
Le rendu des couleurs constitue une pièce maîtresse de l’évaluation de la qualité de la lumière. Tandis que les LED ne cessent de s’améliorer, les méthodes d’évaluation des critères de qualité traînent à se normaliser alors que les fabricants rivalisent de technicité pour proposer des performances accrues. Tant à l’international qu’au niveau européen, la quête d’un consensus fait l’objet de nombreuses recherches concernant l’élaboration d’une nouvelle méthode de calcul de l’indice de rendu des couleurs.
En premier lieu, revenons sur la définition de l’IRC et sa méthode de calcul qui n’en est pas à son premier changement. L’étude de l’IRC (dont le symbole est Ra), initiée par la Commission internationale de l’éclairage (CIE), traduit la capacité d’une source à rendre les couleurs non saturées usuelles de la même manière qu’une source de référence, à savoir le corps noir jusqu’à 5 000 K et la lumière naturelle normalisée au-delà de cette température de couleur ( Les Sources de lumière, Association française de l’éclairage, 1991).
Peu après le développement des lampes fluorescentes, la CIE a défini (tout d’abord en 1965, mise à jour en 1974, puis en 1999), à partir des séries d’expériences déjà effectuées, un observateur de référence, qui permet d’obtenir, par calcul, les caractéristiques d’une lumière à partir de son spectre (publication 13.3). Pour évaluer l’IRC, on utilise une palette de 8 couleurs (R1 à R8) et, pour chacune d’entre elles, on compare le rendu sous la lampe testée et sous une lumière de référence. L’IRC attribué finalement à la lampe est une moyenne des 8 rendus de ces 8 couleurs-tests : son maximum est 100 (celui des lampes incandescentes).
À titre indicatif, les lampes fluorescentes ont un IRC entre 60 et 90, les iodures métalliques peuvent atteindre 95, quant aux lampes sodium haute pression, leur rendu des couleurs est assez médiocre et non significatif.
Quid des diodes électroluminescentes ? Les fabricants affichent des IRC supérieurs à 90, mais le problème ne réside pas dans les valeurs annoncées mais plutôt dans la méthode même de calcul. Il s’avère que les LED génèrent des types de spectres qui n’étaient pas pris en compte lors de la définition de la méthode de calcul. Or, comme les couleurs tests sont limitées, si la source a un spectre discontinu, l’IRC peut être mauvais alors que la perception des couleurs sera bonne et, inversement, il peut être bon mais certaines couleurs sont mal rendues.
Une méthode de calcul mal adaptée aux LED
En quoi cette méthode de calcul n’est-elle pas adaptée aux LED ?
Le professeur Dirk Berben, du Département d’ingénierie électrique et information et technologie de l’Université de technologie et d’économie de Hagen, en Allemagne, nous a livré quelques explications.
« Certains spectres lumineux offrent une perception
des couleurs très naturelle,
mais sont pénalisés par un IRC médiocre. »
« Le problème réside, entre autres, dans le choix arbitraire et le nombre limité des couleurs de référence. En général, la lumière produite d’une diode avec un IRC de 80 sera bien supérieure à l’IRC 80 d’une lampe fluorescente. Dans certains cas, des améliorations significatives du rendu des couleurs sont techniquement possibles, mais pas forcément récompensées par une augmentation correspondante de l’IRC. Par ailleurs, différents IRC peuvent servir à obtenir des perceptions contrastées des couleurs d’objets éclairés. Prenons l’exemple de l’éclairage de la viande. Ici, la lumière est riche en rouge, ce qui n’a aucune influence sur la perception des huit couleurs de référence, mais affecte de façon importante la perception de la couleur de la viande, en la faisant apparaître plus fraîche. Certains spectres lumineux offrent une perception des couleurs très naturelle, mais sont pénalisés par un IRC médiocre. »
Et le Dr. Berben de préciser que de tels spectres contiennent souvent plusieurs composantes de bande étroite et ainsi saturés. Souvent, l’IRC qui caractérise une lampe LED est étendu à 14 couleurs de référence, soit quatre teintes supplémentaires saturées (rouge, jaune, bleu, vert) et deux couleurs de référence (jaune-rose et vert olive) non saturées. La lumière de la boucherie citée en exemple est donc caractérisée par un R9 considérablement modifié (saturé en rouge).

La caractérisation de la lumière par un numéro unique semble être une simplification excessive qui peut conduire à des interprétations erronées de ce que l’on attend d’une source lumineuse donnée. Par conséquent, une description plus appropriée est recherchée. Plusieurs autres méthodes ont été proposées, mais à ce jour aucun consensus n’a été atteint, comme par exemple le CQS (Color Quality Scale) développé par le NIST (National Institute of Standards and Technology) aux États-Unis, mais rejeté par la CIE.
« Avec l’introduction d’un nouveau système de mesure de la couleur à l’étude aux États-Unis (TM-30-15), le débat est lancé, commente Fred Bass, directeur général de Neonlite International Ltd (propriétaire de la marque Megaman), et de s’interroger : Ne devrions-nous pas nous inspirer de nos cousins d’outre-mer et adopter cette nouvelle qualification de la couleur ? »
Le Technical Memorandum (TM-30)
développé par l’IES

1 – Limites approximatives des sources sur le corps noir
2 – Limites approximatives des sources de lumière.
«Quantifier avec précision les caractéristiques de rendu des couleurs d’une source lumineuse est un problème complexe», c’est ainsi que l’Illuminating Engineering Society présente les travaux du TM-30. Plusieurs aspects du rendu des couleurs, tels que la fidélité des couleurs, leur discrimination ou la préférence de couleur, devraient être pris en compte simultanément lors du processus de conception et spécifications. Il n’existe pas de système de mesure qui peut précisément quantifier tous les aspects du rendu des couleurs et/ou identifier la source de lumière idéale pour chaque application.
Le TM-30 décrit une méthode pour évaluer le rendu des couleurs d’une source lumineuse qui a une approche objective et statistique, en quantifiant la fidélité (valeur la plus proche possible d’une référence, indice Rf) et le degré de saturation (indice Rg, pour « gamut » : hausse ou baisse de saturation des couleurs) d’une source lumineuse. La méthode génère également un graphique vectoriel de couleur qui indique la moyenne des écarts en teinte et saturation, et qui permet d’interpréter les valeurs de Rf et Rg.

référence (en noir) et la source test Ra90 (en rouge)

Points noirs : source de référence
Points rouges : source test (Ra90)
Le TM-30-15 fournit les équations et méthode de calcul des indices Rf et Rg, y compris les fonctions de réflectance spectrale pour 99 échantillons de référence (Color Evaluation Sample, CES). Il est accompagné d’un outil informatique qui facilite le calcul et donne l’affichage des résultats (les informations d’accès au logiciel sont fournies dans la publication). La méthode de rendu des couleurs IES TM-30-15 regroupe et synthétise les nombreuses recherches en cours depuis plusieurs années, élaborées par des représentants de fabricants, de normalisation et de départements de recherche issus de l’industrie de l’éclairage.
En octobre 2015, la Commission internationale de l’éclairage déclarait « encourager les recherches en matière d’évaluation du rendu des couleurs, et en particulier le TM-30 [qui devrait servir de base au comité de travail de la CIE] et soulignait l’importance d’obtenir un consensus international afin d’éviter la multiplicité de systèmes régionaux qui ne sèmeraient que la plus grande confusion sur le marché global de l’éclairage ». Les deux comités de travail TC 1-90 et TC 1-91 devraient apporter leurs conclusions d’ici la fin 2016.
Quant à LightingEurope, association européenne de l’éclairage, elle ne s’est pas exprimée sur le sujet depuis 2014, mais clamait haut et fort à l’époque (LightingEurope Position Paper on Color Quality du 6 octobre 2014), son opposition à changer de méthode de calcul de l’indice de rendu des couleurs, arguant du fait qu’une telle modification ne ferait que perturber le monde de l’éclairage, « à moins, précisait le communiqué, qu’un consensus scientifique ne vienne apporter la preuve d’améliorations notables ». Ce qui semble quasiment chose faite aujourd’hui.

Pratique et perception
Pour le professeur Berben, changer de méthode est relativement facile, apporter un réel bénéfice est beaucoup plus difficile. Cela est dû au fait que notre perception de la couleur est très complexe. « Non seulement la couleur du moment influe sur la perception des couleurs du moment, mais les expositions à la lumière qui ont précédé modifient ladite perception. L’environnement affecte également notre perception de la lumière : un point rouge dans un pré vert semble différent sur un plancher de béton gris. Pour compliquer les choses, l’intensité lumineuse joue également un rôle majeur dans la façon dont nous percevons les couleurs. Tous ces aspects et bien d’autres ont été pris en compte dans des propositions de nouvelles mesures de l’IRC, mais la simplicité de la méthode CIE fait loi. Et les propositions de nouvelles méthodes de calcul ne me semblent pas justifier les dépenses qu’un tel changement engendrerait. »
Si, selon Fred Bass, on ne parvient pas à établir une bonne corrélation entre l’actuel système de calcul de l’indice de rendu des couleurs et les dernières générations de LED, ne devrions-nous pas emboîter le pas aux États-Unis et adopter la méthode d’évaluation de (IES) TM-30-15 ?

« Bien que l’industrie de l’éclairage sache depuis un certain temps que la méthode de calcul de l’IRC de la CIE n’est pas en adéquation avec le rendu des couleurs des LED, des entreprises responsables ont fait de leur mieux pour fournir des IRC cohérents en l’absence d’alternative, assure Fred Bass. Megaman s’est toujours efforcée de sélectionner tout le spectre des LED blanches aussi près que possible du corps noir et les progrès technologiques ont permis à l’entreprise de produire des lampes avec un IRC qui atteint 95. Cependant, Megaman est actuellement en train de tester l’ensemble de sa gamme de produits selon la méthode TM-30. Les produits sont également envoyés à un centre de tests extérieur et les indices Rf et Rg commenceront à apparaître sur le site de Megaman dans les prochains mois. »♦