Transfert technologique : être en mode maker pour aider les pays émergents face au changement climatique

Cinq mois après la COP21, les chefs d’État ont été réunis le 22 avril à pour la signature de l’accord de Paris sur le climat. Mais comment allons-nous déployer les solutions adéquates face au changement climatique?

Dr Chaden DIYAB, Directrice d’IES EMEA, cabinet de conseil en stratégie dans développement durable et  présidente d’AUTOPIA,  plateforme digitale labellisée COP21 pour  la promotion  des  écotechnologies.

 L’accord de Paris insistait sur la nécessité de recourir aux technologies innovantes pour atténuer le réchauffement climatique. L’effort porte notamment sur les grands pays émergents devenus en une quinzaine d’années des acteurs majeurs économiquement : la Chine, le Brésil, les pays du Golfe, l’Inde, mais aussi l’Afrique du Sud, le Mexique et la Russie. L’ensemble de ces pays émet 35% du total des émissions mondiales de GES et consomme plus du tiers de l’énergie dépensée mondialement. L’une des difficultés dans l’effort qui est fait pour promouvoir l’Innovation Technologique pour les Énergies est que ces pays émergents donnent ou disposent de peu d’informations sur les investissements et initiatives qui sont menés localement. Un fonds de 100 milliards de dollars annuels a été créé pour financer des projets aidant ces pays, sous forme de prêts et de dons, à s’adapter et à lutter contre le réchauffement climatique. Parallèlement, un appel appuyé a été lancé à plusieurs reprises au secteur privé, en particulier au monde de la finance et aux investisseurs, pour qu’il se saisisse encore plus de la question des innovations technologiques. La question est comment inciter et amener les pays émergents à utiliser des “technologies vertes”, et quel intérêt peuvent-ils y trouver  pour “combattre“ le changement climatique ?

Les pays émergents en butte aux problèmes énergétiques et climatiques

 L’augmentation des températures sur le globe affecte aussi  la croissance économique et davantage celle des pays émergents que celle des pays très développés, selon une nouvelle étude du  Massachusetts Institute of Technology (MIT). Pour 1oC d’augmentation de température, un pays émergent  peut s’attendre à voir sa croissance économique diminuer d’1,3 point. Cependant chaque année, les aléas météorologiques peuvent sévèrement aussi affecter des économies solides. Le changement climatique est déjà en train de perturber les économies des pays émergents. La modification des régimes de pluie a pour conséquence des inondations de plus en plus intenses et fréquentes au Bangladesh, ou au contraire une sécheresse accrue et les problèmes d’appauvrissement des sols et de mauvaises récoltes comme en Éthiopie et au Kenya. Les pays émergents sont d’autant plus affectés qu’ils ne disposent pas des technologies pour faire face aux effets du changement climatique. Ces problèmes sont si sévères qu’ils peuvent fragiliser et renverser les institutions économiques, sociales, politiques et financières des pays, les plonger dans une crise profonde et la population dans la pénurie et engendrer  le phénomène des migrations environnementales, comme c’est le cas pour les communautés rurales du Sahel au sud du Sahara. Les menaces de désertification croissante dans les zones de récoltes, rendant les cultures de moins en moins fertiles, avec des épisodes de chaleur foudroyante, de très rares précipitations qui lorsqu’elles surgissent inondent les récoltes, ont plongé plus de 18 millions de personnes dans une situation d’insécurité et de précarité alimentaires, conduisant les communautés qui y vivent à s’exiler.[1]

Les “innovations frugales” comme moteurs de développement ?

 Des solutions technologiques existent pour permettre aux scientifiques de mieux appréhender et lutter contre le changement climatique. Mais l’attention ne doit pas être portée uniquement sur les “grandes” innovations ou de pointe. Il semblerait en effet que les “petites” innovations, en l’apparence anodines, puissent être déterminantes pour le développement d’un pays. Or les innovations les plus intéressantes pour le business ont lieu souvent hors de ces projecteurs.  Elles consistent souvent dans l’amélioration d’un processus déjà existant, permettant ainsi que le processus soit plus simple et moins cher.  Le poêle à bois Oorja par exemple, de la marque indienne First Energy, a permis à de faciliter la vie de nombreuses villageoises, qui passaient plusieurs heures chaque jour à chercher du bois et à entretenir le feu afin de cuisiner. L’entreprise indienne a collaboré avec les Britanniques de British Petroleum (BP) pour reproduire la technologie de gazéification utilisée dans les centrales électriques, afin d’obtenir un poêle plus efficace et avec moins de fumée. Le rendement du four Oorja est 300 pourcent supérieur à celui des fours traditionnels. Le poêle utilise de la biomasse, qui est gazéifiée. Les combustibles sont des copeaux séchés de résidus agricoles, tels des feuilles de maïs ou des coques d’arachide. L’entreprise indienne First Energy a vendu environ 400 000 poëles Oorja en Inde, à 23 dollars l’unité. L’idée derrière ces innovations  »discrètes » est que de petites améliorations de processus, peuvent réduire jusqu’à 90% le coût initial.

Transfert de technologie ou partenariat technologique ?

 Le transfert de technologie est l’objet d’un changement profond de paradigme, sous l’effet de deux tendances principales : les initiatives grandissantes de l’innovation de la part des économies émergentes, et les flux d’investissement croissants et importants entre ces pays. Ces tendances créent de nouvelles passerelles pour le transfert de technologie. Un exemple significatif que j’ai choisi est le partenariat entre la Chine et le Brésil. Entre 2005 et 2012, le secteur brésilien de l’énergie a absorbé 18,2 milliards de dollars d’investissements chinois. Jusqu’à récemment, le Brésil était la première destination des investissements chinois dans le secteur de l’énergie. Plusieurs accords de coopération technologique ont été signés entre compagnies pétrolières nationales (China Petroleum and Chemical Corporation [Sinopec] et Petrobras, China Three Gorges Corporation’s [CTGC’s] et Centrais Elétricas Brasileiras [Eletrobras]), ainsi que des coopérations académique entre l’Université fédérale de Rio de Janeiro et la Tsinghua University. Le cas de la coopération entre la Chine et le Brésil soulève des problèmes de concurrence, de secret industriel et de protection intellectuelle, mais il ouvre en même temps des champs de synergie et autres accords “win-win”, en jouant sur la complémentarité.  Précisément, la compagnie pétrolière nationale brésilienne Petrobras a montré au cours des dernières décennies sa capacité à développer des technologies performantes en matière d’exploration et de production (E&P) off-shore en eaux profondes, domaine dans lequel la Chine manquait d’expertise. En matière d’énergie éolienne, avec l’une des plus grandes capacités dans le monde, le Brésil dispose d’un potentiel très important, mais manque de savoir-faire et d’expérience. Cependant, des échanges universitaires et scientifiques voient le jour, avec l’objectif de trouver des applications commerciales.

L’économie de la connaissance : un nouvel horizon ?

 La  coopération scientifique dans les partenariats technologiques et l’introduction de nouvelles technologies et innovations,  permettent de diffuser les “bonnes pratiques” plus aisément dans les pays émergents. Une fois adoptées par les communautés locales, les solutions peuvent augmenter l’efficience de la production et résoudre des défis locaux comme les « défis climatiques », réduisant in fine la dépendance du pays à ses exportations et aux activités industrielles. La technologie verte  en particulier peut créer  un secteur entièrement nouveau d’activité pour de la main-d’œuvre spécialisée et/ou diplômée. Cette réflexion n’est pas nouvelle, au Kenya dans les années 1970, le gouvernement avait essayé de développer l’énergie solaire afin de “nourrir” les régions les plus reculées. Depuis les années 1980, les parties prenantes sont nombreuses à soutenir l’effort de présenter la technologie au public lors de workshops et autres programmes de formation. En démocratisant l’énergie renouvelable que constitue le solaire, le Kenya a été capable de bâtir un marché solaire privé dans les années 1980 et 1990 qui demeure jusqu’aujourd’hui, faisant de Nairobi l’un des pays d’Afrique subsaharienne les plus en pointe en matière d’énergies renouvelables.[2]

Après le COP 21, un regard vers la COP 22 : quels investissements verts seraient bienvenus ?

En 2016, cela sera au tour du Maroc d’accueillir la COP22, mettant sur les épaules de ce pays africain  une grande responsabilité pour prendre le flambeau de l’accord de Paris et ainsi répondre aux défis sur les futures dispositions budgétaires à réunir pour réussir des investissements durables, sans oublier l’importance de déployer des stratégies adéquates pour promouvoir les solutions technologiques « vertes » au sein des pays émergents pour lutter contre le changement climatique.

[1]          de Alwis, Akshan. “The New Environmental Refugee Crisis”, The Huffington Post, 13 juillet 2015.

[2]          Hansen, Pedersen, Nygaard, “Review of Solar PV market development in East Africa” UNEP Riso Centre, mars 2014

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *