
Au milieu des années 80, alors que les lumens, les températures de couleur et autres éclairements et luminances commençaient tout juste à faire sens, pour moi, des électrons libres de la « Profession », avec un grand P, ont décidé de faire cavaliers seuls. Qui a quitté le monde du théâtre, qui celui de l’industrie, d’autres ont osé mêler l’art et l’ingénierie. Tous passionnés d’éclairage et de mises en scène lumineuses, en même temps qu’ils portaient un autre regard sur cet univers complexe, ont inventé un autre métier… il en est même un qui lui a donné un nom « concepteur lumière » ! Dans quelques semaines, PLDC (Professional Lighting Designer Convention) ou le congrès des concepteurs lumière professionnels va rassembler des centaines de ces éclairagistes créatifs (ils étaient 1 700 à participer à la session de Rome, en 2015) venus écouter et voir les quelque 80 présentations (programme p. 60 et 61) qui se dérouleront sur trois jours. Dans ce contexte, la Rédaction a décidé de leur donner la parole. Restait à trouver l’élément fédérateur, le sujet-clé commun qui permettrait de recevoir leurs témoignages tout en révélant les particularités de chacun. C’est ainsi que s’est imposé ce Cahier technique qui dévoile les grands principes de la charte lumière, conçue par l’atelier Coup d’éclat, pour les soixante-huit gares du Grand Paris et mise en œuvre par plus de dix agences de concepteurs. Avant de leur laisser la parole, tour d’horizon de ce titanesque projet architectural et lumineux… Dossier réalisé par Isabelle Arnaud et Alexandre Arène.
GARES DU GRAND PARIS :
UNE CONCEPTION LUMIÈRE PARTICIPATIVE


La Société du Grand Paris a désigné le groupement Jacques Ferrier Architecture (JFA) lauréat de la consultation internationale de conseil en architecture et en design des gares du Grand Paris Express dont elle assure la maîtrise d’ouvrage. C’est l’atelier Coup d’éclat qui a été choisi pour définir la charte de la conception lumière. Entretien croisé avec Yves Adrien et Florian Colin.
Pour la première fois, une maîtrise d’ouvrage fait appel à une agence de conception lumière pour définir une charte commune d’éclairage à 60 sites. Comment avez-vous abordé ce projet ?
Y. A. –L’agence Jacques Ferrier a toujours traduit une volonté de répondre aux prérogatives environnementales en proposant des bâtiments novateurs et en développant le concept de « ville sensuelle », plaidoyer pour une architecture qui se veut une expérience sensorielle globale. Notre réflexion reposait donc sur ce principe : comment faire entrer la lumière dans ce schéma et projeter l’idée de sa sensualité ? Nous sommes partis de la notion d’horloge biologique en essayant de nous extraire des contraintes normatives, dans le respect du bien-être des usagers et des exigences de chaque gare. L’exercice, pour le moins inhabituel, consistait à trouver le point d’équilibre dans l’interprétation de chaque gare et la cohérence globale de l’ensemble des bâtiments. Travail d’une grande complexité, puisque quarante agences d’architecture participent à ce projet et certaines gares sont seulement aériennes, d’autres surtout souterraines, ce qui donne lieu à des approches différentes, notamment en ce qui concerne le rôle de la lumière naturelle.
» C’est un travail collégial
qui a fondé
les bases de la charte lumière. ”
Quels sont les grands axes de la charte ?
Y. A. – Nous nous sommes efforcés de définir des orientations suffisamment générales afin de conserver, pour chaque gare, ses spécificités et de laisser les concepteurs lumière libres de créer une identité propre à chaque site. Cela dit, nous avons défini une charte axée sur trois composantes essentielles : une constante lumineuse composée d’un éclairage général et d’une lumière d’accentuation, la création d’un cycle circadien et une large place à la lumière naturelle. Ces définitions ont fait l’objet d’une base intangible discutée très en amont avec la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre. Charge ensuite aux concepteurs lumière d’en proposer leur interprétation en cohérence avec les sites et architectures qu’ils accompagnent.
F. C. – Au début nous avions le sentiment d’assurer un rôle de « censeurs », position inconfortable et contradictoire avec notre travail préalable. La mise en place d’« ateliers lumière » (initiative partagée avec la MOA) a permis l’échange autour des interprétations de la charte de chaque concepteur. Ce qui finalement permet autant à la charte d’évoluer qu’aux projets de s’affirmer.
Un peu comme un chef d’orchestre avec ses musiciens ? Ils ont tous la même partition, mais chacun son interprétation ?
F. C. – C’est un peu cela, en effet. Rappelons que dès le début du projet, la méthode est collégiale, que ce soit avec la Société du Grand Paris, l’équipe de Jacques Ferrier ou même au sein de l’atelier Coup d’éclat où nous avons défini conjointement et exploré séparément différents aspects du programme lumière. Cette collaboration nous avons souhaité la poursuivre avec nos confrères, afin de conserver une cohérence globale, faire vivre la charte et les projets sans tomber dans l’ingérence.
Y. A. – La vision de Coup d’éclat n’est pas démiurgique. Elle vise au croisement de plusieurs regards, celui des architectes et concepteurs lumière qui projettent leurs désirs, réflexions et idées dans la maîtrise de chaque projet. La dimension participative à l’échelle de l’ensemble constitue une grande première en France, ce qui dynamisera, très certainement, les professionnels de la conception lumière.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud