Interview Jacques Roos, Président des Ingénieurs hospitaliers de France

De formation d’architecte, Jacques Roos commence sa carrière dans le secteur privé, sur différents types d’opérations. C’est vers trente ans qu’il intègre la fonction hospitalière. Après avoir été responsable des services techniques du CHU de Nîmes, il prend en 2002 la direction d’une cellule maitrise d’ouvrage aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Jacques Roos exerce aujourd’hui toujours à Strasbourg comme directeur des infrastructures et des travaux.

IHF compte environ 350 adhérents, ingénieurs et architectes principalement issus des secteurs techniques des établissements de santé. Quel est le rôle de l’association et son but ?

L’association n’a pas pour but de représenter l’ensemble des ingénieurs hospitaliers. Notre association est plutôt orientée vers les ingénieurs en charge du patrimoine immobilier et de l’exploitation technique. D’une part, nous intervenons sur la programmation et la conception des bâtiments nouveaux, mais aussi sur l’encadrement des équipes qui vont exploiter et maintenir les bâtiment hospitaliers ainsi que les équipements liés au bâti, notamment en assurant la continuité de service et en optimisant les coûts d’exploitation technique y compris les énergies.

D’autres ingénieurs qui oeuvrent dans les établissements de santé comme les ingénieurs bio-médicaux ont leur propre association (l’AFIB) avec laquelle nous avons des relations étroites. Notre histoire remonte à 1956. L’association va fêter ses 60 ans lorsque nous nous réunirons à Avignon en juin. Au départ, IHF a réuni les premiers ingénieurs à travailler dans les hôpitaux publics. Au fil du temps, l’association s’est ouverte aux hôpitaux privés et à tous types d’établissements de santé. Il y a quelques années, nous nous sommes ouverts à tous les participants de l’ingénierie hospitalière au sens large, comprenant bureaux d’études, architectes, consultants et sociétés de maintenance. Nous continuons à nous ouvrir à tous ceux qui participent à l’ingénierie hospitalière de près ou de loin.

En tant que bâtiment tertiaire, comment l’hôpital s’intègre-t-il à la ville et quelles sont ses spécificités ?

Sur le plan bâtiment, bien que considéré comme tertiaire, l’hôpital est à la limite de l’industrie et d’ouvrages techniques comme des centrales nucléaires. On dit souvent que l’architecture d’un bâtiment hospitalier est ce qu’il y a de plus complexe du fait de l’interaction entre des contraintes exigeantes, des équipements techniques multiples, mais aussi des facteurs humains très forts.

Il faut absolument qu’architectes et ingénieurs travaillent main dans la main pour trouver des compromis entre ces exigences multiples, ce qui demande une grande humilité pour les concepteurs. Il faut savoir que dans nos métiers, la fonctionnalité prime. Il y a peu de place pour le grand geste architectural, par contre tous les espaces doivent être soigneusement calibrés et marier la technique au confort des occupants.

En exploitation, les contraintes d’hygiène ou de continuité de service sont très fortes. Toute intervention de maintenance ou de petits travaux nécessite des dispositions spécifiques pour gérer le risque infectieux. La continuité de service des soins fait qu’il n’est pas envisageable d’avoir d’interruption électrique ou de coupure de chauffage. C’est pourquoi nous devons mettre en place des installations techniques redondantes. Nos actions doivent être totalement transparentes pour que le personnel médical et les patients ne soient en aucun cas gênés par nos interventions.

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Salle d’opération

En termes de construction et de génie électrique, quelles sont les évolutions dans le domaine hospitalier ?

Les évolutions sont très importantes dans le domaine de la maitrise de l’énergie, notamment pour les hôpitaux qui en sont d’énormes consommateurs. Ceci étant, les économies d’énergie doivent passer après l’impératif de continuité de service. Là aussi nous avons nos contraintes particulières. Par exemple, un récupérateur de chaleur sur un système de ventilation, suivant les locaux qu’il dessert, devra avoir toutes les garanties pour que l’air extrait n’ait aucun lien avec l’air neuf. Nous allons donc faire appel à des récupérateurs à eau glycolée, qui auront pour caractéristique d’être moins performants que des récupérateurs de locaux tertiaires habituels.

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Hôpital Martini – Groningen – Pays-Bas. Architecte : Burger Grunsta

De la même façon, nous devons avoir des groupes électrogènes de secours pour l’alimentation électrique, que nous sommes obligés de faire tourner en phase de test, ce qui a un coût énergétique. Cela fait partie des exigences et spécificités du bâtiment hospitalier.

GTB, pilotage : êtes vous en première ligne des évolutions techniques en la matière ?  

Bien sûr et c’est le développement du numérique dans toutes ses applications qui est l’évolution technique majeure. De nombreux hôpitaux utilisent déjà depuis de nombreuses années une application de gestion de la maintenance assistée par ordinateur (GMAO). Pour donner un ordre d’idée, au CHU de Strasbourg, nous avons entre 200 à 300 demandes de maintenance par jour soit environ 50 000 par an. Sans système informatique, nous serions incapables de gérer ces interventions.

Les bâtiments hospitaliers sont des concentrés de technique. Sans GTB, nous ne pourrions pas suivre le fonctionnement des blocs opératoires, des réanimations, de laboratoires d’isolement etc. sans avoir à y pénétrer. C’est pourquoi nous sommes très demandeurs de capteurs et de GTB. Cela explique également en quoi nos métiers, dans la phase de conception, sont assez dirigistes sur les outils de GTB pour l’exploitation et la maintenance…

Étage technique interstitiel au-dessus des blocs opératoires
Étage technique interstitiel au-dessus des blocs opératoires

Quel projet emblématique innovant voudriez vous mettre en avant ?

Il y a beaucoup d’informations qui circulent sur les projets innovants. Lorsqu’une innovation est considérée comme satisfaisante, elle se diffuse très rapidement. Mais, encore une fois, je pense que le numérique est le facteur le plus puissant en termes d’innovations. Grâce au numérique, on est aujourd’hui capable de programmer en salle d’opération des réglages sur l’éclairage, la température etc. en fonction des besoins de tel chirurgien à telle heure dans telle salle. Le numérique devrait ainsi permettre à la fois une amélioration significative du confort des occupants ainsi qu’une amélioration de la productivité des acteurs de l’exploitation/maintenance.

Quels sont les enjeux de l’association pour 2016 

Notre association se veut d’abord une plateforme d’échanges et de diffusion d’information entre professionnels. Pour cela nous organisons nos journées annuelles comme celles qui se dérouleront en juin à Avignon, mais aussi des journées régionales au cours de l’année, nous diffusons une newsletter et nous faisons vivre un site web.

A la demande de certaines structures institutionnelles comme l’ANAP ou le Ministère de la Santé, nous déléguons quelques membres de notre association comme experts dans des comités de réflexion ou groupes de travail sur tel ou tel aspect du fonctionnement technique des hôpitaux.

Pouvez-vous nous exposer le thème de vos journées de Juin à Avignon ?

Nos journées s’articulent autour de deux séances plénières le premier jour suivies de deux journées d’ateliers thématiques, qui alternent avec des forums et des visites techniques. Cette année les journées s’ouvriront sur une première séance plénière consacrée aux tendances de la conception architecturale et technique liées notamment au développement du numérique.

La seconde séance plénière traitera de la problématique du BIM. Thème déjà traité en 2015 mais qui est un sujet que l’on continuera à traiter dans les années à venir, compte tenu de ses multiples implications. Avec une conception qui numérise tous les éléments d’une construction et qui aura des impacts essentiels au niveau de la maintenance. Il s’agit d’un outil absolument fantastique et qui devient indispensable, lié à la gestion de maintenance assistée par ordinateur (GMAO) et à la GTB. Plus besoin d’aller chercher une documentation technique dans le DIUO alors qu’elle sera présente dans la maquette numérique.
Au cours de différentes interventions, nous interrogerons notamment en quoi le BIM change les rôles respectifs des concepteurs et des entreprises.

Nous traiterons également en ateliers de thèmes aussi divers que le Développement durable, l’Energie, la Maitrise d’ouvrage, le Management de l’exploitation technique, la Conception architecturale et technique, la gestion et la valorisation du patrimoine, thèmes récurrents qui illustrent la multidisciplinarité des métiers de l’ingénierie hospitalière.

Circulation logistique et technique d'un hôpital.
Circulation logistique et technique d’un hôpital.

Vous êtes actuellement en Congrès international des ingénieurs hospitaliers à la Haye ? Que s’y dit il ?

Notre association fait partie de la Fédération internationale de l’ingénierie hospitalière qui regroupe une quarantaine de pays dans le monde. Tous les deux ans, nous avons un congrès, avec conférences et échanges d’information.

Entre pays développés, nous nous rendons compte que les thématiques et préoccupations sont très proches. Et en même temps, nous sommes tous soumis à cet effet ciseau de patients et de réglementations de plus en plus exigeants et de collectivités qui souhaitent maîtriser les dépenses de santé.

Nous faisons aussi partie du groupe Europe de cette Fédération. Les préoccupations sont quasi les mêmes. Nous sentons bien là l’effet mondialisation.

Nous sommes tous également face au développement de la robotisation et de tous les outils qui permettent de faire des économies en termes de personnel ou d’énergie. En même temps la sécurité et la continuité de service prime. Il nous appartient de faire ce mariage entre ces contraintes, ce qui n’est pas toujours facile.

 

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