Les microgrids sont des réseaux électriques locaux combinant production, stockage et consommation d’énergie. En 2017, La Poste s’y est intéressée au travers de Gepy, un projet pilote installé sur son site courrier de Magny-les-Hameaux (Yvelines). L’objectif : alimenter les véhicules électriques du centre grâce à l’électricité solaire produite sur place. Porté par Jean-Louis Miegeville, Innovation Leader au Groupe La Poste, ce démonstrateur a permis de tester, grandeur nature, un système associant ombrières photovoltaïques, stockage sur batteries de seconde vie et pilotage intelligent de l’énergie. Résultat : près de 60 % d’autonomie solaire en moyenne annuelle, une autoconsommation totale de la production et une expérience riche d’enseignements techniques et humains. Jean-Louis Miegeville revient sur la genèse, les performances et les perspectives de ce démonstrateur.
Pouvez-vous revenir sur la genèse du projet Gepy ?
Jean-Louis Miegeville – Le projet Gepy est né d’une idée toute simple, presque banale au départ. Dans les Yvelines, où je travaillais à l’époque, nous faisions partie des premières directions à expérimenter les véhicules électriques. Cela remonte à 2013 ou 2014. En visitant un site pilote, j’ai remarqué la grande surface ensoleillée qu’offrait le parking. Spontanément, je me suis dit : pourquoi ne pas exploiter cette surface pour produire de l’énergie photovoltaïque et recharger nos véhicules électriques avec ? Il n’y avait alors ni plan technique ni étude économique. C’était une conviction, fondée sur le bon sens. Puis, petit à petit, nous avons commencé à réfléchir aux usages possibles : pourrait-on mutualiser les bornes, louer leur accès, créer un modèle d’affaires innovant ? Rien n’était encore formalisé, mais le principe d’une alimentation solaire locale faisait son chemin. L’idée a pris corps quand j’ai observé que la grande distribution commençait à couvrir ses parkings de panneaux photovoltaïques, notamment dans le sud de la France. Ces ombrières protégeaient les véhicules tout en produisant de l’électricité. Je ne venais pas du monde de l’énergie, mais j’ai commencé à me former, à échanger avec des collègues passionnés de transition énergétique. C’est ainsi qu’est née une petite communauté interne autour de ce projet. Le tournant s’est produit lorsque nous avons présenté l’idée dans le cadre du fonds carbone interne de La Poste, un programme lancé par la branche Services-Courrier-Colis pour financer des initiatives de réduction des émissions de CO₂. Ce fonds soutenait toutes sortes d’actions : isolation, relamping, mobilité, innovations environnementales… et nous avons décidé de proposer un projet de microgrid. Nous avons constitué un dossier complet et chiffré, évalué les besoins techniques et budgétaires, et déposé notre candidature. Le projet a été sélectionné pour son caractère innovant et expérimental, et nous avons obtenu un financement de 37 000 €. Je me souviens très bien du moment où j’ai appris la nouvelle. J’étais à la fois ravi et un peu inquiet, car il fallait désormais passer de l’idée à la réalisation. Mais tout s’est rapidement enchaîné. Nous avons réuni une équipe pluridisciplinaire, composée de membres de la direction technique, de La Poste Immobilier, des achats, de l’innovation… et lancé un appel à projets. Dix-sept entreprises ont répondu, preuve que le sujet suscitait déjà un fort intérêt. Au terme d’une analyse commune avec les achats et la direction technique, nous avons retenu la proposition conjointe d’Eaton et d’Engie, qui se distinguait par la qualité technique de la solution et par une dimension environnementale particulièrement forte : l’utilisation de batteries de seconde vie issues de véhicules électriques Nissan LEAF pour le stockage d’énergie. Ce choix collait parfaitement à la logique RSE du fonds carbone : innovation, circularité et impact réel.

Pouvez-vous décrire les grandes lignes du projet ?
J.-L. M. – Le site retenu était celui de Magny-les-Hameaux, dans les Yvelines. L’objectif était clair : alimenter les véhicules électriques de la plateforme avec de l’électricité photovoltaïque produite sur place, tout en réduisant l’impact sur le réseau public. Le principe reposait sur un mode d’autoconsommation totale : toute l’électricité produite localement serait consommée sur le site, sans réinjection dans le réseau. Ce choix pragmatique permettait d’intégrer le système sans toucher aux contrats nationaux d’électricité de La Poste. Le dispositif comprenait une ombrière photovoltaïque couvrant deux places de parking, soit environ 25 m², équipée de 15 panneaux solaires pour une puissance de 4,5 kWc. L’énergie produite était stockée dans un système Eaton xStorage Home, composé d’un pack de batteries de seconde vie d’une capacité nominale de 4,2 kWh, piloté par un logiciel de gestion intelligente qui répartissait automatiquement les flux d’énergie entre la production, le stockage, la recharge des véhicules et l’alimentation du bâtiment. La logique était simple. Le jour, les panneaux alimentent directement les véhicules stationnés ou chargent la batterie. Le soir, la batterie restitue l’énergie accumulée pour recharger les véhicules rentrés de tournée. Une fois la batterie et les véhicules pleins, l’excédent d’énergie est redistribué vers le bâtiment. En cas de production insuffisante, notamment en hiver, le réseau public EDF prenait le relais. À l’inverse, en période creuse, le système pouvait se recharger sur le réseau à bas coût et restituer l’électricité stockée en heures pleines, allégeant ainsi la facture énergétique.
Comment le pilotage de l’installation était-il assuré ?
J.-L. M. – Tout le pilotage reposait sur un logiciel intégré, capable de suivre en temps réel la production solaire, le niveau de charge des batteries et la consommation du site. L’interface offrait une visualisation claire des flux : production, stockage, recharge, alimentation du bâtiment. Ce fonctionnement en autonomie locale, intégrant production, stockage et consommation, faisait de Gepy un véritable microgrid. À l’époque, ce type d’installation était encore rare, même dans l’industrie et il me semble que c’est encore le cas aujourd’hui. Nous avons volontairement conservé un périmètre simple pour ce proof of concept (POC) : pas de revente du surplus, pas de mécanisme tarifaire complexe, simplement une démonstration concrète qu’un site tertiaire pouvait, à petite échelle, gérer sa propre production et son stockage d’énergie.
La pratique et les premiers retours d’expériences ont-ils été conformes aux attentes ?
J.-L. M. – Les résultats ont été franchement au-delà de nos prévisions. Nous tablions sur une couverture solaire de 20 à 30 % des besoins. Nous avons atteint 59 % en moyenne sur l’année, avec des pics à 80 % en été et des minimas à 16-18 % en hiver… Concrètement, sur la première année complète d’exploitation (2019-2020), la production photovoltaïque de 4 493 kWh a été autoconsommée à 100 % sur le site : 40 % pour la recharge des véhicules et 60 % pour le bâtiment. Cela représente environ 4 844 km parcourus grâce à l’énergie solaire, soit 1,52 tonne de CO₂ évitée par rapport à des véhicules thermiques. Les véhicules électriques ont toujours pu partir en tournée : aucune panne d’alimentation, aucun incident de recharge. Les rares arrêts provenaient de surtensions du réseau local, sans lien direct avec le système. Nous avons beaucoup appris de cette expérience. Le suivi de données a été fondamental : nous avons enregistré, documenté, analysé les flux pour comprendre et ajuster. Par exemple, les premiers week-ends, la batterie se remplissait entièrement et renvoyait de l’énergie au réseau, ce qui n’était pas prévu. Nous avons donc recalibré le système pour privilégier l’autoconsommation, notamment l’alimentation du bâtiment les samedis et dimanches. Autre découverte amusante, en renvoyant l’énergie au bâtiment, nous alimentions aussi les vélos et scooters électriques du site, installés sur la même phase.
Comment le projet a-t-il été accueilli par les équipes de La Poste ?
J.-L. M. – L’accueil a été très bon, ce qui n’était pas évident au départ. Nous avons toujours joué la carte de la transparence, avec une communication régulière, des visites de site, des explications techniques adaptées à chacun. Les utilisateurs finaux, autrement dit les facteurs, ont été impliqués, informés et rassurés. Globalement, les réactions allaient de l’indifférence à une vraie fierté. L’un d’eux m’a dit : « Je dis à mes clients que je roule au solaire. » Ce genre de phrase, pour un porteur de projet, vaut tous les discours. Nous avons aussi connu quelques quiproquos. Certains avaient entendu parler des ombrières et pensaient que leur centre allait devenir un supermarché, car des enseignes équipaient leurs parkings de panneaux solaires. Il a suffi d’une explication sur place pour dissiper la rumeur. En interne, cette communication de proximité a été déterminante. Elle a créé un vrai lien de confiance, du chef d’équipe au technicien, jusqu’aux facteurs. C’est ce qui a fait, je pense, le succès humain du projet.
Sur le plan technologique, qu’avez-vous appris de cette expérience ?
J.-L. M. – Je parle souvent de révolution silencieuse. Gepy m’a donné le sentiment que nous vivions dans l’électricité ce que l’informatique avait connu avec internet. Grâce à ces systèmes, un site peut devenir à la fois producteur et consommateur d’énergie, piloter ses flux, visualiser en temps réel ce qu’il produit et consomme. L’électricité cesse d’être un flux imposé, elle devient un patrimoine énergétique local. Le stockage, même encore coûteux, en est la clé. À notre échelle, nous avons prouvé que cela fonctionne, de façon fiable et continue. L’installation a été robuste. Les batteries de seconde vie ont parfaitement tenu leur rôle. La puissance de charge, qui nécessitait environ deux heures pour atteindre le plein, assurait la réactivité nécessaire pour compléter l’alimentation des véhicules électriques au quotidien.
Quel était le modèle économique du projet ?
J.-L. M. – À l’époque, le temps de retour sur investissement du démonstrateur avait été évalué à 22 ans. C’était un prototype, sans effet d’échelle. Mais les projections montraient qu’en industrialisant la solution, avec un volume plus important et une mutualisation des coûts, ce délai pourrait être réduit à 17 ans, voire 13 à 14 ans dans les départements très ensoleillés comme le Var, les Bouches-du-Rhône ou les Pyrénées-Orientales. Ces estimations tenaient compte d’une hausse annuelle du coût de l’électricité de 5 à 9 %. Nous avions également intégré le remplacement de l’onduleur tous les 15 ans et des batteries tous les 10 ans. Le frein principal reste le coût du stockage, encore trop élevé malgré la baisse des prix. C’est ce qui empêche aujourd’hui de massifier des projets de microgrids similaires.
Le projet a-t-il eu une suite ?
J.-L. M. – Après 2022, le site de Magny-les-Hameaux a été transféré à la direction technique et continue de fonctionner normalement. De mon côté, j’ai poursuivi les réflexions vers la prochaine étape : le V2G (Vehicle-to-Grid). L’idée est de permettre aux véhicules de restituer l’énergie stockée dans leurs batteries au bâtiment ou au réseau, en période de pointe. Nous travaillons sur un nouveau pilote à Toulouse, sur un site qui dispose d’un parc conséquent de véhicules électriques. Avant de lancer ce démonstrateur, nous voulons exploiter les données du projet Gepy pour comprendre, par exemple, à quelles heures le V2G serait le plus pertinent, comment optimiser la décharge, ou encore mesurer l’impact sur le bilan carbone global. Le V2G reste aujourd’hui un domaine complexe, avec des normes encore émergentes et des problématiques de compatibilité des bornes. Mais il représente la continuité logique de Gepy : aller vers une flexibilité énergétique réelle, où le véhicule devient un acteur du réseau.
Avec le recul, que referiez-vous différemment sur Gepy ?
J.-L. M. – Techniquement, très peu de choses. Le système a parfaitement tenu ses promesses. En revanche, si c’était à refaire, j’insisterais davantage sur l’amélioration de la communication vers la hiérarchie. Trouver des mots simples pour présenter une technologie complexe. Ce projet touchait à la fois le bâtiment, la mobilité, le SI, la RSE et des facteurs. Autant de métiers qui peuvent parfois être cloisonnés dans une grande organisation comme La Poste. Nous avons mené le projet localement, mais nous n’avons peut-être pas assez mis en avant son potentiel de transformation à l’échelle du groupe dès le départ du projet. Même si mon responsable me soutenait, certains pensaient que « mettre des panneaux solaires » n’avait rien d’innovant. Or, l’innovation n’était pas dans les panneaux, mais dans le système global de gestion de l’énergie, dans l’association entre production locale, stockage intelligent et usage réel. Aujourd’hui, avec le recul, je vois à quel point ce projet était précurseur. Six ans plus tard, les microgrids restent rares, et pourtant, leur pertinence n’a jamais été aussi évidente. Gepy a démontré qu’une entreprise de service comme La Poste pouvait devenir, à son échelle, un acteur innovant de la transition énergétique en produisant, stockant et consommant localement une énergie propre, tout en continuant à assurer son activité sans rupture. Ce projet, mené avec pragmatisme et rigueur, a permis d’acquérir une vraie compétence énergétique, jusque-là inexistante dans nos métiers. Il a aussi montré que la réussite d’une innovation repose autant sur la technique que sur la confiance, la transparence et la pédagogie.
Propos recueillis par Alexandre Arène






