Patrick Galloy, vice-président du Pôle de compétitivité S2E2 : « fédérer autour d’une thématique : la gestion de l’énergie électrique. »

© DR. Le bâtiment CERTeM+ de Tours sur le site de STMicroelectronics.

S2E2 se présente comme Le pôle de compétitivité de référence des technologies de l’électricité intelligente, au service de la gestion de l’énergie. Sa mission est d’accompagner industriels, acteurs de la formation et acteurs de la recherche. Il vise à lever certains verrous technologiques, ce qui passe par un apport de compétences aux PME. L’objectif du pôle est de contribuer au développement ou au maintien de la compétitivité des entreprises par la création de produits, de services et donc d’emplois à travers l’innovation et les projets collaboratifs. Enfin le pôle suit la réalisation des projets, aide à la communication et au marketing qui sont liés à ses produits. Mais il s’agit également de préparer les compétences nécessaires au futur, que cela soit dans le domaine de la recherche ou de la production. Rencontre avec un de ses fondateurs.

© DR. Patrick Galloy
© DR. Patrick Galloy

Quelles ont été les étapes de constitution de S2E2 ?

Je me souviens bien du point de départ car nous avons commencé à quelques-uns dans mon bureau : chefs d’entreprises, responsables de laboratoires et acteurs de la formation. Nous étions convaincus que la région Centre avait le potentiel pour créer un pôle et le besoin de se fédérer autour d’une thématique : la gestion de l’énergie électrique. Avec un cœur d’entreprises, nous avons identifié une dizaine de projets potentiels. Le plus difficile fut la rédaction du dossier de candidature, pour lequel nous nous sommes fait aider par un cabinet de conseil et une agence de communication. C’est à la fin juillet 2005 que nous avons appris que notre dossier était retenu.

Voilà pour la naissance. Ensuite il y a eu l’adolescence. Petit à petit, l’association s’est structurée. Elle est devenue plus professionnelle, avec plus de moyens. Nous avons recruté puis affiné la feuille de route stratégique avec l’intégration des nouveaux adhérents. Puis est venue la phase adulte, avec une nouvelle feuille de route et une stratégie d’élargissement du territoire. Aujourd’hui nous couvrons la région Centre, le département de la Haute Vienne et les Pays de Loire. Nous avons fédéré de l’ordre de 140 adhérents  pour environ 25 000 emplois. Cela a demandé beaucoup d’investissement personnel de la part d’un petit noyau très investi.

 

On imagine des freins culturels à la mise en synergie d’acteurs de l’industrie, de la recherche et de l’enseignement. Comment dépasser cela ?

Je ne sais pas si on peut parler de freins, mais de la perplexité au début oui, dans certaines entreprises et chez certains responsables politiques. Mais ceux qui nous ont soutenus dans la période difficile du début sont toujours présents à nos côtés. En 2005, les pôles de compétitivité étaient nouveaux. Nous avions déjà un cœur de pole avec le CNRT en électronique de puissance (1996-2000). Il a fallu expliquer ce qu’était un pôle. Il a fallu créer un réseau d’entreprises et d’acteurs de la recherche en région Centre. Aujourd’hui, les hommes se connaissent, la confiance est là. De plus, la crise de 2008-2009 a fait prendre conscience à tous que l’innovation était indispensable et que l’on était plus forts et efficaces à plusieurs que seuls. Même si les attentes sont très différentes entre les adhérents, chacun avance à sa vitesse.

 

Comment quantifier les résultats d’une production aussi immatérielle que des projets, des brevets, des thèses ? Quelles sont les applications principales de vos résultats?

C’est une très bonne question car on est dans le domaine de la technologie et parfois il faut plusieurs projets avant de faire émerger un programme applicatif. On pourrait reprendre certaines idées que j’ai entendu récemment chez les chercheurs selon lesquels si on n’a pas de recherche amont, un jour le réservoir de la recherche appliquée en aval se retrouve vide….Il faut des projets, petits comme grands, c’est-à-dire pour tout type d’entreprise. L’innovation n’est pas réservée aux grandes entreprises.

Même si je ne suis pas à l’aise avec la quantification, je comprends très bien que l’on veuille mesurer l’impact des pôles. On a toujours la tentation de vouloir séparer les variables par projets. Mais cela n’est pas possible. Le succès d’un produit ou d’une entreprise ne dépend pas uniquement du projet monté avec le soutien du pôle. La compétitivité cout, la démarche qualité et le service client de l’entreprise font aussi que cela fonctionne ou pas. Le contexte économique national et mondial est aussi un facteur majeur et il pèse parfois plus que les actions du pole. C’est pour cela que j’ai évoqué le maintien de la compétitivité des entreprises et pas uniquement le développement. En cette période économique difficile, nous faisons parfois plus de « résistance » que de développement. La compétitivité d’une entreprise ne découle pas uniquement de la réussite de sa politique d’innovation. J’ai vu de très bons projets avec de gros impacts, de bons projets techniques mais qui n’ont pas débouché sur le marché, des projets et des brevets qui sont encore à valoriser etc…. C’est cela la vie d’un pôle. La phase 3.0 vise justement à renforcer la partie avale du projet, sa valorisation. Dans tous les cas, on s’enrichit de compétences et d’expériences et on recommence un autre cycle. Le rôle du pôle est d’accompagner les entreprises dans la totalité du cycle

 

En quoi le double ancrage régional et thématique de S2E2 marque-t-il sa spécificité ?

Je ne pense pas que l’ancrage sur deux régions soit une spécificité. Bien d’autres pôles sont multi-régions. Dès le lancement des pôles, j’ai affirmé que le découpage régional n’avait pas forcement de sens. Sur une thématique donnée, il y a des entreprises et des laboratoires en France et on collabore avec celles qui possèdent les compétences que l’on recherche. C’est pour cela que l’on voit souvent des co-labellisations sur les projets FUI (fonds unique interministériel). Je comprends bien la volonté de faire émerger des noyaux durs qui seront attractifs. Mais aujourd’hui, on est à l’heure du numérique. Les distances d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui ni celles de demain. Pour caricaturer, hier vous étiez en compétition avec le village voisin maintenant votre concurrent en Chine montre ses produits sur internet en temps réel. Tracez un rayon d’action de 200 km autour de Tours c’est-à-dire de Chartres à Nantes, du nord  du Mans à Angoulême ou Limoge et vous trouverez la zone d’impact du pôle S2E2. Cela a plus de sens qu’un découpage géographique, l’innovation n’a pas de frontière….

En terme de thématiques, nous avions au début un positionnement sur 3 marchés: l’efficacité énergétique des équipements, celle du bâtiment et les énergies renouvelables, avec des projets qui allaient de la production d’énergie à la consommation, en passant par le stockage. L’analyse stratégique menée avec les adhérents et le cabinet Algoe a permis de se repositionner sur 4 marchés : le smart grid, les énergies marines renouvelables, les équipements et produits éco-efficients et le bâtiment intelligent.

A partir de là, nous avons défini 5 domaines d’activités  stratégiques. Pour chaque Domaine d’Activité Stratégique (DAS), nous avons mis en place un binôme: un conseiller technologique pour les solutions techniques et un réfèrent DAS, généralement issu d’une entreprise, qui apporte sa vision du marché. Cela traduit notre volonté de développer les solutions les plus adaptées au marché. Au cœur de ces DAS, ce sont des compétences majoritairement en Electronique, Electrotechnique, Thermique et TIC, qui sont au cœur de nos programmes de recherche. Nous pouvons déjà nous appuyer sur un certain nombre de plateformes technologiques qui permettent aux acteurs de travailler ou de tester des solutions. Parmi celles-ci, on peut citer ALHyance /Certem et CerteM +/ Madonah / Semrev.

 

© DR. Les entreprises du pôle s'appuient sur l'expertise et les compétences des laboratoires pour faire émerger des projets d'innovation technologique collaboratifs.
© DR. Les entreprises du pôle s’appuient sur l’expertise et les compétences des laboratoires pour faire émerger des projets d’innovation technologique collaboratifs.

Comment définiriez-vous la notion de « smart Electricity », qui figure en tête de votre logo ?

Sur toute la chaine d’utilisation de l’énergie, de la production jusqu’à la consommation en passant par le stockage, on remarque qu’il y a un besoin d’information pour un pilotage optimal. L’efficacité énergétique comme horizon oblige à se poser des questions nouvelles. Faut-il consommer ? Faut-il stocker ? Faut-il réinjecter l’énergie sur le réseau ? L’optimisation du réseau passe inévitablement par une supervision de plus en plus importante. Cela vaut pour le grid et le micro grid. Que faut-il faire à l’échelle d’un bâtiment ou d’un quartier ?

L’homme ne peut pas piloter et décider de tout, même s’il doit pouvoir prendre le contrôle à tout instant. Il y a un vrai enjeu d’acceptabilité sociétale de ces outils à prendre en compte dans les projets pour qu’ils soient des réussites.

Ces outils doivent être « transparents » : on doit pouvoir oublier qu’ils existent. Ils doivent être « simples d’usage » : cela concerne la qualité de l’interface. Les dispositifs doivent être « intégrés » et ne pas nécessiter une infinité de télécommandes. Ils doivent être « didactiques » c’est-à-dire ne pas parler de KW ou KWH et enfin, ils doivent être sécurisés en terme d’accès et sans risque de blocage. C‘est tout l’enjeu des applications numériques qui fonctionnent ou pas et des applications parfois superflues.

Il y a un vrai enjeu de convergence au cœur du bâtiment : entre la gestion de l’énergie, la communication, le multimédia et la sécurité. Il faudra sans doute de l’intégration progressive par options. Les appareils fourniront des informations. Il faudra les centraliser et les utiliser pour l’efficacité énergétique, le plaisir, le confort, la santé ou encore le maintien à domicile. La « box internet », le smartphone, le cloud sont au cœur du sujet. La notion de « smart », revient à introduire de la logique. Avec plusieurs capteurs, des actionneurs, et des scenarii logiques, on introduit un début d’intelligence.

 

Parmi vos domaines d’activité stratégiques figurent les Bâtiments intelligents et l’Electronique pour l’efficacité énergétique. Quels sont selon vous les principaux enjeux des années à venir pour ces deux domaines ?

Concernant le bâtiment intelligent, nous en avons déjà parlé…. De nombreux acteurs veulent prendre leur part du gâteau : réseaux, FAI (fournisseur d’accès à internet), équipementiers, nouveaux entrants etc…Il faut gérer, stocker, transmettre plus de données plus rapidement avec des outils de plus en plus petits, légers, miniaturisés, intégrés. Le besoin en électronique est de plus en plus important pour créer ces systèmes intégrés mais connectés. La gestion du bâtiment ne peut se faire qu’en y intégrant les équipements et les personnes présentes, chacune ayant des usages et besoins différents.

Je crois que les sujets clés pour le bâtiment de demain sont :

-La supervision : les compteurs, les technologies de communication, les systèmes de gestion décentralisés

-La gestion des énergies renouvelables produites consommation, stockage, réinjection

-Le bâtiment BEPOS et la gestion d’énergie sur un ilot ou un quartier

-Les outils pour le maintien à domicile et la santé, comme le monitoring, l’assistance en cas d’urgence, la sûreté. Pour tout cela, il faut des systèmes électroniques avec des capteurs, de la mesure, des modes de communication et des actionneurs.

Concernant l’efficacité énergétique des équipements, les composants électroniques doivent consommer moins. Pour cela, nous travaillons sur l’usage de nouveaux matériaux pour des composants qui seront plus efficaces en énergie et communicants afin d’optimiser la consommation globale.

L’ouverture à la communication des équipements et des objets et la mise en place de standards vont permettre beaucoup d’innovations. Par exemple, le télédiagnostic en cas de panne.

Entre l’efficacité énergétique et le bâtiment, les sujets du stockage de l’énergie et de la récupération d’énergie sont majeurs et ils peuvent être d’ailleurs reliés à l’usage futur du véhicule électrique.

Le stockage électrochimique pour les batteries, le stockage de l’hydrogène et son usage dans les piles à combustible et tous les systèmes de récupération d’énergie sont au cœur de ces enjeux.

 

Parmi les projets portés par le Pôle, pourriez-vous en citer un dans chacun de ces thèmes où le passage de la recherche fondamentale à l’industrialisation vous a paru particulièrement réussi. En quoi ?

Je citerais les projets « Capi » et « Isis » menés dans le cadre du programme « Sésame », ils nous ont permis de développer des technologies et de les déployer dans beaucoup de produits que nous avons déjà commercialisés et d’autres à venir en 2015.

« Lumiolis » est un démonstrateur de la mise en œuvre des solutions d’autoconsommation créées par les entreprises du pôle sur un bâtiment de la DRIEA à Paris.

Nous avons présenté en 2013 le projet « RWU et sa technologie innovante » à qui je souhaite un succès commercial. Son objectif est de diminuer drastiquement la consommation des appareils en veille, tout en permettant un réveil des équipements concernés par une télécommande appropriée.

Cette année, nous allons finaliser et présenter « Cortecs » dont le but est de concevoir, au sein d’une salle d’opération, une alimentation « intelligente » capable de fournir l’énergie nécessaire aux différents appareils en prenant en compte les besoins de l’équipe chirurgicale.

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