Ikomē : une vision enrichie de la conception lumière

Ikomē
Christophe CANADELL, concepteur lumière, directeur général d’Ikomē © Caroline Gasch

Christophe Canadell, son directeur général, s’est entouré d’un directeur opérationnel, d’une directrice artistique et de trois responsables d’agences.

Ikomē, née d’une synergie entre trois agences et trente-cinq collaborateurs de tous horizons, enrichit la conception lumière. Récit d’un entrepreneur qui se réinvente.

Pourriez-vous revenir sur votre parcours et sur la genèse d’Ikomē ?
Je suis issu d’une formation en électrotechnique et j’ai débuté ma carrière chez des installateurs de niveau national. C’est à cette période que j’ai rencontré Pierre Bideau, alors à la tête de son bureau d’études en Touraine. J’ai collaboré à ses côtés sur plusieurs projets emblématiques dont il était le concepteur, notamment la mise en lumière de la cathédrale de Tours ainsi que celle de divers édifices historiques de la ville. Cette rencontre a été fondatrice et à la fin des années 1990, je me suis lancé comme concepteur lumière indépendant. Face au développement progressif de mon activité, j’ai recruté un premier collaborateur, ce qui a conduit à la création, en 2003, de NoctaBene, une agence dédiée à la conception lumière des aménagements extérieurs. L’un de mes tout premiers projets a été l’élaboration du schéma d’aménagement lumière de la ville d’Ibiza, en collaboration avec l’entreprise Citelum, qui m’a ensuite confié de nombreux projets internationaux. Au fil des années, l’agence a remporté divers concours, parmi lesquels celui de la ville d’Avignon en 2012, des projets de mise en valeur de collégiales, la façade du Palais Bourbon, et prochainement celle du Sénat. Parallèlement, je me suis investi au sein de l’ACE (Association des concepteurs lumière et éclairagistes), où j’ai notamment joué un rôle au sein du Bureau. Ces années m’ont permis de croiser des personnalités inspirantes, comme Laurent Fachard, fondateur de Les Éclairagistes Associés (LEA) à Lyon. En 2020, celui-ci a souhaité transmettre son agence, que j’ai alors reprise. Alexis Lippens m’a rejoint en tant qu’associé chez NoctaBene et chez LEA, et il occupe aujourd’hui les fonctions de directeur opérationnel d’Ikomē. Catherine da Silva en assure la direction artistique. Ikomē regroupe également les fonctions commerciales et les services administratifs supports. En 2021, j’ai entamé des discussions avec Philippe Mombellet, fondateur de l’agence Ponctuelle à Paris, en vue d’un rapprochement. Ce projet s’est concrétisé en 2023 avec le rachat de Ponctuelle. Aujourd’hui, Ikomē est implantée sur quatre territoires : Tours et La Réunion avec NoctaBene, Lyon avec LEA, et Paris via Ponctuelle. Je suis profondément attaché à préserver l’identité et la singularité de chacune de ces « maisons », portées par l’héritage de leurs fondateurs respectifs.

 Comment définiriez-vous les spécificités de chacune d’elles ?
NoctaBene est spécialisée dans la mise en lumière du patrimoine historique et les schémas d’aménagement nocturne urbain. J’évite sciemment le terme de « directeur » dans ce contexte, car je le trouve trop figé au regard des mutations constantes de la ville. Nous nous concentrons davantage sur l’aménagement nocturne en tant que tel, en intégrant une réflexion sur le mobilier urbain et l’espace public. Mon métier implique également la création d’objets lumineux. J’ai eu le plaisir de collaborer avec plusieurs marques telles que Valmont, GHM Eclatec, Azuly, Toshiba Lighting, Conimast. D’ailleurs, nous présenterons prochainement, au Salon des Maires, un nouveau luminaire que j’ai dessiné et qui est en cours de développement. Bien que le design ne soit pas mon métier d’origine, il n’en constitue pas moins un prolongement naturel. Il existe une grammaire commune entre nos disciplines, même si les champs d’intervention varient, qu’il s’agisse de scénographie intérieure ou d’aménagement extérieur. La richesse de nos agences tient à la complémentarité des profils : ingénieurs, architectes, techniciens… C’est cette diversité qui fonde l’intérêt du groupe. Ikomē joue un rôle transversal en mutualisant les ressources et en favorisant une perméabilité entre les entités, tout en respectant leur autonomie. Nous encourageons l’échange inter-agences, notamment à travers des ateliers de réflexion ou des débats croisés.

Palais des Papes à Avignon, 2014 © Christophe Canadell

Votre approche de la conception lumière a-t-elle évolué au fil du temps ?
Indéniablement. Notre métier est, selon moi, un exercice de style. Intervenir sur des monuments classés est un privilège. Je pense au Palais des Papes à Avignon ou encore à la cathédrale du Wawel à Cracovie, au plan lumière de Montluçon, aux châteaux de la Loire, d’Azay-le-Rideau, Chinon (sur lequel j’ai collaboré avec Pascal Gougeon). Ce qui me passionne dans la valorisation nocturne du patrimoine, c’est l’opportunité de proposer une lecture nouvelle, et non de mimer l’éclairage diurne. Il s’agit d’éviter les effets de mode, les surenchères. Je déplore notamment ce que j’appelle la « RVBérisation excessive » actuelle. L’élégance doit primer, dans une juste sobriété adaptée au tissu urbain. Les enjeux techniques et environnementaux ont eux aussi beaucoup évolué. Nous sommes aujourd’hui capables de proposer des dispositifs avec une meilleure intégration. L’épisode du Covid a accentué la prise de conscience autour de la pollution lumineuse, de la consommation énergétique, et de l’impact sur la biodiversité. Notre responsabilité est d’apporter une réponse simple, intemporelle, élégante. Et puis il y a ces projets plus expérimentaux, plus libres, comme la Fête des Lumières ou le concours de LUCI, qui offrent à nos métiers un espace d’expression artistique et éphémère nécessaire à leur renouvellement.

Mise en lumière (avec Pascal Gougeon) de la forteresse royale de Chinon, 2018 © Camille Saada

Est-ce cette quête de diversité qui vous a conduit vers LEA puis Ponctuelle ?
Oui, mais avant tout par adhésion à des valeurs communes. En tant qu’entrepreneur, j’ai été sensible à la volonté de Laurent Fachard de transmettre son agence à un acteur partageant sa vision. Nos structures étaient certes parfois concurrentes, mais sur des marchés assez distincts. L’acquisition de LEA a rendu possible une implantation dans le Sud-Est, avec un renforcement de nos compétences dans les aménagements publics, en lien avec des paysagistes, alors que NoctaBene est davantage positionnée sur la maîtrise d’ouvrage. Avec Ponctuelle, l’idée était d’étendre notre savoir-faire à l’éclairage intérieur, au secteur privé et à l’international. Philippe Mombellet recherchait un relais de sa philosophie. Nos valeurs convergentes ont rendu cette transmission naturelle. Il y avait chez lui une approche élégante, un geste juste. Aujourd’hui, Ikomē formule des réponses communes à l’international, tandis que chaque maison conserve sa singularité dans les projets nationaux. Le groupe emploie désormais 35 collaborateurs.

Mise en lumière de la façade nord de l’Assemblée nationale © Christophe Canadell

Ikomē n’a donc pas vocation à absorber les autres structures…
Non, bien au contraire. Le nom Ikomē signifie « intérieur comme extérieur » et vise à étendre un savoir-faire dans le respect de l’identité de chaque maison. Chaque agence est dirigée par un responsable : Monia Ounis pour Ponctuelle, Christine Badinier pour LEA, Alexis Lippens pour NoctaBene. Ce mode de gouvernance me permet de continuer à apprendre, à signer les projets qui me tiennent à cœur, ou encore à concevoir des luminaires. L’éclairage n’est pas une affaire de tendance. Et comme disait Yves Saint Laurent : « La mode passe, le style demeure. » Ce qui importe, c’est le geste, non le produit. Il nous faut faire preuve d’inventivité, accepter de nous remettre en question, et réinventer nos pratiques.

Propos recueillis par Isabelle Arnaud

Parcours• • •
Après quelques années passées en Touraine au sein d’entreprises spécialisées dans l’installation d’équipements d’éclairage extérieur, Christophe Canadell se forme aux métiers de la lumière et à la gestion de chantiers. Au cours de ses premières missions, il rencontre Pierre Bideau, référence incontournable de la conception lumière, connu notamment pour la mise en lumière de la tour Eiffel. Cette rencontre décisive lui ouvre de nouvelles perspectives : il comprend alors que l’éclairage ne se limite pas à une fonction technique, mais peut devenir un véritable outil de mise en valeur du patrimoine et de création d’émotions. En 2003, il saute le pas et décide de fonder sa propre société : NoctaBene, qui intervient en tant que bureau d’études éclairage et agence de conception lumière. Elle compte aujourd’hui 7 collaborateurs. Christophe Canadell reprend en 2020 la direction de l’atelier Les Éclairagistes Associés, auparavant dirigé par Laurent Fachard. En parallèle, il crée l’agence Ikomē. En 2023, il prend la succession de Ponctuelle : Philippe Mombellet, son fondateur, lui passe alors le flambeau. Chaque agence apporte ses compétences, et ensemble elles permettent d’aborder des projets variés, toujours avec la même passion pour la lumière et le respect des sites.