Frédéric Neau, atelier d’architecte King Kong, et David Amourous, prescripteur Sylvania Group : un dialogue concerté sur la culture, la lumière et l’architecture

frédéric neau

Frédéric Neau et David Amourous collaborent depuis plusieurs années à l’éclairage d’espaces tertiaires, en particulier des médiathèques. Ils racontent ici comment un dialogue concerté a permis de développer des solutions à la demande qui s’adaptent aux différentes architectures et répondent aux besoins des utilisateurs.

FRÉDÉRIC NEAU, Laurent Portejoie, Paul Marion, Jean-Christophe Masnada, architectes associés, diplômés de l’école d’architecture de Bordeaux, ont créé lAtelier d’architecture King Kong, implanté à Bordeaux, en 1994. L’atelier s’est vu confier depuis sa création des études de conception et de réalisation par des maîtres d’ouvrage aussi bien publics que privés. Il  s’est fait connaître grâce à des projets comme l’amphithéâtre du château d’Ô à Montpellier, sélectionné au Prix de l’Équerre d’Argent 2003 ; la place Pey-Berland à Bordeaux, lauréat du Prix grand public de l’architecture 2004 (catégorie aménagement urbain en Aquitaine) ; l’hôtel Seeko’o sur la façade des quais de Bordeaux, lauréat du Prix de la Ville de Bordeaux en 2008, également sélectionné aux MIPIM Awards la même année. Il a réalisé de nombreux équipements culturels, parmi lesquels La Source, médiathèque et Maison de la vie écocitoyenne au Bouscat (33) qui a été le point de départ d’une collaboration étroite avec le service prescription de la région Sud-Ouest du fabricant de matériel d’éclairage Sylvania Group.
DAVID AMOUROUS est prescripteur région Sud-Ouest – Occitanie – Centre, Sylvania Group. Le groupe est un acteur majeur du marché mondial de l’éclairage offrant des solutions innovantes et durables pour les professionnels et le grand public. Présent dans plus de 50 pays avec 1 200 employés, Sylvania Group fabrique et commercialise des solutions d’éclairage écoresponsables et digitales. Ses sites de production européens, en particulier celui de
Saint-Étienne, permettent de proposer des solutions en fabrication standard ou personnalisée tout en limitant son empreinte carbone. Sylvania Group s’est imposé dans les secteurs des bureaux/éducation, de l’industrie/logistique et du CHR (cafés, hôtels et restaurants) en alliant performance, large gamme et écoresponsabilité. La marque Concord est dédiée à l’éclairage architectural pour les galeries, les musées et les commerces.

Comment votre collaboration sur l’éclairage a-t-elle commencé ?

Frédéric Neau – Avant de concevoir des médiathèques, l’agence King Kong s’est illustrée dans la réalisation de salles de spectacle, où la lumière occupe, vous l’imaginez, une place fondamentale. Nous avons donc été sensibilisés très tôt à l’importance de l’éclairage artificiel. Dans les équipements culturels, la sobriété énergétique constitue une exigence incontournable ; néanmoins, nous restons attentifs aux effets lumineux, aux contrastes, à l’éclairage d’accentuation et, chaque fois que cela est possible, à une théâtralisation de la lumière. L’objectif est de créer des ambiances confortables et expressives.
Pour moi, cela rejoint la démarche spatiale de l’architecture : c’est-à-dire concevoir des espaces, les hiérarchiser, puis accompagner cette mise en scène par des éléments complémentaires tels que l’acoustique ou la lumière, véritables instruments d’expression du lieu. Il y a une dizaine d’années, nous avons collaboré avec David Amourous sur la médiathèque La Source, au Bouscat, dans la métropole bordelaise. Ce projet s’inscrivait dans une enveloppe conforme au standard BBC : les matériaux avaient été choisis pour leurs qualités énergétiques, acoustiques, leur confort d’usage et leur dimension esthétique. C’était une période charnière, marquée par le passage progressif des solutions d’éclairage traditionnelles vers le tout led. Au moment des études, un passage complet à la led demeurait difficilement envisageable pour des raisons à la fois budgétaires et techniques. Nous souhaitions alors valoriser la charpente métallique par un luminaire capable de dessiner de véritables lignes lumineuses. Il devait être suffisamment puissant pour éclairer des hauteurs sous plafond allant jusqu’à 9 mètres, sans générer d’éblouissement. Après quelques réticences initiales, la maîtrise d’ouvrage s’est rapidement laissé convaincre : l’investissement supplémentaire fut largement compensé par 43 % d’économies d’énergie. Nous étions d’autant plus confiants que les équipes de l’usine Sylvania Group, à Saint-Étienne, nous accompagnaient étroitement dans notre réflexion et se sont lancées dans la conception du luminaire Rana Linear. Dans les médiathèques, où l’on recherche une atmosphère de salon de lecture conviviale, atteindre les 400 lux réglementaires n’est pas chose aisée. Il ne suffit pas de saturer les espaces de lumière : il faut une analyse fine des besoins pour définir des solutions techniques adaptées. Le diffuseur prismatique du Rana a très vite supplanté les appareils à grille auxquels nous étions habitués : il offrait un flux lumineux élevé, un contrôle efficace de l’éblouissement, et une esthétique sobre. Nous l’avons d’ailleurs adopté dans notre propre agence.
David Amourous – Pour répondre aux attentes de l’agence King Kong, Sylvania Group n’a pas hésité à développer un concept d’éclairage led spécifique : c’est ainsi qu’est né le luminaire Rana Linear, conçu pour former des lignes continues suivant la trame métallique du bâtiment. Son diffuseur micro-prismatique à haute transmission (UGR < 19) garantissait un confort visuel optimal tout en assurant un flux lumineux uniforme, atteignant 3 186 lm pour une longueur de 1,50 m. C’était l’une des premières applications de la led forte puissance, à la fois en éclairage général et en accentuation. Nous avons accompagné les architectes en veillant à la maîtrise des coûts, conscients des investissements nécessaires. Les préconisations initiales portaient sur des produits traditionnels ; pour limiter les surcoûts liés au passage à la led, Sylvania a travaillé à la conception du Rana Linear directement sur notre site de Saint-Étienne, en intégrant dès l’origine des principes de réparabilité et de durabilité. Il s’agissait également de traduire architecturalement l’essence du projet, en soulignant l’effet éventail des poutres métalliques par des lignes lumineuses disposées à des emplacements précis, à forte valeur graphique. La puissance des leds et nos optiques nous ont permis de relever ce défi.

Je trouve particulièrement stimulant de collaborer avec les
industriels. Cela nous évite de tomber dans une conception
générique, uniformisée par des équipements trop standardisés.
Frédéric Neau

L’adaptabilité des produits se trouve donc au cœur de vos échanges ?

David Amourous – Absolument. Cette expérience avait une double portée. D’une part, elle a permis à l’agence King Kong de mesurer la capacité de Sylvania à développer des solutions led performantes et confortables ; d’autre part, elle a démontré notre aptitude à intégrer dans la conception du luminaire les spécificités formulées par les architectes. Nous avons ainsi pu atteindre les objectifs esthétiques tout en garantissant confort visuel et qualité des effets lumineux. Cette première collaboration a instauré un climat de confiance qui a ouvert la voie à d’autres projets : une première médiathèque, puis une seconde. Nous sommes ainsi devenus des partenaires industriels de l’agence King Kong sur d’autres médiathèques et bâtiments culturels, tout en poursuivant le développement de produits innovants à coûts maîtrisés.
Frédéric Neau – Le Rana Linear correspondait à notre conception même de l’éclairage artificiel : à savoir une lumière au service de l’architecture, capable de l’habiter sans s’imposer, avec un design sobre et discret. Cela ne nous empêche pas, lorsque le contexte s’y prête, de recourir à des luminaires plus singuliers. Mais dans les bâtiments publics, les budgets dédiés à l’éclairage sont généralement restreints : nous devons donc privilégier des solutions efficientes, économiques, peu énergivores et compatibles avec le concept architectural global. L’adaptabilité de Sylvania Group à chaque projet – en fonction des volumes, des hauteurs sous plafond, des apports en lumière naturelle ou encore des matériaux – fait toute la pertinence de leur approche. Même lorsque nous travaillons sur plusieurs médiathèques, chaque bâtiment appelle une réponse spécifique. Nous recherchons donc des produits simples, efficaces, adaptés aux contraintes des marchés publics et modulables selon les besoins.
David Amourous – Cette démarche d’adaptation repose aussi sur notre mode de travail : nous dialoguons en amont avec les architectes, nous nous imprégnons de leur projet, puis notre bureau d’études de Saint-Étienne évalue la faisabilité technique, l’ingénierie, et la possibilité de standardiser certaines solutions. C’est ce processus qui nous a permis, par exemple, de décliner le Rana Linear en différentes versions et coloris, afin de répondre à des contextes variés.

Après cette première expérience de sur-mesure, comment avez-vous abordé les projets qui ont suivi ?

Frédéric Neau – Dans le cadre des marchés publics, nous ne pouvons pas imposer un fabricant et, donc, nous ne maîtrisons pas le choix final des entreprises. Et même si Sylvania n’est pas la seule marque avec laquelle nous travaillons, nous avons utilisé ses produits dans de nombreux projets privés, notamment tertiaires. Tout cela fait qu’au fil des années, la confiance s’est installée et les savoir-faire sont désormais connus et reconnus par tous les acteurs.
David Amourous – Le rôle du bureau d’études de Saint-Étienne est en effet déterminant. Les ajustements opérationnels interviennent après les appels d’offres, lorsque les exigences de la maîtrise d’ouvrage et les attentes esthétiques des architectes se précisent. Ce qui fait la différence, c’est notre engagement en matière de fiabilité et de durabilité. Nous ne cherchons pas à produire un « one shot » qui deviendrait rapidement obsolète, mais nous nous efforçons plutôt de proposer des solutions réparables et pérennes. Pour le maître d’ouvrage, la proximité géographique et culturelle – sans barrière linguistique ni contrainte frontalière – constitue une garantie précieuse en matière d’entretien et de maintenance. Nos priorités restent claires : sobriété, esthétique, conformité réglementaire, respect environnemental et adapta­bilité. Aujourd’hui, nous entrons dans une ère où la maîtrise énergétique et la qualité du confort visuel s’imposent comme des standards incontournables.

Notre capacité d’adaptation s’appuie sur un dialogue
en amont avec les architectes qui permet à notre bureau
d’études de Saint-Étienne d’évaluer la faisabilité technique,
l’ingénierie, et la durabilité du produit. David Amourous

Est-ce que cela signifie que vous travaillez surtout sur les optiques, le design, la taille des luminaires et leurs performances ?

David Amourous – Chez Sylvania Group, nous avons très tôt compris la nécessité d’un dialogue approfondi avec les architectes, dès les premières phases du projet. En tant que prescripteur, je m’efforce toujours d’obtenir une lecture claire du parti architectural, ce qui nous permet ensuite de démontrer comment nous pouvons personnaliser nos solutions d’éclairage. C’est précisément cette fiabilité – technique, organisationnelle et industrielle – qui a séduit les architectes et instauré une relation de confiance qui s’appuie sur la pérennité de nos savoir-faire, sur la proximité de notre site de production et sur la capacité à travailler dans un langage commun, sur les plans culturel et technique. Les architectes ont été particulièrement sensibles à l’attention que nous portons à la qualité intrinsèque des luminaires : validation par notre bureau d’études, tests en laboratoires internes, traçabilité des composants, précision des données photométriques. Notre histoire, riche de plus d’un siècle d’innovation en éclairagisme, atteste également de cette solidité. Aujourd’hui, nous travaillons non seulement sur les performances lumineuses, mais aussi sur la connectivité. Nous avons proposé à l’agence King Kong d’intégrer cette dimension : détecteurs de présence, gestion en fonction des apports de lumière naturelle, scénarios lumineux adap­tés à l’usage d’une salle de réunion, par exemple. Autant d’outils qui permettent de concilier efficacité énergétique et confort d’usage.
Frédéric Neau – Pour nous, architectes, au-delà des coûts énergétiques, l’intérêt réside dans la possibilité de bénéficier d’une continuité esthétique avec des déclinaisons variées. Le luminaire Rana, par exemple, existe désormais en version encastrée pour les espaces vastes, en suspension pour dessiner de grandes lignes dans des volumes hauts, et dans des formats modulables. Concernant le contrôle de la lumière, nous ne sommes pas les initiateurs, mais nous restons attentifs aux innovations. Les bâtiments tertiaires doivent répondre à des standards stricts de performance énergétique, et ces outils de régulation deviennent incontournables. D’ailleurs, dans notre propre agence, la mise en place de tels dispositifs a permis de réduire drastiquement les consommations : auparavant, il arrivait fréquemment que l’éclairage reste inutilement allumé dans des bureaux inoccupés.

La prochaine évolution en éclairage, selon vous ?

David Amourous – L’une des missions essentielles de Sylvania Group consiste à réduire l’empreinte écologique de nos produits. Cela passe par l’amélioration continue de leur efficacité énergétique, par l’intégration de l’analyse du cycle de vie dès la conception, mais aussi par la décarbonation progressive de notre site de production et par les exigences environnementales imposées à nos fournisseurs. Nous développons des luminaires issus de circuits courts, fabriqués à partir de matériaux recyclables – comme l’encastré Opticlip en carton – et conditionnés dans des emballages optimisés, eux-mêmes recyclables. Cette démarche s’étend jusqu’à la palettisation de nos produits. Notre ambition est claire : atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Et nous souhaitons entraîner avec nous nos clients et partenaires dans cet effort collectif.
Frédéric Neau – Pour ma part, je trouve particulièrement stimulant de collaborer étroitement avec les industriels. Cela nous évite de tomber dans une conception générique, uniformisée par des équipements trop standardisés. Les visites d’usine, les échanges directs avec les concepteurs et les fabricants de luminaires nourrissent notre réflexion et ouvrent de nouvelles perspectives. C’est une dynamique créative qui enrichit autant les architectes que les industriels.

Propos recueillis par Isabelle Arnaud