, et donc leur consommation énergétique à périmètre non constant.
– Les seuils dans l’arrêté sont uniques, quelles que soient les typologies de bâtiment. Nous proposons de tenir compte des spécificités du commerce et espérons une publication de seuils spécifiques à chaque typologie de commerce.

La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique prolonge l’obligation de rénovation du parc tertiaire par période de 10 ans jusqu’en 2050. Souhaiteriez-vous plus de temps et/ou de nouveaux objectifs ?
F. C. – La loi de 2015 ne parle que de l’objectif final à -60 % en 2050. Les points et valeurs intermédiaires (2020, 2030) sont issus du pouvoir réglementaire au travers dudit décret. Effectivement, la pente est selon nous beaucoup trop rapide, notamment pour 2020, et nous proposons de linéariser l’objectif 2050 de la loi.

Cette demande d’annulation bloque l’ensemble de la rénovation tertiaire. Y a-t-il déjà des contre-propositions transmises au ministère public ?
F. C. – Nous avons exprimé par communiqué de presse la volonté de participer à une concertation élargie avec l’ensemble des parties prenantes, afin d’aboutir à un texte réaliste, applicable et soutenable financièrement.
 

Jean-François Moreau

 

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