Jardin du 13-novembre 2015 : Lueurs de mémoire

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Conception lumière : agence ON © Julien Falsimagne

Le jardin mémoriel, aménagé place Saint-Gervais (Paris 4e), porté par l’agence Wagon Landscaping, qui a été sélectionnée par la commission d’appel d’offres de Paris à laquelle ont participé les associations de victimes 13Onze15 Fraternité et Vérité et Life for Paris, a été mis en lumière par l’agence ON (Vincent Thiesson et Myriam Laval, cheffe de projet). Cette réalisation a reçu le Prix de l’ACEtylène 2025 de la conception lumière extérieure et paysagère.

Située derrière l’Hôtel de Ville, la place Saint-Gervais a été transformée en jardin paysager où chacun des huit lieux des attentats du 13 novembre 2015 est représenté : le Stade de France, Le Carillon, Le Petit Cambodge, la Bonne Bière, le Casa Nostra, La Belle équipe, Le Comptoir Voltaire, le Bataclan. « Le concept de notre mandataire, Wagon Landscaping, raconte Vincent Thiesson, concepteur lumière et directeur de l’agence ON, reposait sur la volonté de réunir les six sites d’attentats en s’inspirant de leur cartographie. D’ailleurs, on peut lire le nom des quartiers gravés au sol comme si c’étaient des noms de rues. À l’intérieur de chacun des sites se dresse une stèle de granit bleu de Lanhélin portant le nom des victimes tombées à cet endroit. Le travail de Designers Unit, qui s’est occupé de la partie graphisme, typographie et gravure a permis d’offrir une bonne visibilité des noms, qu’il y en ait 1 ou 90. »

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© Julien Falsimagne

Les blocs ressemblent à un sol explosé après une attaque, semant çà et là des pierres brisées. Enveloppant cet ensemble minéral tumultueux, la végétation prend vie et s’impose en apaisant le jardin. « La place Saint-Gervais, explique Jean-Marc Dreyfus, historien, n’est pas un site meurtri par les attaques. Il est à la fois autre et dans le cœur même de Paris et se veut la synthèse des six lieux frappés par la terreur le 13 novembre 2015. Le jardin mémoriel incarne ainsi toutes les expériences douloureuses du nord-est parisien attaqué, mais aussi de Paris tout entier. Et au-delà. C’est comme ça que le dessin du jardin est né : les plans des six sites et des huit lieux d’attentats, et de leur environnement proche, sont extraits de leur contexte et viennent composer le dessin du jardin, avec le tracé des rues et leur nom marqué au sol. » 

La force au cœur de la biodiversité
Les paysagistes ont conservé les alignements d’arbres existants ainsi que l’orme de la justice – au XIIIe siècle, on rendait la justice sous un orme à cet emplacement ; l’arbre actuel a été planté en 1935 –, et ont ajouté un olivier de la paix à l’autre extrémité du jardin. « Nous voulions faire quelque chose d’esthétique avec une végétation basse, qui n’ajoute pas au malheur et qui ne porte pas une vision dramatique, commente Gilles Clément, paysagiste artiste invité, c’est un sujet grave et il nous fallait dessiner un lieu qui pouvait être perçu comme agréable par tout le monde ». Des arbustes à baies et des nichoirs ont été intégrés afin d’attirer les oiseaux en toute saison.
Les paysagistes de Wagon Landscaping souhaitaient que « le jardin raconte la violence des attentats tout en offrant un lieu apaisant à la manière d’une oasis. Qu’il évoque la violence des plaies et la mise en place d’une dynamique végétale qui vient apaiser, calmer ; peut-être réparer ces cicatrices ».
Les six espaces se composent d’une stèle de granit bleu de Lanhélin, dont la partie verticale comporte les noms des victimes et la partie horizontale le plan du site concerné qui crée des creux faisant office de réservoirs d’eau pour les oiseaux. Lui faisant face, un bloc de pierre, taillé comme un banc, reçoit les visiteurs qui souhaitent se recueillir. Le jardin est accessible de jour comme de nuit où il est mis en scène par un éclairage sur mesure, apaisant et doux.

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© Julien Falsimagne

 

Les lueurs de mémoire

© French Light

Dans de nombreuses civilisations, évoquant l’âme des défunts, la bougie est devenue une marque de recueillement lors de commémorations publiques : la lumière de la flamme symbolisant la vie des personnes disparues. « Partant de cette idée forte, nous avons cherché à reproduire une myriade de bougies allumées, comme au lendemain des attentats place de la République, remarque Myriam Laval, conceptrice lumière. Ensuite, nous avons choisi la couleur ambre pour les leds afin de nous rapprocher le plus possible de la teinte d’une flamme naturelle, et nous nous sommes inspirés de la voûte céleste du 13 novembre pour leur implantation et la symbolique du projet afin de créer un lien avec cette nuit-là. Pour bien redonner l’effet flamme et pour obtenir une lumière vibrante et vivante, nous avons conçu un scintillement. Il fallait que le luminaire soit étanche, anti-vandalisme, qu’il réponde aux différentes contraintes du site et de maintenance… un tel luminaire n’existait pas. Nous nous sommes donc associés à Frédéric Gervais, de French Light, à la fois designer et fabricant pour concevoir et développer ensemble, et selon les objectifs du projet, un appareil qui tienne compte de toutes ces exigences ».

jardin mémoriel
© Julien Falsimagne

Restait la question de l’implantation. Le sol de la place Saint-Gervais ne permettait pas de creuser très profondément pour encastrer le pied de l’appareil, il a donc fallu aux concepteurs lumière imaginer un système en « jardinières », à la fois bien ancré et sécurisé car les lueurs sont réparties dans toute la zone végétalisée où les paysagistes de la ville de Paris devront régulièrement intervenir pour entretenir les plantes et les fleurs.
« Nous avons donc fixé les luminaires sur un caillebotis porté par des plots, poursuit Myriam Laval, avec en dessous un ensablement qui protège les fourreaux. Ils sont disposés dans des pots qui permettent de réaliser la connexion électrique via un câble. Le luminaire est constitué d’un tube en PMMA, lui-même enfermé dans un tube en acier. La led se trouve à la base de la “tige” de la lueur et envoie la lumière vers l’extrémité, vers le cabochon. Le PMMA est un guide de lumière, comme une fibre optique. Tous les composants peuvent être remplacés. »

L’agence ON a travaillé et texturé le cabochon de façon à éviter une surface trop lisse liée au dépoli et à lui donner plutôt un aspect grenaillé qui crée des éclats lumineux plus forts que d’autres. Les « tiges » des lueurs se déclinent en plusieurs hauteurs, 0,40 m, 0,50 m et 0,60 m, qui, associées aux scintillements des leds, laissent penser que les lueurs oscillent doucement au gré du vent.

L’ambre pour les stèles de granit bleu

© Julien Falsimagne

Afin que les visiteurs puissent se recueillir dans un environnement apaisé, les paysagistes ont installé des bancs de pierre devant chaque stèle représentant le lieu de l’attentat où sont gravés en noir les noms des personnes qui ont perdu la vie. Des encastrés de sol linéaires sérigraphiés (petites réglettes led), disposés à la base des stèles, diffusent une lumière rasante ambrée qui effleure délicatement les noms sur la face verticale de la pierre. « Nous ne pouvions pas éclairer du haut vers le bas, et avec un flux asymétrique nous devions être particulièrement vigilants pour éviter toute nuisance lumineuse, précise Myriam Laval. Nous avions même pensé aussi à éclairer depuis les bancs en face, mais les personnes assises auraient fait de l’ombre, donc ce n’était pas très judicieux. Au moment des études, nous avons tout vérifié, tout contrôlé pour supprimer le flux résiduel vers le ciel. »

Un éclairage doux pour les cheminements Des bornes basses, de 0,60 m de hauteur, ponctuent discrètement les allées principales traçant des chemins de lumière qui permettent l’accès et la traversée du jardin. De part et d’autre du jardin, l’éclairage public a été rénové : réalisé avec des appliques disposées sur les façades des bâtiments et également de deux mâts en périphérie de la place Saint-Gervais du côté du parvis de l’église.

© Agence ON
Maîtrise d’ouvrage : Ville de Paris
Maîtrise d’œuvre : Wagon Landscaping (paysagistes mandataires)
Gilles Clément (création artistique), Soja architecture (architecte du patrimoine)
AREP (bureau d’études voirie réseaux divers, ouvrage d’art)
Pratiques Urbaines : urbaniste Jean-Marc Dreyfus (historien de la mémoire)
Agence ON (conception lumière)
Monono (sociologue)
Biotope (écologue)
Cronos Conseil (conseil en sécurité/sûreté)
Solutions éclairage : French Light (lueurs de mémoire) – Serrurier Augat (fixations des lueurs) – InstaLighting via Soliled (mise en lumière des stèles) – EWO (borne des cheminements) – Comatelec et Eclatec (éclairage public) – Soliled (système de pilotage et programmation)
Installateurs : Groupe Loiseleur et Citeos pour l’éclairage