
L’agence de conception lumière Les Éclairagistes Associés (LEA) a été choisie pour rénover l’éclairage à la fois vétuste et énergivore ; Raphaël Jayol, chef de projet, nous livre le récit d’une aventure de presque 5 années.
Jusqu’en 2024, la bibliothèque n’avait jamais fait l’objet d’une restauration d’ensemble. La dernière rénovation, partielle, des peintures de Delacroix au plafond, très obscurcies par les poussières et fumées accumulées, datait de 1931.
L’Assemblée législative souhaitant disposer d’ouvrages de référence nomme, en 1793, un bibliothécaire, l’abbé Grégoire. En 1794, le Comité de salut public décide, sur rapport du Comité d’instruction publique, de constituer « une collection des meilleurs ouvrages sur les objets relatifs aux travaux des différents comités de la Convention nationale » et, en 1796, une bibliothèque est créée, initialement à l’usage commun des deux chambres du Corps législatif. Sous la direction d’Armand Gaston Camus, la bibliothèque acquiert une quantité importante d’ouvrages tirés des dépôts littéraires où furent réunies, à la Révolution, les bibliothèques de religieux et d’émigrés. Grâce aux achats de Pierre-Paul Druon qui succède à Camus en 1804, elle apparaît comme un cabinet de pièces rares et précieuses.
Son installation reste pourtant précaire et changeante jusqu’en 1834. À cette date, après l’acquisition par l’État de la propriété du duc de Bourbon en 1827, des locaux définitifs sont édifiés par Jules de Joly, sur l’emplacement d’anciennes cours et jardins : un bâtiment de 42 m de long, 10 m de large, 15 m de haut, terminé par deux hémicycles et divisé en cinq travées coiffées par des coupoles. 60 000 ouvrages trouvèrent place sur ses rayons.

Un outil indispensable : le diagnostic
Le diagnostic d’éclairage, commencé en 2022, complété par des études plus récentes et un chantier test en 2025 a montré que les fragilités structurelles de la bibliothèque menaçaient à terme l’intégrité des peintures et compromettaient la conservation des ouvrages dans la nef. Pour permettre des travaux limitant les gênes pour les usagers, deux chantiers simultanés ont été mis en œuvre : l’un en partie inférieure, l’autre sur un platelage suspendu au-dessus de la corniche afin de permettre aux 33 restaurateurs d’œuvrer au plus près du plafond et des peintures de Delacroix. Cette restauration d’ampleur a également été l’occasion du ponçage des bibliothèques en chêne clair de Hollande, du dépoussiérage des 54 000 livres anciens de la collection, de la pose d’un parquet à l’image de celui d’origine et, enfin, de l’introduction d’un nouveau mobilier adapté aux méthodes de travail actuelles.
Le chantier « bas » a permis la consolidation de la structure, l’introduction d’un système d’aération pour garantir la pérennité des collections, la mise en conformité des réseaux techniques et la modification de l’éclairage pour un meilleur confort de lecture mais également une mise en valeur des peintures de Delacroix. « Notre mission consistait à établir un diagnostic de la bibliothèque permettant de bien préciser l’état de l’éclairage existant (types de produits utilisés, implantation, arrivées électriques…) et les différentes évolutions qui ont pu avoir lieu au fil du temps, explique Raphaël Jayol, concepteur lumière, LEA. Nous devions concevoir et proposer plusieurs solutions esthétiques de mise en valeur (études photométriques, photomontages…), en adéquation avec la faisabilité technique, et veiller à ce que les travaux réalisés sur la base de ces études soient effectués conformément aux orientations données par l’Assemblée nationale. En plus de la bibliothèque, nous avons revu l’éclairage du vestibule. Après le diagnostic, nous avons défini un certain nombre de préconisations, précise Raphaël Jayol. Par exemple, nous avons proposé d’appliquer un traitement sur la verrière afin de réduire l’impact de la lumière naturelle sur la fresque de Delacroix, et des rideaux ont été ajoutés devant les ouvertures verticales. Outre la mise en lumière de l’œuvre de Delacroix, nous avons identifié plusieurs zones essentielles à éclairer : les rayonnages, la mezzanine et les tables de lecture. Nous avons tout d’abord expliqué nos intentions en les justifiant, puis nous avons effectué les essais sur site, pour ensuite ajuster le projet d’éclairage. » La phase de diagnostic s’avère cruciale car elle permet à la maîtrise d’ouvrage, à l’architecte, à l’électricien d’expliquer la situation ; les fresques, par exemple, comportaient des fissures inquiétantes, sans garantie que la restauration pourrait les corriger.

La fresque de Delacroix : éclairer et préserver

En 1838, Eugène Delacroix fut chargé de la décoration de la bibliothèque. Le peintre y a incarné, en cinq coupoles et vingt pendentifs, la Science, la Philosophie, la Législation, la Théologie et la Poésie, représentées dans des scènes allégoriques chaudes en couleurs. Les cinq thématiques choisies pour les coupoles structuraient jadis le classement des livres ; deux culs-de-four, à chaque extrémité, représentent la Guerre et la Paix. Afin de préserver la fresque tout en apportant un confort visuel optimal aux lecteurs, les concepteurs lumière ont suggéré des compromis sur les niveaux d’éclairement tout en offrant une lumière suffisante et apaisante.
À l’origine, la fresque de Delacroix était éclairée par des systèmes disposés derrière un bandeau, mais dont la majorité était hors d’usage. Le nettoyage de la peinture effectué par une quarantaine de personnes a permis de récupérer 40 % de luminosité sur l’œuvre elle-même. « Les restaurateurs nous ont expliqué que la nicotine avait fini par jaunir la fresque. Le nettoyage a révélé les vraies couleurs utilisées par Delacroix, des tons froids comme des verts et des bleus, poursuit Raphaël Jayol. Nous avons compris qu’il nous fallait éviter d’utiliser des températures de couleur chaudes si on voulait respecter les teintes d’origine. Dans un premier temps, nous avons défini les angles d’ouverture des projecteurs à gobos positionnés sur les piles, et ensuite, nous avons choisi un luminaire de teinte froide, qu’on réchaufferait si besoin par l’adjonction d’un filtre une fois la restauration achevée. Cela n’a pas été nécessaire et nous avons gardé la température de couleur du luminaire, 4 700 K. De plus, nous avons ajouté une feutrine en nez de l’appareil pour supprimer toute luminance. »
Une lumière apaisée intégrée à l’architecture
Des lignes lumineuses horizontales très fines (dotées d’un IRC de 90), orientables, fixées sous la balustrade et devant les rayonnages éclairent les livres jusqu’en bas uniformément d’une lumière douce et chaude (2 700 K) et sont complétées par des petites appliques à émission directe (vers le sol) et indirecte (vers les culs-de-four) posées sur les piles. « Pour la mezzanine, nous avons dessiné et fait fabriquer sur mesure un luminaire, fixé sur la balustrade en chêne. Les optiques permettent d’éclairer très précisément le rayonnage sans fuite de lumière », détaille Raphaël Jayol.
Les lampes de table (Hisle), quant à elles, ont été fournies avec le mobilier.

Les candélabres qu’on distingue dans l’allée centrale font partie de l’architecture intérieure et servent d’éclairage de sécurité.
Les éclairages sont organisés autour d’une scénographie à six scénarios.
- Soleil : lumière naturelle suffisante, fresque non éclairée.
- Ciel couvert : éclairage plus intense, fresque à peine éclairée.
- Nuit : tout éclairé.
- Ménage : fresque éteinte, toutes les autres zones en pleine puissance.
- Séance de nuit : l’intensité est diminuée, en veille.
- Commande OFF.
Les scénarios sont enregistrés mais commandés par les techniciens éclairagistes de l’Assemblée nationale.