
La municipalité de Shanghaï a engagé, début 2016, un processus de réaménagement de la rive droite du fleuve Huangpu sur une longueur de 21 km. Le projet lauréat du concours international est proposé par une équipe de paysagistes français menée par l’agence de paysagistes Ter. La conception lumière a été confiée à l’agence Concepto.
Les villes et leurs fleuves
Les fleuves et les villes possèdent un lien particulier et ancestral. L’existence des fleuves a souvent conditionné la présence humaine et le développement urbain et économique d’un territoire (échanges commerciaux, impôts, ressources domestiques, activités artisanales puis industrielles, transports). Les fleuves ont aussi toujours représenté une source de danger et de nuisances (invasion, inondation, pollution).
La disparition progressive de l’attractivité économique portuaire au fil des décennies, a laissé comme héritage aux villes modernes, des friches industrielles, des réseaux fluviaux recouverts ou disparus, des éléments et des lieux oubliés et délaissés en plein centre-ville (quais, rampes, grues, hangars, usines désaffectées). Ces sites, à fort enjeu, font aujourd’hui l’objet d’une « reconquête urbaine » par les politiques publiques et d’un véritable engouement pour les citadins en mal d’espace naturel. Ce phénomène s’observe à l’échelle mondiale : de Copenhague à Chicago, de Medellin à Madrid, de Moscou à Paris, des projets urbains de grandes envergures redonnent de nouveau une place essentielle aux fleuves dans la ville.
Le fleuve Huangpu à Shanghai
Ce fleuve, de 400 m de large en moyenne, traverse Shanghai, pour se jeter ensuite dans la mer de Chine orientale. Il sépare la métropole de 14 millions d’habitants en deux parties, Pudong à l’Est et Puxi à l’Ouest. Il est encore aujourd’hui largement utilisé à des fins économiques et de transports, et garde un important caractère industriel. Il a également un attrait touristique fort, par le biais de ses nombreuses navettes fluviales. Une partie de ses berges est particulièrement emblématique de Shanghai. Elle prend toute sa dimension précisément à la tombée de la nuit, avec d’un côté à l’Ouest le Bund et sa terrasse-spectacle, et de l’autre côté à l’Est, Pudong, quartier financier de la ville, qui s’anime aux rythmes changeant des enseignes lumineuses commerciales de ses gratte-ciels dont certains culminent à plus de 600 m de haut. Cette représentation iconique, chaotique, et sur-photographiée des berges constitue aujourd’hui la silhouette emblématique de la mégalopole chinoise.

Le concours international
La municipalité de Shanghai a donc engagé début 2016 un vaste processus de réaménagement de la rive droite du fleuve Huangpu sur une longueur de 21 kilomètres. Au cœur de l’agglomération, ce projet vise à favoriser un art de vivre au bord du fleuve, à donner une visibilité et une identité forte à cet espace métropolitain en impulsant des usages variés et permanents sur l’ensemble du linéaire de berge côté Pudong.
Dans cette optique, le projet d’aménagement lauréat, proposé par l’équipe française menée par l’agence de paysagistes Ter lors d’un concours international, redéfinit l’espace de la berge comme une interface vivante entre les quartiers et le fleuve, une épaisseur nouvelle qui articule modes doux, écologie, espaces publics, activités et économie. La continuité est assurée par un triptyque d’espaces permettant de définir différents flux et usages : grande promenade, sentier découverte, voie sportive.

Pour l’équipe lauréate, chacun de ces espaces est accompagné d’équipements permettant d’intensifier et d’activer la berge par de nouvelles activités au bord de l’eau. Les aménagements favorisent une continuité linéaire (franchissement des canaux, création de pontons). Cette continuité est consolidée par la création d’un bornage repère (architectures totems en bois implantées tous les kilomètres). La berge est ici définie comme un espace de vie quotidienne autant diurne que nocturne, mais également comme le support organisé de festivités locales et nationales.
Shanghai trouve dans ce projet une «Waterline» reflet de sa symbolique et célèbre «Skyline» et un nouvel espace public support d’expression des modes de vies locaux.
La silhouette nocturne existante de Shanghai
Ce qui surprend à Shanghai de nuit en voiture, c’est la prédominance des infrastructures routières aériennes qui se croisent et irriguent cette ville dotée d’une incroyable densité de bâtiments. Ce voyage nocturne au niveau des étages inférieurs des édifices offre à la fois une vue panoramique imprenable sur les innombrables gratte-ciels illuminés qui semblent composer un catalogue temporel des effets de lumière colorée et sur la ville en contrebas, qui révèle alors des collages improbables où se mêlent et s’entremêlent des architectures traditionnelles, des espaces publics indéfinis et des commerces de haut standing.
Dans ces longs voyages, le passage au-dessus du fleuve Huangpu agit comme une ouverture vers le paysage nocturne fluvial qui donne pour la première fois au visiteur une idée de l’immensité de la mégapole chinoise, grâce à l’ampleur et au nombre de tours illuminées en arrière-plan. Cette superposition de niveaux, qui se découvrent différemment selon la position de l’observateur, donne à Shanghai une image nocturne très spéciale. Le fleuve accueille aussi des bateaux illuminés multicolores, ressemblant à des jouets futuristes, qui traversent dans toutes les directions la surface liquide sombre qui agit comme un miroir et reflète un tas d’architectures spectaculaires couvertes d’écrans vidéo géants.

La berge rive droite est découpée en de nombreuses séquences nocturnes autonomes et disparates qui ne sont pas à la hauteur de la magnificence de ce paysage fluvial. C’est certainement dans ces strates basses et dans ces vides paysagers à construire que Shanghai pourra réinventer un éclairage urbain novateur qui offrira aux résidents un kaléidoscope d’ambiances lumineuses originales, inspirées aussi par l’histoire industrielle riche et complexe de la ville.
En arrière-plan du fleuve et dans les profondeurs à l’Est de la ville, les parties hautes des tours doivent jouer un rôle secondaire dans ce scénario nocturne, plus temporaire en début de nuit et plus varié, qui se fera l’écho dans le ciel des couches lumineuses vivantes et habitées proposées par la ville basse.
Un paysage lumière de strates

Les bords du fleuve en perpétuel mouvement s’adaptent comme un organisme vivant aux différentes temporalités diurnes et nocturnes. Le paysage nocturne, changeant et éphémère, suit ces activités humaines temporaires à l’aide de jeux de lumières miroitants qui s’allument, disparaissent, changent de couleurs, selon les usages nocturnes, les besoins, les désirs et les divers événements accueillis sur le site.
L’image nocturne de la berge offre ainsi au public une multitude de séquences, de scènes et de variations lumineuses. Cette « ligne de vie » lumineuse est visible depuis la berge opposée, du célèbre Bund, des ponts, du futur téléphérique, du haut des bâtiments et des méandres de la berge Est qui proposent des panoramas nocturnes différents et successifs.
Le paysage nocturne se compose donc horizontalement à partir d’une partition de strates lumineuses : réflexions sur l’eau, bord d’eau lumineux, berges basses et hautes, points lumineux des éclairages publics, paysage éclairé, totems lumineux régulièrement disposés, kiosques, ponts, passerelles, architectures, gratte-ciels. Ces strates de lumière, chacune à leur manière, révèlent l’énergie de la ville et les activités des habitants : du crépuscule au cœur de la nuit, des jours de pluie quotidiens aux soirées de festivals et fêtes nationales. La surface aquatique agit en complément comme un miroir déformant qui duplique le paysage nocturne proposé et crée d’étonnants reflets lumineux pour donner une présence encore plus intense à ce dessin fragile de 21 kilomètres de long.

Un bord d’eau nocturne vivant
La vie nocturne sur la berge est surtout visible quand on se promène le long du fleuve. Un paysage narratif est alors créé en fonction des mouvements des gens et des occupations nocturnes. L’éclairage public change en intensité et en tonalités et compose, sur toute la longueur de la berge, un flux lumineux qui suit le rythme et la vitesse du fleuve. Différents niveaux de lumière offrent une grande diversité d’usages et donnent aux usagers la possibilité de profiter de divers environnements lumineux pour habiter l’obscurité. Les ambiances lumineuses proposées expriment les nouvelles tendances urbaines, en lien avec les changements de nos modes de vie, avec ce besoin croissant et continu de connectivité et avec la nécessité corollaire de trouver des espaces publics porteurs de convivialité et d’échanges.

Des espaces lumière, consacrés au bien-être des utilisateurs, transforment progressivement l’environnement urbain nocturne. Les utilisateurs y trouvent toute la connectivité nécessaire et ils peuvent aussi interagir et devenir ainsi des acteurs de la conception de leur environnement.
Les ambiances nocturnes peuvent alors définir des volumes immatériels qui réagissent avec l’espace environnant, soulignent, coupent et délimitent autrement l’espace nocturne. La lumière s’adoucit progressivement dans les espaces naturels et se calme pour laisser l’obscurité régner au cœur de la nature. Des variations de couleurs ambre soulignent les arbres sur la berge et des lumières de couleur bleu-vert révèlent les plantes près de l’eau. Des lumières organiques, bioluminescentes, se déploient alors sur le sol et dans les plantes aquatiques pour guider et rassurer les visiteurs sans générer de pollution lumineuse.

Par Roger Narboni et Fanny Guerard, CONCEPTO