Interview de Mme Michèle Pappalardo, directrice de cabinet du ministère de la Transition écologique et solidaire

Michèle Pappalardo

Magistrat à la Cour des Comptes, ancienne directrice générale de l’Ademe, et de France 2, Michèle Pappalardo a occupé les fonctions de responsable du Commissariat général au développement durable, coordinatrice de Vivapolis, avant d’être nommée directrice de cabinet du ministère de la Transition écologique et solidaire, fonction qu’elle retrouve après l’avoir occupée auprès de Michel Barnier. Michèle Pappalardo dispose d’une connaissance accrue des sujets liés à l’environnement, de la filière française du bâtiment et de la ville durable.

Pouvez-vous brièvement nous décrire votre fonction de directrice du cabinet du ministre de la Transition écologique et solidaire, M. Nicolas Hulot ? En quoi consiste cette fonction au quotidien ?
Michèle Pappalardo – En tant que directrice du cabinet, je me vois avant tout comme une cheffe d’orchestre, en ce sens où je m’efforce d’harmoniser l’ensemble des activités du ministère. Je suis le lien entre les administrations, les conseillers et le ministre. J’accompagne le ministre quotidiennement dans ses prises de décisions, mais je veille aussi à leur bonne exécution. À cette fin, je coordonne l’action des administrations centrales du ministère et de ses opérateurs, en veillant à leur cohérence avec les orientations stratégiques de nos politiques publiques. J’espère avoir aussi une petite expertise sur certaines de ces politiques publiques…

Ces responsabilités impliquent une totale confiance entre le ministre et sa directrice de cabinet, bien sûr, mais aussi plus largement, avec l’ensemble des membres du cabinet.

Quelles sont vos observations sur le secteur du bâtiment et de la ville durable et son impact sur l’économie française ?
M. P. – Le secteur du bâtiment est sans conteste l’un des principaux secteurs d’activité économique en France. Il a su s’adapter au cours du temps à de nombreuses évolutions des techniques et de son environnement. Aujourd’hui, ce sont notamment les technologies numériques qui le font évoluer : le BIM, les smart grids, la domotique… Mais surtout, il emporte des enjeux considérables pour l’ensemble de la société, en particulier pour la transition écologique et solidaire qui, bien plus qu’une transition environnementale, est avant tout une transition économique et sociétale.

Le secteur du bâtiment a ainsi aussi bien intégré les enjeux énergétiques en permettant la réalisation d’économies d’énergie de grande échelle ou en participant au déploiement des énergies renouvelables, qu’il s’est saisi des enjeux écologiques, notamment climatiques, en contribuant à la réduction de notre empreinte carbone par exemple, mais aussi dans le domaine de l’économie circulaire, même s’il reste encore beaucoup à faire pour le recyclage des déchets du bâtiment.

Quels sont les atouts de la France en matière d’économie verte, d’efficacité énergétique, d’énergies renouvelables ?
M. P. – La France a de multiples atouts dans tous ces domaines et, contrairement à ce que l’on dit parfois, elle n’a pas à rougir de ses résultats, même s’ils peuvent être sensiblement améliorés !

En matière d’efficacité énergétique tout d’abord, notre pays est fort notamment de ses grandes entreprises de construction telles que Spie Batignolles, Eiffage ou encore Bouygues et Vinci, qui sont les deux leaders mondiaux du secteur. C’est grâce à ces grands groupes que nous pouvons être ambitieux dans nos objectifs, car ensemble nous avons les capacités d’amorcer une transition écologique concrète et irréversible.

En matière d’énergies renouvelables, notre atout principal est la diversité de notre potentiel. Rares sont les pays qui, comme le nôtre, peuvent développer aussi bien l’énergie solaire que l’éolien (terrestre et offshore), l’énergie hydraulique, la géothermie et la biomasse. Toutes ces énergies sont là et n’attendent qu’une chose : que nous les exploitions.

D’une manière plus générale, en matière d’économie verte, notre meilleur atout est notre matière grise ! Je suis souvent surprise par l’imagination et l’ingéniosité de nos startups dans ce domaine et par l’enthousiasme et la motivation des jeunes (ou moins jeunes) qui les créent et les dirigent ; il nous faut mieux nous organiser pour leur permettre de mieux se financer et se développer.

Quels sont, selon vous, les grands leviers pour réduire les consommations et l’impact environnemental des bâtiments en France ?
M. P. – Le premier levier est celui de l’augmentation de notre efficacité énergétique, dans les bâtiments neufs, bien entendu, mais surtout dans les bâtiments existants. Cela veut dire que nous devons avant tout nous concentrer sur la rénovation des 7 à 8 millions de passoires thermiques de notre parc actuel, et en particulier sur les 3,8 millions occupées par des ménages en situation de précarité énergétique. Nicolas Hulot le rappelle systématiquement : nous devons donner la priorité à la solidarité et aider les plus modestes à réduire leur facture énergétique, c’est notre meilleur levier pour la transition écologique.

Ces progrès passeront par la rénovation des bâtiments et l’intégration des progrès technologiques : le déploiement et l’accessibilité de toutes les innovations sont nécessaires. Mais cela passe aussi par la mobilisation des habitants, ce qui suppose de maintenir nos efforts de pédagogie pour faire changer les comportements : éteindre le chauffage lorsqu’on ouvre une fenêtre, éteindre la lumière quand on quitte une pièce… mais, pour ça aussi, les technologies vont venir à notre aide avec des dispositifs automatiques pour détecter nos besoins et s’y adapter sans même qu’on y pense.

En outre, on sait aussi aujourd’hui que la construction des bâtiments est un grand consommateur d’énergie, et nous avons là un nouveau gisement de réduction d’impact environnemental à explorer.

Sans oublier bien sûr le nécessaire recyclage des déchets du bâtiment de manière à réduire drastiquement le recours à des matières premières qui se font de plus en plus rares et difficiles à exploiter.

Enfin, la consommation d’espace et l’artificialisation des sols liées à la construction constituent des sujets de plus en plus prégnants et qu’il va falloir mieux traiter dans les années à venir.

D’un point de vue législatif, le sujet du bâtiment fait l’objet actuellement de nombreuses réglementations. Le plan rénovation énergétique est actuellement en concertation. Quelles en seront les grandes lignes ?
M. P. – Le plan de rénovation énergétique des bâtiments va se déployer autour de quatre axes. Tout d’abord, il est essentiel que nous fassions de la rénovation énergétique une priorité nationale. Pour cette raison, nous mobiliserons les ministères et les collectivités territoriales pour la mise en œuvre de ce plan et nous développerons un programme ambitieux d’éducation aux économies d’énergie. Ce sera notre premier axe. Notre 2e axe consistera à lutter contre la précarité énergétique et à massifier la rénovation pour les particuliers. Nous nous concentrerons notamment sur la rénovation des passoires thermiques habitées par des ménages précaires, un guichet unique d’information sera créé et nous nous efforcerons de rendre les aides publiques plus lisibles, efficaces et incitatives pour les particuliers. Le 3e axe portera sur la rénovation des bâtiments publics et tertiaires. Nous favoriserons ainsi la rénovation du parc public tout en poursuivant la rénovation du parc tertiaire privé, avec pour objectif une réduction de la consommation énergétique d’au moins 40 % en 2030. Enfin, le 4e axe du plan de rénovation des bâtiments portera sur le renforcement des compétences et de l’innovation avec notamment le déploiement d’un important soutien de l’État en faveur de ces innovations et de leur diffusion à un maximum d’acteurs.

Une consultation en ligne a été lancée sur le thème du plan rénovation énergétique, destinée à faire participer l’ensemble des citoyens qui le souhaitent à son élaboration. Quel est l’objectif de cette démarche ?
M. P. – La concertation sur le thème du plan de rénovation énergétique a été lancée conjointement par le ministère de la Transition écologique et solidaire et le ministère en charge de la Cohésion des territoires. Notre objectif est non seulement de permettre à l’ensemble des citoyens qui le souhaitent de participer à l’élaboration de ce plan, mais aussi à l’ensemble des parties prenantes – fédérations professionnelles, associations de consommateurs, associations environnementales, représentants des collectivités territoriales et opérateurs publics – de nous préciser leurs commentaires et propositions. Le plan définitif ne sera arrêté et arbitré qu’après cette consultation et il intégrera ses résultats. C’est aussi un moyen de susciter l’adhésion et la mobilisation de tous, citoyens, collectivités locales, professionnels… Sans cette mobilisation, le plan ne pourra pas atteindre ses objectifs.

Lors de l’assemblée extraordinaire du Plan Bâtiment Durable, le 16 janvier dernier, vous évoquiez l’idée de créer une « marque ombrelle » intégrant l’ensemble des dispositifs de rénovation énergétique. Quel en serait l’objectif ?
M. P. – L’objectif en réalité est assez simple : nous devons mieux organiser la communication autour du plan de rénovation des bâtiments. Aujourd’hui, les sigles, les labels et les marques, plus ou moins locales ou spécialisées, sont nombreux en matière de rénovation énergétique, si bien qu’il est difficile à nos concitoyens de s’y retrouver. La création d’une marque ombrelle nationale permettra de repérer plus facilement les actions et les acteurs qui participent bien à cette démarche nationale, même si c’est dans le cadre d’une action plus locale ou plus spécialisée. Cela permettra donc à chacun de prendre des initiatives, tout en faisant en sorte de ne pas perdre la visibilité globale du plan. Les entreprises et les collectivités territoriales seront donc incitées à utiliser cette « marque ombrelle » dans leur communication puisqu’elle témoignera de leur implication dans la réalisation de nos ambitions et en faveur de la transition écologique.

Les aides de l’État pour la rénovation des logements évoluent constamment, ce qui a pour effet d’« embrouiller » les professionnels et les particuliers. Le gouvernement s’engagera-t-il à stabiliser ces dispositifs dans le temps, en y intégrant éventuellement de nouvelles technologies ?
M. P. – Non seulement nous stabiliserons les dispositifs existants, mais en plus nous voulons créer un guichet unique d’information qui sera mis à la disposition des particuliers. En effet, sur la base des propositions du rapport présenté le 20 décembre dernier au CSCEE (Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique) par Michel Piron et Benoît Faucheux, il nous faut créer un véritable service public de la performance énergétique, associant l’État, ses opérateurs et les collectivités locales, et qui accompagnera les professionnels et les particuliers dans leurs démarches de rénovation ou de construction de logements à faible consommation énergétique.

Le décret tertiaire, publié au Journal officiel le 9 mai 2017, a été suspendu deux mois plus tard suite à un recours. Quand reviendra-t-il à l’ordre du jour ?
M. P. – Le décret tertiaire a été suspendu par le Conseil d’État le 11 juillet 2017 parce qu’il instaurait une obligation de réduction de – 25 % des consommations énergétiques d’ici à 2020, or la loi de transition énergétique accorde un délai de cinq ans entre la publication du décret d’application et son entrée en vigueur. La loi ELAN (loi relative à l’évolution du logement et aménagement numérique) inclura une nouvelle rédaction de la loi de transition énergétique qui nous permettra de reprendre le décret, désormais sécurisé juridiquement, avec le même niveau d’ambition.

Quelles seront les différences avec la version précédente du texte, jugée trop contraignante par un certain nombre de syndicats professionnels (FFB, Perifem…) ?
M. P. – En réalité, il y aura très peu de différences. La version précédente du texte était jugée trop contraignante du fait des seuils intermédiaires que le précédent gouvernement avait introduits alors qu’ils n’étaient pas prévus par la loi. Ces seuils étaient trop proches et ne laissaient pas le temps aux professionnels de réaliser les travaux nécessaires au respect de leurs obligations.
Le nouveau décret ne fixera pas d’objectif avant 2030 et donnera par conséquent plus de possibilités aux acteurs concernés pour qu’ils s’organisent. Mais les niveaux d’exigences ne changent pas.

Pour finir, ce numéro de J3e, comme c’est le cas tous les deux ans, donne la parole aux expertes du bâtiment et de l’énergie. Quel est votre ressenti sur la place des femmes au sein de ces filières, traditionnellement très masculines ?
M. P. – Je trouve que les femmes sont encore trop peu présentes dans les filières du bâtiment et de l’énergie ! Il faut en finir avec ce mythe selon lequel certains secteurs d’activité seraient davantage masculins que féminins.
Par ailleurs, j’en ai toujours été intimement convaincue, la mixité est aussi garante d’une plus large créativité et d’une plus grande inventivité, or nous avons besoin de toutes les intelligences – celles de toutes les femmes et de tous les hommes – pour surmonter le défi de la transition écologique et solidaire. Quoi qu’il en soit, personnellement, j’ai toujours fait le constat que les équipes de travail mixtes fonctionnent bien mieux que celles exclusivement masculines ou féminines.

Avez-vous constaté une évolution au cours de votre carrière ?
M. P. – Très sincèrement, je n’ai pas le sentiment que les choses aient beaucoup changé, malheureusement. Je continue à me sentir bien seule dans certaines réunions concernant nos secteurs du bâtiment et de l’énergie… malgré les efforts qui ont été faits, je le sais, notamment pour recruter plus de femmes dans le secteur du bâtiment. C’est pourtant un enjeu majeur pour ces filières si elles veulent pleinement s’inscrire dans la modernité. Mais je reconnais que c’est une question qui touche plus largement à l’ensemble des activités du secteur secondaire, de l’industrie et de la construction, et je pense que les femmes elles-mêmes ont une certaine responsabilité dans cette situation. À nous de mieux faire partager aux jeunes étudiantes tout l’intérêt de ces secteurs d’activité et de leur place dans la résolution des problèmes majeurs d’environnement et de développement durable auxquels nous devons faire face collectivement.

Propos recueillis par Alexandre Arène

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