Timothé Toury : une autre manière d’écrire la lumière

Timothé Toury
Timothé Toury © Carole Leclerc

Timothé Toury, designer issu de l’univers de la mode, s’est progressivement imposé comme concepteur lumière. Après un parcours marqué par la publicité, la décoration et l’événementiel artistique, il fonde son agence de conception lumière en 2016. Ses
projets, qu’ils soient éphémères ou pérennes, explorent le dialogue entre architecture, habitants et environnement.

Dans cet entretien, Timothé Toury revient sur ses débuts, ses rencontres fondatrices, et sa vision d’un métier en pleine mutation, entre innovation technologique et exigence poétique.

Vous venez du monde de la mode. Comment vous êtes-vous intéressé à la lumière et au métier de concepteur lumière ?
C’est le fruit d’un parcours pluriel, commencé dans la publicité pour la mode, prolongé par la décoration et l’organisation d’expositions. En 2008, j’ai fondé l’agence Blueland autour du lien entre art et environnement, avec des artistes travaillant sur la nature, la culture et le land art. Nous avons organisé de nombreux événements en France durant près de huit ans. Puis, en 2011, dans le cadre de la Fête des Lumières à Lyon, j’ai participé au « Mythe de la tête d’or », une installation féerique réunissant 200 sculptures en grillage illuminées selon une scénographie de 12 tableaux. Ce projet m’a amené à collaborer avec Récylum, et Philips qui m’a confié un programme de mécénat culturel consistant à mettre en lumière monuments et sculptures afin de valoriser son image en France. Nous avons ainsi conçu des projets dans de nombreuses villes (Marseille, Cannes, Monaco, Paris, Lille, Le Havre…). Progressivement, je me suis consacré exclusivement à la lumière, qui est devenue mon métier à part entière. Ces sculptures en grillage avaient une capacité unique à capter la lumière et trouvaient autant leur place lors d’une inauguration de tramway que dans un décor de Noël ou de festival.

Cette tournée marque donc vos débuts en tant que concepteur lumière ?
Oui, c’est précisément à ce moment que j’ai rencontré Farid Bouali, directeur général adjoint du groupe Valophis, bailleur social en Île-de-France. Il voulait transformer l’image du logement social en révélant chaque site par la lumière, afin d’embellir le quotidien des habitants et de redonner sens à l’histoire et à la géographie des lieux. En 2018, Valophis m’a confié la mise en lumière du square Dufourmantelle à Maisons-Alfort, ensemble HLM emblématique conçu en 1934 par André Dubreuil et Roger Hummel, inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Sur plus de 23 000 m² et près de 540 logements, il s’agissait de magnifier l’architecture sans la trahir. Les façades  en briques rouges ont été soulignées par des tonalités chaudes (3 000 K), tandis que les grands porches et corniches s’animaient d’un blanc feutré. L’éclairage instaurait un rythme apaisé, améliorant le cadre de vie et renforçant la sécurité. Ce projet illustrait déjà ma volonté d’équilibrer respect architectural et qualité de vie. J’avais créé mon agence de conception lumière en 2016.

Comment avez-vous abordé vos premières conceptions lumière pérennes ?
C’est avant tout une rencontre entre la matière et la lumière, qui permet de révéler les volumes, les perspectives et l’identité du lieu. Je me suis vite aperçu que cette approche n’était pas si éloignée de la mode : tout part du regard, de la façon d’observer les formes et l’environnement. La décoration m’a également appris à concevoir l’espace, et l’art à développer une écriture créative. Aujourd’hui encore, je travaille autant en intérieur qu’en extérieur, même si mes projets se déroulent surtout à l’air libre. Récemment, j’ai par exemple conçu l’éclairage du siège social de Cobat Constructions à Amblainville (60), en intégrant aussi bien les espaces de réception que les bureaux et les extérieurs, afin de créer une véritable identité lumineuse. J’ai débuté la conception lumière par des projets extérieurs, en participant notamment à sept éditions de « Nuit blanche » ou à « Coeur de ville en lumières » à Montpellier, ainsi qu’à huit projets HLM avec Valophis. J’ai volontairement privilégié des lumières douces et chaleureuses, en rupture avec les éclairages trop blancs et agressifs de l’époque. Les habitants ont très vite adopté ces ambiances, valorisant leurs immeubles et apaisant leurs déplacements. Comme les installations étaient appréciées, elles n’étaient plus dégradées. J’allais aussi à leur rencontre, je montrais des simulations, j’expliquais ma démarche : ces échanges ont permis aux habitants de se réapproprier la lumière et de renouer un dialogue.

Diriez-vous que votre façon de concevoir les mises en lumière est restée la même aujourd’hui ?
Oui et non, mais les technologies ont profondément évolué, et mes projets actuels, souvent pérennes, appellent davantage de subtilité que les installations éphémères, plus spectaculaires par nature. Aujourd’hui, on conçoit dans le respect de la biodiversité et avec une exigence d’économie d’énergie : l’éclairage doit être raisonné, minimaliste, mais toujours guidé par l’oeil humain. Il n’est pas nécessaire d’illuminer intégralement un bâtiment pour qu’il paraisse éclairé : quelques points de lumière suffisent à donner l’illusion d’une mise en valeur globale. C’est ce que j’ai fait à Fresnes, sur la résidence Val de Bièvre : 21 projecteurs seulement ont permis d’animer une façade de 150 m de long et 30 m de haut, tandis que des balises disposées en hauteur donnaient à l’immeuble une nouvelle dimension, le transformant en repère urbain.

Dix années se sont écoulées depuis la création de votre agence. Comment imaginez- vous les dix prochaines années ?
La profession traverse une mutation. L’intelligence artificielle, capable de générer en un instant des scénarios multiples, bouleverse déjà certains secteurs. Mais le rôle du concepteur lumière restera essentiel : apporter une lecture sensible, une créativité et un savoir-faire que la machine ne peut remplacer. L’IA deviendra un outil de recherche précieux, nous faisant gagner du temps, mais il faudra apprendre à la maîtriser. La conception lumière, elle, conservera sa part d’émotion et d’humanité, car derrière chaque projet, il y a toujours un regard, une intention, une manière de raconter l’espace et d’écrire la lumière.

Propos recueillis par Isabelle Arnaud

Parcours • • •
Le parcours de Timothé Toury est une fusion entre art, mode et lumière. Après avoir réalisé des campagnes publicitaires pour Jean-Claude Jitrois et exploré le monde de la décoration intérieure, il acquiert une longue expérience dans la direction artistique des Saisons culturelles de Saint-Tropez, du groupe Lieux d’émotions, de l’agence Blueland et de « Paris fait sa comédie », ainsi que la gestion d’expositions dans toute la France. Il découvre ensuite le monde de l’éclairage et change de cap en devenant concepteur  lumière. Depuis plus de quinze ans, il illumine des espaces architecturaux, des événements culturels et des installations artistiques (Capitale européenne, Fêtes des Lumières de Lyon, Ville de Paris, Montpellier, Dijon…), des HLM, des sièges sociaux, des hôtels, des restaurants : autant de projets qui créent chaque fois une émotion unique grâce à la lumière. Fort de plus de deux décennies de mises en lumière, Timothé Toury conçoit et met en œuvre des expériences visuelles et émotionnelles puissantes. Féru d’art contemporain et de design, il aime jouer avec la lumière, la culture, et la psychologie, pour créer des environnements immersifs qui résonnent profondément auprès du public. Timothé Toury est membre actif et trésorier de l’ACE.