La récupération des énergies fatales

Réutiliser les énergies que l’on croyait perdues, c’est maintenant possible. En effet, la récupération de l’énergie qui quitte les bâtiments et sa réutilisation, loin du vœu pieux, devient une réalité économique qui se traduit par des projets variés et pérennes, en neuf comme en rénovation.

L’énergie fatale issue du refroidissement des datacenters, un gisement permanent d’énergie

Les solutions de réduction des impacts des datacenters s’articulent autour de quatre axes :

  • sobriété énergétique (ne consommer que l’énergie nécessaire) ;
  • efficacité énergétique (mieux consommer l’énergie) ;
  • valorisation des énergies renouvelables ;
  • valorisation de l’énergie fatale par récupération.

Alors qu’un datacenter peut consommer en électricité l’équivalent d’une ville de plusieurs dizaines de milliers d’habitants, la récupération et la valorisation locale de la chaleur dissipée par les datacenters semblent indispensables… mais ne sontt pas pour autant devenues un réflexe dans le domaine : pourtant, plus d’un tiers de l’énergie consommée par un datacenter l’est au niveau de son système de refroidissement. Refroidissement des serveurs qui est en fait un simple transfert de chaleur de l’intérieur vers l’extérieur du datacenter, quel que soit le mode de climatisation choisi. Enfin, n’oublions pas que cette chaleur perdue peut aussi contribuer en été à la création d’îlots de chaleur.

Une valorisation possible, l’injection de la chaleur évacuée dans un réseau de chauffage urbain

Plusieurs cas en France et dans le monde sont réalisés : à Val d’Europe, la chaleur récupérée du datacenter alimente un réseau de chaleur. Dans ce cas, c’est l’opérateur du datacenter qui récupère la chaleur au niveau de ses groupes de refroidissement et qui la livre à l’opérateur du réseau de chaleur en limite de propriété. Citons également un autre datacenter à Aubervilliers où une partie de la chaleur d’un datacenter est récupérée pour chauffer une serre. En Europe, à Helsinki,un datacenter de 2 MW chauffe l’équivalent de 1 000 appartements.

La Maison de la RATP, à Paris, divise par 2 sa consommation énergétique

« Nous avons réussi à diviser par 2 en 5 ans la consommation énergétique du siège de la Maison de la RATP, avec un programme d’actions complet dont la récupération de chaleur issue du groupe froid des datacenters », déclare Grégory Rohart, chargé de mission Développement durable au sein de SEDP. Cette dernière est la filière immobilière de la RATP et a en charge l’exploitation des sites existants ainsi que la construction de nouveaux bâtiments. Très vite, sur ce projet, la récupération de la chaleur du groupe froid a été au cœur de notre réflexion ; logiquement, nous avons commencé par rapprocher le potentiel de récupération avec les besoins en chaleur qui pouvait être couverts, précise l’expert.

Quelques chiffres clés :

  • Groupe froid : Carrier 550 KW de puissance calorifique pour 413 KW de puissance frigorifique (sortie eau froide à 7 °C). Montant matériel investi de 70 K€ . D’octobre à mars, le groupe froid couvre 100 % de l’intégralité du froid pour les 3 salles informatiques du siège, places névralgiques de tout un ensemble d’applications de suivi et de pilotage des différentes lignes de métro et RER.

En été, le réseau d’eau glacée prend le relais et le groupe froid est en secours en cas de défaillance.

  • Rendement > 90 % (de 550 KW) ; avec un échangeur de récupération haut rendement et des calorifugeages très soignés. L’énergie récupérée vient réchauffer le circuit de retour de la boucle CPCU.
  • Récupération de chaleur du groupe froid : couvre plus de 25 % du chauffage des 56 000 m2 de bureaux. Pour l’intersaison, le groupe froid suffit à couvrir l’ensemble des besoins de chauffage. Un échangeur secondaire permet également de préchauffer une partie de l’ECS nécessaire pour les douches des agents RATP.
  • Retour sur investissement (ROI) : < 4 ans, et, si l’on intègre les subventions, le TRI tombe à deux ans.
  • Économies et suivi des économies : plus de 9 % d’économies du fait de ce dispositif ; le suivi est effectué en respectant le protocole IPMVP de mesure et comptage détaillé par usage.

« Enfin, nous avons pensé le dimensionnement du groupe froid en fonction de l’évolution dans le temps de nos besoins : le groupe froid tourne actuellement à 57 % de son rendement, ce qui permet de rafraîchir des salles supplémentaires, et de prévoir, demain, l’ajout de serveurs supplémentaires liés par exemple à l’automatisation d’une ligne ou tout autre projet nécessitant du stockage de données », ajoute Gregory Rohart.

« Pour nos projets neufs, nous avons un objectif de PUE de 1,2 et donc des objectifs de datacenters très performants : nous étudions systématiquement la récupération de chaleur fatale. Ainsi sur le site du futur datacenter RATP de Bagneux, une PAC sera installée afin de récupérer la chaleur des salles serveurs pour chauffer en partie le centre de maintenance des trains de la ligne 13. »

Et pourquoi pas demain systématiser la réalisation d’une étude des besoins de chaleur dans l’écosystème local d’un datacenter et soumettre les permis de construire à la présence d’un système de valorisation de chaleur non anecdotique basé sur un ratio (chaleur récupérée/chaleur émise), comme le souligne une étude réalisée par l’ALE de Plaine Commune ?

L’avis d’expert du bureau d’étude Cardonnel Ingénierie, avec l’illustration du principe de récupération des énergies fatales : « La récupération des énergies qui sortent du bâtiment est depuis quelques années un sujet prépondérant au sein de notre bureau d’étude et fait partie intégrante de l’approche globale du bâtiment en conception. » Christian Cardonnel, président de Cardonnel Ingénierie.

« Nous avons désormais un contexte favorable et balisé » : l’amendement proposé par la Commission énergies renouvelables et bâtiment du Syndicat des énergies renouvelables (SER) a été retenu (titre V, article 23 A). Il permet d’inscrire pleinement la production d’énergie de récupération dans l’ensemble des textes relatifs à la construction et à l’urbanisme, et en particulier dans les réglementations thermiques, énergétiques et environnementales des bâtiments, y compris les labels de performance, et ce au même titre que la production d’énergie renouvelable.

« Et également… beaucoup d’énergie à récupérer » : par exemple, la vie d’une goutte d’eau, c’est moins de 10 secondes entre la pomme de douche à 38 °C et son arrivée à l’écoulement à 35 °C. Il y a environ 15 kWh/m2/an d’énergie récupérable, l’enjeu est conséquent, illustre l’expert.

Pour exemple de la récupération d’énergie fatale, le bâtiment L’Avance à Montreuil intègre les récupérations sur : air extrait, eaux usées et dalles de parking. Aujourd’hui, la solution s’appuie sur le concept Smart Thermogène Grid® (médaille d’or de la gestion intelligente des énergies d’Interclima 2013), et se décompose en quatre éléments :

  • Un module thermique d’appartement (MTA commercialisé par Viessmann) : alimenté en eau chaude à 60 °C, il assure le chauffage (radiateurs BT, plancher chauffant…), l’eau chaude sanitaire (jusqu’à 20 l/min), la gestion et la répartition de l’énergie en fonction du besoin de confort des usagers.
  • Un système de gestion, régulation associé au module, qui effectue également le suivi du confort et des consommations d’énergie.
  • Une boucle de transfert de chaleur à 60 °C vers les modules d’appartement : la boucle est associée à une génération collective traditionnelle (gaz condensation par exemple) et à une récupération de chaleur thermodynamique (PAC à absorption gaz eau/eau).
  • Une boucle d’eau tempérée, thermogène (qui génère de la chaleur), valorise les différentes EnR fatales du bâtiment: chaleur de l’air extrait (récupération du flux sortant sur ventilation VMC Hygro B), eaux grises (avec système « power pipe » par exemple), la boucle d’eau en dalle active dans le parking qui sert de tampon d’énergie. Cette chaleur est ensuite élevée en température par la PAC Gaz.

« Enfin la conception, pour la totalité des éléments du bâtiment, doit intégrer des solutions économiquement pertinentes » : nous calculons toujours le ratio, quel que soit le système, entre l’investissement en € HT et les kWh économisés par an, un ratio exprimé en € HT/(kWh/an), idéalement inférieur à 2. D’ailleurs, la pertinence économique de la mise en place d’un système devrait être le sésame pour obtenir une aide financière à associer à un projet, conclut-il.

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