Achats responsables : quand les bonnes pratiques créent de la valeur

Les achats responsables se basent sur un processus de concertation et de détermination des responsabilités des différents acteurs, qu’il s’agisse des services achats des entreprises ou des fournisseurs. Cette démarche, basée sur l’amélioration continue des pratiques, fait émerger de nouveaux enjeux et place les acheteurs au cœur de la stratégie RSE des organisations. La norme ISO 20400 viendra formaliser cette réflexion et sera publiée en français et en anglais à la mi-avril.

La mise en place d’une démarche d’achats responsables a pour objectif d’intégrer, dans un esprit d’équilibre entre les différentes parties prenantes, des exigences et des critères en faveur de la protection de l’environnement, du développement économique et du progrès social. L’acheteur recherchera donc des prestations de meilleure qualité pour augmenter son efficacité, tout en prenant en compte les coûts globaux de ses achats sur l’ensemble de leur cycle de vie. Le tout devra être mesuré et quantifié dans l’optique d’améliorer en continu la démarche.

« Tout commence par la sensibilisation et la motivation de la direction, mais aussi des collaborateurs et en particulier des services achats. Cette démarche doit également être soutenue par la stratégie RSE de l’organisation. Des formations existent pour sensibiliser les acheteurs à ces nouveaux enjeux. Il est ensuite conseillé de mettre en place des expérimentations sur certains domaines, sur lesquels l’entreprise est sûre de ne pas se tromper. Cette phase permettra d’améliorer la reconnaissance interne et de motiver les collaborateurs. »

Gérard Brunaud, secrétaire général de l’Observatoire les Achats Responsables (ObsAR)

« Il faut par la suite se renseigner sur les meilleures connaissances et pratiques du secteur, en se basant sur une démarche itérative. Enfin, le processus devra être étendu à l’ensemble des domaines de l’entreprise et être pérennisé », explique Gérard Brunaud, secrétaire général de l’Observatoire des Achats Responsables (ObsAR).

Témoignage : Béatrice Debrion, directrice adjointe des Achats de RTE

Béatrice Debrion, directrice adjointe des Achats de RTE

RTE possède un réseau qui irrigue largement le territoire national et, en tant qu’entreprise de service public, nous avons la responsabilité de développer des écosystèmes vertueux, via notamment nos fournisseurs, mais aussi les territoires. Depuis quelques années, RTE s’est engagé dans une démarche d’achats responsables : signature des chartes « Relations Fournisseurs Responsables » (2010) et « PME Innovantes » (2012), adhésion à l’association Pacte PME (2013), Programme Réseau durable de RTE (2013)».

C’est en mai 2016 que François Brottes, président du directoire, et Valérie Champagne, directrice générale adjointe Finances et Achats, ont signé une charte « Achats Responsables » qui venait donner une nouvelle impulsion à la démarche en renforçant l’intégration, des enjeux sociétaux, environnementaux et économiques dans nos activités. Nous n’avons bien entendu pas perdu de vue le fait de répondre au mieux aux besoins de nos clients et des collectivités. Cette charte prévoit 4 engagements clairement énoncés :

1 – Entretenir une relation équilibrée avec les fournisseurs Nous devons pour cela leur donner une visibilité sur notre politique d’achats, en les dotant de moyens nécessaires, comme par exemple la signature de marchés pluriannuels, basés sur des engagements financiers. L’objectif est donc d’allouer 80 % du montant des marchés en amont et de répartir par la suite les 20 % restants, au travers d’une évaluation basée sur le respect des engagements environnementaux, de qualité, mais aussi des conditions de travail.

2 – Sécurité et conditions de travail du personnel et des fournisseurs Nos fournisseurs ont les mêmes conditions de travail et de sécurité que nos salariés, dans une volonté d’équité naturelle.

3 – Réduction de l’empreinte environnementale Nous disposons pour cela de différents leviers. Nous nous orientons d’abord, non plus vers le moins-disant, mais vers le mieux-disant. Ensuite, nous favorisons une approche par les coûts complets, en analysant la valeur ajoutée des prestations proposées selon les 3 piliers traditionnels : environnemental, sociétal et économique.

4 – Renforcement de l’ancrage territorial et soutien aux PME Nous souhaitons soutenir les PME en favorisant l’emploi local en créant les conditions de la rencontre entre les grands groupes et le tissu local via l’organisation de forums inter-entreprises ou encore par un allotissement approprié des marchés avec une publication de nos besoins, qui soit accessible aux PME. Enfin, cette démarche se base sur une évaluation constructive des fournisseurs. Nous cherchons toujours les axes d’amélioration et de développement.

Cette démarche a modifié les comportements en interne et a permis de donner plus de sens à la fonction « Achats » en remettant les acheteurs au cœur d’une vision globale et d’une réflexion sur les nouveaux enjeux de développement durable au sens large. À l’externe, nous avons constitué un forum des fournisseurs, pour améliorer la compréhension et accélérer la mise en mouvement. Les retombées sont observées via les retours chantiers, et le respect des engagements est vérifié en continu.

Témoignage : Thierry Parat, délégué Qualité et Développement durable au sein de la direction Achats du groupe EDF

Thierry Parat, délégué Qualité et Développement durable au sein de la direction Achats du groupe EDF

Nous avons lancé une démarche structurée d’achats responsables il y a une dizaine d’années. Dans un premier temps, nous avons ajouté des exigences ad hoc dans nos conditions générales d’achats dans l’optique de compléter notre référentiel de clauses contractuelles. Ces exigences ont d’abord concerné le respect du pacte mondial (Global Compact) et la qualité de la relation avec les fournisseurs.

Dans un deuxième temps, notre objectif était de s’assurer des bonnes pratiques – respect, responsabilité et solidarité – de nos fournisseurs. Nous avons donc mis au point une charte pour rappeler les devoirs de chacune des parties, acheteurs et fournisseurs, en se dotant de moyens de contrôle. Chaque fournisseur doit donc accepter cette charte, en mettant en place ses principes et en les faisant respecter à ses propres fournisseurs ou sous-traitants.

Ensuite, nous voulions nous assurer de la progression de nos actions. EDF a donc lancé un dispositif d’audits, confié à un prestataire externe pour des questions d’indépendance. Les auditeurs se déplacent sur site de production, chez nos fournisseurs, pour constater les actions mises en place et les évaluer au regard de notre référentiel. Par la suite, le cas échéant, des plans d’actions sont envisagés pour améliorer la démarche.

La phase d’audit, prévue pour durer deux jours, est qualifiée de « complète lourd ». Le dispositif a par la suite été complété par l’intermédiaire d’un questionnaire d’autoévaluation soumis aux fournisseurs, édité et traité par ACESIA (AFNOR Solutions). Les réponses du fournisseur sont ensuite contrôlées. Si le résultat du questionnaire est non satisfaisant, un audit de suivi est lancé et des actions d’améliorations identifiées.

Notre dispositif actuel se base sur une démarche positive et incitative, mais certains aspects sont rédhibitoires, comme le travail des enfants, le non-respect des conditions d’hygiène et de sécurité, des dérives environnementales importantes. Ils peuvent donner lieu à l’arrêt du contrat.

Le processus de contractualisation prend en compte la question des achats responsables de la façon suivante :

1 – Le cahier des charges envoyé aux candidats comporte nos exigences et demandes en matière d’achats responsables.

2 – Le choix des fournisseurs réalisé sur la base de critères de mieux-disance peut intégrer des critères RSE.

3 – Dans la période d’exécution du contrat, pour une durée standard prévue entre deux et cinq ans, nous appliquons une surveillance de nos fournisseurs, par l’intermédiaire de questionnaires et d’audits.

4 – Une fois l’audit réalisé, celui-ci peut se révéler satisfaisant ou non. Dans le deuxième cas, un plan d’actions est mis en place et nous procédons à l’examen de ce plan d’actions quelque 6 mois plus tard, pour nous assurer que les dispositions prévues ont bien été respectées.

De cette démarche, EDF, labellisée Relations Fournisseur Responsables, a tiré des avantages externes, en montrant que l’entreprise s’inscrit dans la dynamique des achats responsables, se soucie de la RSE et contribue à l’amélioration de la performance environnementale et sociétale de ses fournisseurs, en favorisant les pratiques les plus vertueuses. Nous avons aussi tiré des avantages en interne, matérialisés par la mobilisation des équipes, notamment au sein de la direction des Achats, mais aussi au sein de l’ensemble des services qui se sentent concernés par ces sujets.

Témoignage : Delphine Surun, en charge de l’animation de la communauté plastique corporate et R&D de Schneider Electric

Delphine Surun, en charge de l’animation de la communauté plastique corporate et R&D de Schneider Electric

La démarche d’achats responsables mise au point par Schneider Electric englobe toute la chaîne de valeur de l’entreprise, de la R&D aux Achats en passant par les fonctions opérationnelles et la direction. Nous avons d’ailleurs été précurseurs sur le fait de diminuer la quantité de matières plastiques contenant des retardateurs de flamme de type halogénés dans nos produits.

Cette démarche commence par une équipe d’expertise environnementale dédiée à l’analyse des réglementations et leurs fonctionnements, pour nous permettre de prendre les bonnes dispositions en interne et avoir une vision long terme des impacts sur notre marché. Nous avons également rédigé une directive interne qui décrit les orientations matière que le groupe souhaite prendre, en lien avec sa stratégie environnementale. Celle-ci a pour objectif de définir clairement ce que nous voulons et ne voulons pas retrouver dans nos plastiques.

À l’issue de cette directive, le service Achats de Schneider Electric échange avec ses fournisseurs pour faire évoluer leurs offres.

Une démarche d’éco-conception est également en train de se déployer en interne sur l’ensemble des projets de développement de nos nouvelles offres, ce qui permet d’embarquer l’ensemble des acteurs. Nous commençons ainsi par exemple à intégrer des matières recyclées dans certains de nos produits et nous avons des actions dans nos usines de moulage afin de réduire au minimum la production de déchets plastiques.

Nos relations avec nos fournisseurs ont changé avec l’arrivée de ces enjeux et ils ont aujourd’hui besoin de connaître le détail de nos axes de travail.

Nous mettons notamment un accent particulier sur le fait d’embarquer l’ensemble de nos fournisseurs dans l’ISO 26000, qui est l’une des conditions primordiales pour poursuivre notre collaboration. Nos relations peuvent donc être qualifiées de plus durables, car nous échangeons constamment en amont des phases d’achats, mais aussi en aval pour s’assurer de la bonne exécution du contrat, via des audits fournisseurs ou la diffusion de questionnaires. Les plans d’actions d’améliorations sont revus lors de points réguliers avec eux et mesurés au travers d’une tierce partie, ECOVADIS, qui communique un scoring. Ces données font d’ailleurs partie de l’évaluation des fournisseurs.

ISO 20400, la nouvelle norme des Achats Responsables

Isabelle Lambert, chef de projet normalisation au sein du groupe AFNOR

Cette norme est issue d’une demande française. Pour son élaboration, nous avons réuni 40 pays autour de la table lors de 19 réunions. Elle ne fixe pas d’obligations, mais des recommandations pour tous types d’acteurs – dirigeants, services Achats, acheteurs – et toutes tailles d’entreprises.

L’ISO 20400 pose tout d’abord les grands principes de la fonction Achats, du management aux ressources à mobiliser, en passant par la formalisation de la démarche d’achats responsables. Il s’agit ici d’un processus de normalisation classique avec son lot de recommandations, mais nous ne savons pas encore si le marché s’emparera d’une telle norme. Des outils d’évaluation ou de certification sont également mis à disposition des entreprises volontaires, tels que le label Relations Fournisseur Responsables.

Cette norme permet également de structurer les fonctions Achats, en renforçant les pratiques RSE par l’intermédiaire de sujets clés, comme la question des risques tout au long du processus d’achat, la priorisation des fournisseurs ou encore le devoir de vigilance. Elle prend également en compte deux dimensions incontournables : la priorisation des entreprises locales et des intérêts nationaux lors des démarches d’achats.

Notre satisfaction principale est que cette norme a été accueillie très positivement par les acheteurs, de par les recommandations très opérationnelles qui y sont énoncées. De plus, elle permet d’asseoir la fonction Achats en y apportant une forte valeur ajoutée et à la direction de comprendre les grands enjeux. La norme ISO 20400 sera publiée à la mi-avril 2017 en français et en anglais.

Les Achats responsables, une opportunité de créer de la valeur

La question des achats responsables aborde des dimensions qui n’étaient pas prises en compte par les acheteurs « traditionnels », en intégrant une approche par les coûts globaux : maintenance, consommation, externalité et risque. Cette démarche s’inscrit sur le long terme, avec des économies substantielles à la clé.

La mise en place d’une telle démarche permet d’apporter des bénéfices aux entreprises volontaires, comme nous l’explique Gérard Brunaud : « Les avantages générés peuvent être de différentes nature, internes par la mobilisation des collaborateurs et de la direction et externes par l’amélioration de l’image et de la réputation, mais aussi des relations avec les fournisseurs. Un autre aspect central est celui de la diminution des risques : il est important de rappeler que certaines compagnies d’assurances minorent leurs tarifs pour les entreprises ayant mis en place une démarche RSE aboutie. »

Alexandre Arène

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