
Rennes Métropole est une collectivité territoriale comprenant 43 communes (84 000 points lumineux). L’objectif du scal (schéma de cohérence d’aménagement lumière) s’inscrit dans une démarche de protection de l’environnement pour réduire tout à la fois les consommations énergétiques et les impacts sur la biodiversité. Il vise également à harmoniser la qualité et le fonctionnement de l’éclairage public dans chacune des 43 communes, tout en prenant en compte les usages locaux.
RENNES MÉTROPOLE a pris en charge, par application de la loi MAPTAM, la compétence effective de la voirie intégrant l’éclairage public le 1er janvier 2017. Elle est constituée d’un cœur de métropole avec la Ville Centre, Rennes, et quatre autres communes en continuité urbaine. Les autres villes se situent autour de ce cœur de métropole sous forme d’archipel. Elles sont séparées les unes des autres par les zones agronaturelles. Au terme d’un important travail d’inventaire et de maintenance de ce nouveau patrimoine, il est apparu nécessaire de définir des modalités communes concernant l’éclairage public.
Pour Rennes Métropole, le service Éclairage public (direction de la voirie) assure les missions d’exploitation, la maintenance sur l’ensemble de la métropole, la modernisation des installations (rénovation, transition led, installation d’une télégestion), le co-pilotage de la stratégie Éclairage public (avec Mathieu Ros). Pour la Ville de Rennes, le service a en charge l’installation des illuminations de fin d’année, la maintenance des bornes l’alimentation électrique des marchés.
Le service Éclairage public et Signalisation lumineuse (EPSL) est à l’initiative du sdal de la Ville de Rennes et sa trame noire en 2012 et poursuit cette démarche avec le scal de Rennes Métropole. La direction de l’espace public et des infrastructures de Rennes Métropole dispose de son propre service de maîtrise d’oeuvre afin de concevoir et réaliser l’aménagement des espaces publics. Ce bureau d’études, constitué de 43 agents, est divisé en unités spécialisées (éclairage public, assainissement, voirie, paysage…).
Ont également contribué à l’élaboration du scal : le service réseaux de transport (en charge des transports en commun), la direction des jardins et de la biodiversité, le service des études urbaines.
Par son expérience et ses compétences, l’agence LUMINESCENCE est spécialisée en conseil et étude pour les grands projets de rénovation de parc d’éclairage (intercommunalités, métropoles, départements). Dans ce contexte, elle développe des schémas de cohérence d’aménagement lumière (scal), des trames sombres ou trames noires (projetées) permettant la mise en place d’une méthode de travail qui s’apparente à la gestion différenciée appliquée au domaine de l’éclairage public.
L’agence LES ÉCLAIREURS bénéficie d’une solide expérience en matière de mise en valeur lumière contemporaine d’espaces publics à fort enjeu d’image, d’ensembles urbains et de parcs publics. La société se caractérise par une approche scénographique de l’espace, créant des déambulations urbaines, rendant lisible l’espace, jouant des temporalités de la ville et ses usages pour mieux les soutenir. Ensemble, les deux agences, déjà assistants à la maîtrise d’ouvrage depuis 2018, ont mis leurs compétences respectives en commun afin d’élaborer le schéma de cohérence d’aménagement lumière de Rennes Métropole.
Lumières – Quel a été le point de départ du schéma de cohérence d’aménagement lumière (scal) de Rennes Métropole ?
Philippe Carriou – Le besoin d’un scal est né à la suite de la métropolisation rennaise (loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM) qui a conduit au transfert de compétences (effectué le 1er janvier 2017). La métropole, qui compte 43 communes et 84 000 points lumineux, a progressivement pris conscience de l’état du patrimoine existant et du parc de l’éclairage public. De fortes disparités ont été constatées entre les communes dans différents domaines : état du matériel, horaires d’allumage, pratiques d’éclairage public très variées. Il est donc devenu nécessaire d’harmoniser, sans homogénéiser, les savoir-faire tout en respectant les spécificités de chaque territoire. Mais on ne partait pas de zéro non plus, Mathieu Ros peut nous en dire plus.
Mathieu Ros – Effectivement, un travail avait déjà été mené pour la ville de Rennes avec le sdal de 2012, réalisé par Concepto. Cet outil s’était révélé précieux pour fixer des règles de conception : choix du matériel, hauteur des mâts, design, intensité, température de couleur, horaires… Nous voulions aussi étendre à toute la métropole la trame noire imaginée à l’époque par Roger Narboni. La proposition des concepteurs d’élaborer une trame sombre répondait donc parfaitement à nos attentes. Ce document a permis de poser un cadre conceptuel, méthodologique et technique. S’y est ajouté l’objectif du PCAET (Plan climat-air-énergie territorial) de réduire de 40 % la consommation d’éclairage public d’ici 2030.
Lucas Goy – Nos deux agences ont uni leurs forces et leurs diversités de parcours : assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) maîtrise d’ouvrage pour Luminescence, maîtrise d’oeuvre pour les éclaireurs. Nous avons construit une stratégie d’éclairage à l’échelle métropolitaine afin d’encadrer les projets lumière du quotidien, et avons mis en place des outils comme les ateliers lumière, véritables garants de la qualité. Le document répondait à une demande globale d’un outil structurant à la fois le sdal et le scal.
Virginie Voué – En nous associant avec Lucas Goy, nous avons permis à la maîtrise d’ouvrage de tirer profit de nos expertises croisées, dans la continuité de la mission d’AMO menée par Concepto jusqu’en 2018, que nous avons reprise. Nous connaissions bien le territoire et le sdal de la ville de Rennes. Ce travail s’est construit en lien avec le service de Mathieu Ros pour l’AMO et celui de Philippe Carriou pour les rénovations. Nous avons alors réalisé qu’il manquait un document-cadre à l’échelle métropolitaine. D’où la création du scal. J’ai repris ce terme, proposé par Dany Joly du service Éclairage de Nantes Métropole. Le scal correspond à un plan-guide d’éclairage public à échelle intercommunale, abordant autant les prescriptions techniques et les règles de construction que la gestion de l’éclairage public.
En quoi cette temporalité représentait-elle un point important du scal ?
Philippe Carriou – Sur les 43 communes, nous avions 68 régimes d’allumage différents ! Nous souhaitions harmoniser les allumages et les extinctions, sans les uniformiser. Les élus voulaient plus d’équité entre usagers, tout en intégrant les enjeux énergétiques, environnementaux et de biodiversité. Depuis longtemps, la coupure en coeur de nuit faisait partie de la culture locale, mais avec de grandes disparités : Rennes, avec ses 215 000 habitants, est entourée de quatre communes de 10 000 à 20 000, les autres, de quelques milliers d’habitants, voire à peine 1 000 habitants, sont réparties en archipel. Il fallait donc une stratégie partagée et cohérente.
Virginie Voué – Nous avons donc effectué des repérages sur site assez exhaustifs sur la métropole afin de comprendre son fonctionnement et celui des transports en commun, puis nous avons procédé à une analyse fine des horaires de l’éclairage. Nous avons ainsi proposé des solutions d’optimisation des horaires d’allumage et d’extinction ; tout cela en concertation active avec les communes via différentes instances.
Lucas Goy – Notre intervention s’est articulée autour de trois axes fondamentaux : la trame sombre, le PLUi (plan local d’urbanisme intercommunal) et la temporalité liée aux économies d’énergie selon les usages. Claire-Lise Cabesos, géographe au sein de notre agence, a réalisé des cartographies détaillées basées sur l’ensemble des données à notre disposition. Ce travail a été intégré dans les fiches prescriptives liées aux sites et aux espaces.
Mathieu Ros – En plus de la pertinence de s’appuyer sur les horaires des transports en commun, nous avons pris en compte les habitudes des communes, comme les marchés, les commerces, etc. Par ailleurs, nous avons maintenu une « hiérarchisation » dans l’extinction. La ville de Rennes est assez exemplaire ; à la différence des autres communes, elle n’avait pas d’habitude d’éteindre en coeur de nuit, mais la municipalité y a adhéré. Un éclairage permanent demeure cependant en centre-ville, sur les principaux axes de circulation ainsi que dans les quartiers prioritaires de la ville. L’abaissement piloté de l’éclairage reste difficile, car seuls 26 % des installations de la ville sont équipées en leds.
En quoi la trame sombre se distingue-t-elle de la trame noire ?
Lucas Goy – La trame noire nous a paru un peu restrictive, et nous avions besoin d’une approche plus riche afin de développer des gradients pour les inclure dans une stratégie plus globale de trame sombre.
Virginie Voué – La trame noire constitue la dimension temporelle (nocturne, en fait) relative à la trame verte et bleue, ce qui ne permettait pas de prendre en compte les éléments fragmentants relatifs à la nuit. Ce terme de trame noire (crée par Roger Narboni en 2012 dans le cadre du sdal de la ville de Rennes) repris par les écologues constitue, comme la trame verte et bleue, un outil de planification. Nous employons le terme de trame sombre pour éviter de confondre avec l’extinction pure et simple de l’éclairage public. L’idée reste, dans les deux cas, d’adapter l’éclairage aux usages et aux enjeux de la biodiversité dans une démarche conciliatrice. La trame sombre de Rennes Métropole se décline en différents niveaux élaborés en fonction de la trame verte et bleue, et, par l’analyse du schéma régional de cohérence écologique, permet de considérer les enjeux un peu plus macros à l’échelle à la fois régionale et nationale. On a ainsi identifié quatre niveaux : une zone courante (moins d’enjeux), des zones tampons (enjeux intermédiaires), et deux niveaux de trame noire (enjeux forts et zone de vigilance accrue). Le scal a été conçu en lien avec cette trame sombre et ces niveaux de complexité qui modulent les prescriptions en fonction des zones concernées et de la typologie des espaces (dont les espaces verts, les abords de rivière), des voies et de site. Ainsi, on joue sur ces différents critères pour définir les températures de couleur et les niveaux photométriques. Cette gestion différenciée permet d’éviter d’agir au détriment de la transition énergétique, et de tenir compte des enjeux liés à la biodiversité tout en les conciliant avec les enjeux d’usages humains.
Philippe Carriou – On pourrait se demander pourquoi on n’applique pas à l’ensemble de la métropole le niveau le plus ambitieux du point de vue de la préservation de la biodiversité. Eh bien, cette harmonisation a permis de proposer un éclairage qui réponde vraiment aux besoins.
Cette temporalité n’a-t-elle pas contribué aussi à convaincre tous les élus concernés ?
Philippe Carriou – Absolument. Le travail sur les horaires, mené en concertation avec chaque commune et en tenant compte de leurs spécificités, a instauré un climat de confiance. Avec ces 43 communes, nous avons créé des groupes de travail, en nous appuyant sur les comités de secteur, qui correspondent à un découpage géographique par regroupement de communes (de 4 à 8). Ils se réunissent 3 ou 4 fois dans l’année, favorisant les débats et les discussions sur des sujets très variés encourageant la concertation.
Virginie Voué – Cette organisation a permis de réaliser le document-cadre qui centralise tout, et de produire des déclinaisons à l’échelle communale, un peu comme un carnet d’analyses qui explique comment se mettent en place les prescriptions sur la commune en fonction des différents paramètres.
Lucas Goy – Les 43 documents mettent en perspective la trame sombre à l’échelle communale. Pour les aménageurs, ce sont de véritables outils qui facilitent les connexions entre les communes et les territoires voisins.
Vous entrez donc dans une phase d’information sur le scal ?
Philippe Carriou – Oui, fin 2024, nous avons entamé une sensibilisation via une visio à laquelle ont participé plus de 70 personnes, acteurs de l’éclairage public – promoteurs, concepteurs lumière, entreprises, maîtres d’œuvre, services techniques, etc. – à qui nous avons envoyé ensuite un lien vers le scal sur le site de Rennes Métropole ; puis chaque commune va recevoir la version papier du scal, et une plaquette de présentation du scal de 4 pages.
Mathieu Ros – Il s’agit maintenant de faire connaître ce document, et de veiller à son application. Les services techniques se tiendront à la disposition des concepteurs aménageurs d’espaces publics pour répondre à leurs questions. Nous avons mis en place un accompagnement des communes pour une durée de quatre ans.
Philippe Carriou – Précisons que, à chaque nouveau projet sur Rennes Métropole, les équipements mis en place doivent s’intégrer au patrimoine. À ce titre, les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre savent que l’avant-projet doit être présenté au futur exploitant.
Lucas Goy – La concertation a toujours été au coeur de ce projet, via notamment les comités de secteurs déjà évoqués, et l’implication des communes dont la démarche a été essentielle.
Quels enseignements tirez-vous de ce schéma de cohérence d’aménagement lumière ?
Virginie Voué – Investie fortement dans la transition écologique, et travaillant en parallèle sur des trames noires dans d’autres territoires, j’étais d’autant plus fière d’avoir contribué à poursuivre la démarche innovante initiée par Roger Narboni. Nous avons aussi intégré la réflexion sur l’impact environnemental dans les documents techniques avec l’idée d’inscrire cette démarche de manière globale dans une approche durable.
Lucas Goy – Ce scal est l’aboutissement de deux années d’études et de débats, centrés au départ sur la transition énergétique et qui ont évolué vers des échanges plus larges, notamment sur les températures de couleur et les niveaux lumineux. Je salue la maîtrise d’ouvrage qui a accepté, à bien des égards, de laisser la porte ouverte à des actions ultérieures vertueuses, et qui a ainsi permis l’élaboration d’un document de compromis, aux positions médianes.
Mathieu Ros – Je voudrais souligner l’intérêt de se faire accompagner par des concepteurs lumière : il est toujours intéressant pour nous, maîtrise d’ouvrage, de croiser notre regard avec celui de personnes extérieures à la collectivité qui apportent une vision plus large de l’éclairage, enrichissante, et qui rend notre travail plus opérationnel.
Philippe Carriou – Le scal intègre aussi la qualité esthétique de l’éclairage de jour : les équipements tels que les mâts, les luminaires jouent un rôle important dans la cohérence globale de l’aménagement lumière. Nous choisissons des matériels durables, réparables et maintenables. Et nous restons assez vigilants sur l’impact environnemental global et sur nos émissions de gaz à effet de serre lié à l’ensemble de nos activités d’éclairage public, qu’il s’agisse de consommations d’énergie, de travaux neufs ou de rénovation. Le scal a été l’occasion de collaborations fructueuses, notamment avec les services de Mathieu Ros ainsi qu’avec la direction des parcs et jardins, les services d’urbanisme et de transport, et bien entendu avec les concepteurs lumière Virginie Voué et Lucas Goy au travers de débats très constructifs et grâce aux ateliers lumière mis en place.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud