Alain Maugard, président de Qualibat : « Jouer collectif… »

Polytechnicien et ingénieur général des Ponts-et-chaussées, Alain Maugard voue une véritable passion pour le secteur du bâtiment dont il est un infatigable défenseur. Homme de conviction, avant-gardiste, confiant quant à la capacité de la filière française à réussir sa révolution du Bepos et du smart grid, il n’hésite pas à bousculer les a priori pour faire bouger les lignes et faire avancer ce qu’il considère être une « industrie moderne et d’avenir » : le bâtiment.

j3e – Vous avez participé à la rédaction du rapport d’étape du groupe du travail Réflexion Bâtiment Responsable 2020-2050 (1). Quel principal enseignement en tirez-vous ?

Alain Maugard – Le secteur du bâtiment a cela de particulier qu’il n’a pas de limite dirimante à l’ambition de performances énergétiques et environnementales. Parfois, dans un secteur, vous rencontrez des problèmes techniques, économiques, sociologiques ; vous savez qu’il va y avoir d’importantes barrières à franchir. En ce qui concerne le bâtiment responsable à horizon 2020, qu’on appelle le Bepos, plus on creuse le sujet plus on constate qu’il est réalisable. Nous projetons le bâtiment responsable à 2020-2050, mais en réalité nous savons déjà le faire !

Si l’on veut être ambitieux, comme je le pense, il faut faire vite et viser haut en termes de performance. Il est certain que sans ambition, il n’y a pas de difficultés. Les défis se posent dans l’hypothèse où l’on est très ambitieux, avec un bâtiment sain, fortement à énergie positive, faiblement carboné, qui tienne compte de l’énergie grise, d’une politique de stockage pour pallier les problèmes d’intermittence… Atteindre cet objectif d’ici à 2020, c’est ça l’ambition !

Est-ce si compliqué ? Tout dépend de notre manière de voir les choses. Le secteur du bâtiment est longtemps resté dans un mode de fonctionnement traditionnel. Il apparaissait peu dynamique, avec un rythme d’innovation lent. La filière ne suscitait pas les vocations. Tout cela va changer. Le Bepos est un défi, mais je n’en tire pas la conclusion que, sous prétexte que cet objectif est ambitieux, il le serait trop. Il n’y a pas trop d’ambition dans le bâtiment.

 

j3e – Deux labels tiennent une place importante dans cet objectif Bepos…

A.M. – En effet, deux labels nationaux vont être mis en place, selon deux échéances : le label Bepos 2013-2014, basé sur les labels d’État HPE et THPE pour la consommation énergétique. Il est lancé par Effinergie et constituera la 1re étape Bepos.

Le deuxième label, Bepos génération 2018, ajoutera la prise en compte d’autres aspects, dont l’énergie grise, l’empreinte carbone, l’autoconsommation, etc. Les niveaux d’exigence ne sont pas précisés à ce stade, mais il était important d’annoncer les paramètres visés pour que les industriels puissent chercher dès maintenant des solutions qui permettront d’y répondre.

Avec ces labels, nous raisonnons bien en termes de résultats nets de production-consommation attendus. S’il veut s’en assurer, un maître d’ouvrage pourra ensuite faire appel à des organismes certificateurs pour valider cette performance, c’est tout à fait jouable.

 

j3e – Le stockage d’énergie va s’inscrire dans le Bepos pour autoconsommer plus et mieux gérer l’intermittence des EnR. Quel est le schéma pour les grands immeubles ou les logements collectifs ?

A.M. – Nous allons en effet découvrir que cet aspect stockage-autoconsommation se joue différemment en maison individuelle et dans un immeuble de bureaux ou de logements collectifs situés dans un tissu dense. Le rapport « Réflexion Bâtiment Responsable 2020-2050 » offre des perspectives sur ce point, à travers l’idée d’éco-quartiers à énergie positive : trouver l’optimum sera plus pertinent au niveau d’un quartier que d’un seul immeuble neuf de logements collectifs ou de bureaux. Il s’agira de rechercher l’optimum d’un éco-quartier et pas d’un seul immeuble. Cela permettra d’inclure le parc existant, de louer par exemple des toitures pour installer des générateurs photovoltaïques. On peut imaginer récupérer la chaleur accumulée dans des bureaux pour chauffer des logements le soir, l’énergie produite par un immeuble de logements collectifs pourra alimenter un autre bâtiment en journée… Jouer collectif donnera de la latitude pour mieux gérer l’énergie.

 

j3e – Et tirer profit des tarifs variables d’achat et de vente d’énergie…

A.M. – Exactement. On peut s’en inquiéter, mais on peut aussi s’enthousiasmer pour ces perspectives d’organisation car elles portent une idée nouvelle très intéressante, celle de retrouver une autonomie énergétique, c’est-à-dire de prendre son destin énergétique en main et donc, trouver des espaces de liberté nouveaux. C’est très important. Et c’est là où le smart grid va intervenir. Dans ce schéma énergétique, on promet une rémunération si vous ne consommez pas dans les périodes de pointe, que vous soyez un particulier dans le cas d’une maison individuelle, ou une coopérative de consommateurs et de producteurs, dans le cas d’un éco-quartier. Nous savons qu’une politique de stockage et d’autoconsommation aidera à régler la question de l’intermittence des énergies renouvelables, que les tarifs variables sont absolument essentiels dans ce cadre-là. Soit vous allez consommer et produire sans réfléchir, soit vous allez gérer votre consommation et votre production à la manière d’une petite entreprise, pour acheter et vendre au meilleur prix et gagner économiquement. À nous de décider où se place notre ambition.

 

j3e – Dans une de vos contributions au site XPair2, vous évoquez l’idée que les constructeurs automobiles français, à l’image de Toyota au Japon, pourraient proposer des constructions « industrielles ». Une provocation ?

A.M. – J’aime bien susciter des réactions ; si je nuance trop, on va dire que je fais un devoir de Science Po ou de l’Ena. Plus sérieusement, je voulais poser la question de l’industrialisation du bâtiment. Il est tout à fait exact que Toyota a proposé des maisons industrialisées, même si cette orientation n’a pas pris d’énormes proportions. L’idée est la suivante : le bâtiment est aujourd’hui au même niveau de technicité que l’automobile. Ce qui me frappe est que la voiture, qui était un produit uniforme, a évolué et présente aujourd’hui certes des éléments invariants (châssis, éléments de suspension…) mais de plus en plus d’autres variants (motorisation, couleur, finition intérieure…). Je pose donc la question : pourquoi ne pas industrialiser partiellement le bâtiment comme le fait le secteur automobile avec la voiture ?

Par rapport à d’autres secteurs industriels, la construction n’a pas fait les mêmes gains de productivité ; construire coûte de plus en plus cher. En électronique, la miniaturisation permet d’abaisser les coûts ; une évolution impossible dans le bâtiment et l’automobile où l’espace n’est pas miniaturisable. Pour réduire le coût, ou bien vous diminuez la quantité de matériaux, ou bien vous modifiez les process de production. Il y a eu des tentatives d’industrialisation du gros œuvre de la construction, en France, mais elles n’ont pas pris. Je crois pourtant que le problème de la productivité du bâtiment se pose. Le modèle actuel, qui ne rémunère pas très bien ses entreprises et fonctionne sur un système semi-artisanal, de proximité, est un modèle en bout de course.

 

j3e – La professionnalisation du secteur est un autre virage annoncé, notamment du fait de la mesure sur l’éco-conditionnalité3. Comment voyez-vous cela, vous qui présidez l’organisme de qualification Qualibat ?

A.M. – Tout le monde attendait de voir si le gouvernement actuel allait maintenir la mesure annoncée par le précédent gouvernement sur l’éco-conditionnalité. C’est chose faite et les demandes de qualification RGE (Reconnu Grenelle Environnement) devraient arriver en nombre. Il est certain que cette mesure va obliger la filière à s’organiser pour répondre à toutes les demandes de formation. Au-delà de la formation Feebat initiée par la Capeb et la FFB, des industriels sont prêts à faire de la formation sur un contenu identique pour éviter un goulot d’étranglement. Notre filiale Certibat vérifiera le sérieux de cette formation pour déterminer si elle peut être prise en compte pour la qualification « Reconnu Grenelle Environnement ».

Pour le moment ce n’est qu’un frémissement, mais nous sommes entrés dans l’éco-conditionnalité ; les acteurs de l’ingénierie comme ceux des entreprises de construction, qui n’avaient pas besoin de diplôme pour exercer dans le bâtiment, vont devoir prouver leur qualification.

 

j3e – C’est une renaissance pour le bâtiment ?

A.M. – Je pense en effet que tous ces changements ouvrent un vaste champ d’opportunités pour la filière. Et, pour revenir à votre première question, je dirais que manquer d’ambition serait impardonnable. Nous avons le devoir d’être compétents et à la hauteur des ambitions qui sont les nôtres. Je ne peux pas accepter l’idée que l’on freine l’ambition parce qu’on ne serait pas capables. Soyons au contraire le plus ambitieux possible. Élevons le niveau.

Le problème de la France est là. Ce pays se bloque. Il se demande où est son avenir. Il faut retrouver des challenges, des lieux de progrès et d’innovation, et s’y engager avec gourmandise, pas en ayant peur. Le bâtiment est une chance. Il est en train de devenir un secteur d’avenir, qui va attirer les meilleurs de nos ingénieurs, de nos techniciens et de nos scientifiques. Il n’est pas ridicule de parler d’une « industrie du bâtiment comme d’une industrie moderne et d’avenir ». En 2007, j’ai beaucoup fait de sceptiques en évoquant le bâtiment à énergie positive. Aujourd’hui, tout le monde parle du Bepos. C’est bon signe. C’est très bon signe.

 

Propos recueillis par Pascale Renou

 

 

(1) Rapport d’étape « Embarquement immédiat pour un bâtiment sobre, robuste et désirable » réalisé par un groupe de travail indépendant, composé d’acteurs de l’immobilier et de la construction, et coprésidé par Bernard Boyer, président de SUN BBF, et Christian Cléret, DG de Poste Immo. Ce document se veut une contribution au grand débat sur la transition énergétique. Disponible sur le site Internet du Plan Bâtiment Durable, les lecteurs sont invités à donner leur avis. Un colloque permettra de partager l’ensemble des réflexions recueillies.

(2) « Le Bepos, hâtons-nous ! », Alain Maugard, 8 juillet 2013. À lire sur http://conseils.xpair.com/lettres_expert/2/le-bepos-hatons-nous.htm.

(3) Proposition initiée par la Capeb, la FFB et le Plan Bâtiment Durable, l’éco-conditionnalité est un processus qui veut que les aides de l’État en matière de travaux de rénovation (l’éco-PTZ et le CIDD) soient obtenues à condition de recourir à des professionnels labellisés « Reconnu Grenelle Environnement ». Une annonce ministérielle, le 23 juin 2013, a confirmé l’entrée en vigueur de l’éco-conditionnalité au 1er juillet 2014.

 

 

 

Le Bepos est un défi, mais je n’en tire pas la conclusion que, sous prétexte que cet objectif est ambitieux, il le serait trop. Il n’y a pas trop d’ambition dans le bâtiment.

 

 

Je crois que le problème de la productivité du bâtiment se pose. Le modèle actuel, qui ne rémunère pas très bien ses entreprises et fonctionne sur un système semi-artisanal, de proximité, est un modèle en bout de course.

 

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