Interview d’Antoine de Fleurieu, délégué général du Gimélec

Créé en 1971, le Gimélec regroupe 200 entreprises industrielles qui conçoivent et fabriquent des systèmes de pilotage et d’optimisation de l’énergie et des process pour les smart grids, l’Industrie du futur, les infrastructures du numérique. Confronté à l’arrivée du numérique dans les activités de ses membres, le Gimélec participe activement à l’élaboration de référentiels et de normes françaises, européennes et mondiales qui régissent la filière, comme nous l’explique Antoine de Fleurieu, son délégué général.

Quels seront les sujets centraux du Gimélec dans les mois à venir ?

Antoine de Fleurieu – Les sujets abordés seront de deux natures : ceux liés à l’institution Gimélec et les autres liés à l’activité de nos adhérents. Nous souhaitons conforter notre positionnement, à savoir celui d’une organisation professionnelle qui fait des propositions de valeur au marché et aux pouvoirs publics, et non un syndicat, qui défend les intérêts d’une corporation. Le Gimélec se compose de deux filières technologiques que sont l’électricité et le numérique, qui convergent aujourd’hui à grande vitesse. Nous nous considérons d’ailleurs comme un acteur du numérique. Pour nos adhérents, cette convergence technologique se traduit par un ensemble de sujets centraux que sont le bâtiment connecté, les réseaux intelligents et les nouveaux usages dans le système énergétique, l’Industrie du futur ou encore les infrastructures du numérique. Certaines thématiques transverses, aussi diverses que la cybersécurité ou l’économie circulaire, ont également une importance toute particulière.

Le « Prix Smart Building du Gimélec pour les startups » sera remis le 4 juillet prochain. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce trophée ?
A. F. –
Il s’agit de la première édition de ce prix, qui est pour nous le moyen de mieux faire savoir que notre industrie est actrice du numérique. L’idée d’organiser ce concours émanait d’une demande de nos adhérents, qui souhaitaient distinguer des startups pour les solutions efficaces qu’ils développent au service des occupants et des exploitants des bâtiments. La plupart de nos adhérents travaillent aujourd’hui avec des écosystèmes de startups afin de proposer de nouveaux services générateurs de valeur. Ce concours reflète donc les activités de nos entreprises.

Les objets connectés envahissent le bâtiment à grande vitesse. De quelle manière accompagnez-vous vos adhérents dans cette transition ?
A. F. – Pour la grande majorité, nos adhérents n’ont pas besoin du Gimélec pour avancer sur ces sujets. Cela fait maintenant plusieurs années qu’ils développent ces offres. Nous les accompagnons principalement sur le terrain de la normalisation avec, en toile de fond, les enjeux de cybersécurité et d’interopérabilité.

De quelle manière vos adhérents perçoivent-ils l’arrivée du numérique dans le bâtiment ?
A. F. –
Nos adhérents se perçoivent comme des acteurs du numérique à part entière. Le Gimélec, avant même l’arrivée des solutions connectées, était en pointe sur ces sujets, avec notamment la GTB et les automatismes, qui allient depuis longtemps pilotage du bâtiment et numérique. De plus, la convergence de l’électrique et du numérique se fait naturellement et beaucoup de nos adhérents réalisent des opérations de croissance externe ciblant des acteurs du numérique. Dans le bâtiment, on passe de l’acte de construire à une démarche holistique qui intègre l’ensemble du cycle de vie du bâtiment et notamment la longue phase de son exploitation. Cela déplace en partie la valeur donnée au bâtiment, son exploitation permettant d’apporter de nouveaux services, à l’occupant comme à l’exploitant. Le numérique est un facteur essentiel de ce bouleversement.

Y sont-ils suffisamment préparés, selon-vous ?
A. F.
Sur le plan technologique, nos entreprises adhérentes sont prêtes, les technologies, en perpétuelle évolution, sont disponibles. Les questions qui restent à résoudre et auxquelles nous tachons de répondre sont plus celles des nouveaux modèles économiques, de l’évolution des compétences ou des enjeux de cybersécurité.

 

Le Gimélec mène-t-il des travaux sur la sécurité des objets connectés et des architectures IT dans le bâtiment ?
A. F. –
Nos premiers travaux collectifs en matière de cybersécurité, pour le bâtiment comme pour les smart grids ou l’industrie, remontent à 2012. Nous avons très tôt collaboré avec l’ANSSI et ainsi, pu élaborer les référentiels de certification dédiés à nos technologies. Le travail n’est pas fini, s’il peut l’être un jour, mais nous ne sommes pas en retard. Notre profession avait sans doute des prédispositions étant depuis son origine confrontée à la question cruciale de la sécurité électrique.

Le gouvernement a publié récemment un plan de rénovation énergétique des bâtiments. Quelles sont vos observations sur ce texte ?
A. 
F. – Toute annonce, décision ou initiative gouvernementale sur le sujet de l’efficacité énergétique des bâtiments est saluée par le Gimélec. Dans ce texte, ce qui nous intéresse en priorité est la question des bâtiments tertiaires, pour lesquels nous identifions les points clés suivants : tout d’abord, une politique exemplaire de la part de l’Etat et les collectivités concernant leurs bâtiments. Ce serait là un investissement public utile et rentable. Ensuite, la prise en compte par la loi et la réglementation du potentiel de nos technologies, notamment numériques, en matière d’efficacité énergétique. La réglementation, par une obligation de moyens plus que par une obligation de résultats vérifiables, est parfois même un frein à l’innovation. Enfin, la généralisation au plus vite de la mesure des consommations finales et de leur affichage afin de permettre aux investisseurs comme aux occupants de profiter des meilleures pratiques. Pour les bâtiments neufs, le sujet de la performance énergétique progresse. Pour la rénovation du parc existant, qui est un sujet central dans la transition énergétique, le sujet avance trop lentement. Aujourd’hui, il est facile et rapidement rentable d’engager un programme ambitieux d’économies d’énergie dans le tertiaire.

Pensez-vous qu’il permettra de suivre la trajectoire fixée par la loi sur la transition énergétique ?
A. F. –
Le plus gros problème n’est pas d’être loin de la trajectoire, mais loin de ce que l’on peut faire en réalité. Dans le tertiaire, les solutions proposées par nos adhérents permettent de réaliser de 20 à 60% d’économies d’énergie en fonction de la typologie de bâtiment. Si on ajoute à cela l’amélioration de l’enveloppe et des équipements thermiques, on peut atteindre des niveaux d’économies de 80%. Prenons l’exemple de l’enseignement. Dans les écoles ou universités, l’occupation est intermittente et programmée de manière connue. Il est dans ce cas facile et opportun de gérer les consommations énergétiques en temps réel en fonction des usages réels. Aussi, nous ne pouvons qu’être déçus par la lenteur de la transformation du parc bâtimentaire français. L’industrie est plus vertueuse de ce point de vue. Les pouvoirs publics comprennent mal l’apport de nos technologies combinées au numérique. A nous de les convertir. Nous craignons par ailleurs que la logique E+C- soit dégradée. Ce serait regrettable, car l’enjeu reste bien de réduire à la fois les consommations du bâtiment et ses émissions. La France a fait des CEE (certificats d’économies d’énergie) le cœur de sa politique d’efficacité énergétique. De notre point de vue, ce dispositif n’est pas efficace, il méconnaît les technologies les plus vertueuses, il est mal compris des clients et il a finalement généré des effets d’aubaine ayant peu de rapport avec l’efficacité énergétique.

Une feuille de route sur l’économie circulaire a été présentée au mois d’avril. Selon vous, ce texte va-t-il dans la bonne direction ?
A. F. –
Comme je l’ai dit précédemment, nous saluons l’ensemble des initiatives gouvernementales sur les sujets environnementaux. Selon nous, le texte va dans la bonne direction, mais le Gimélec alerte les pouvoirs publics sur deux points : l’économie circulaire ne se limite pas au traitement des déchets et une politique d’économie circulaire s’applique de façon différenciée selon qu’elle cible un bien de consommation ou un bien d’équipement professionnel. Ces derniers ne coûtent pas le même prix, n’ont pas les mêmes durées de vie et ne font pas l’objet des mêmes garanties. Ils peuvent équiper des infrastructures stratégiques, font l’objet d’une maintenance et sont valorisables en fin de vie ou en seconde vie. Alors oui, nous saluons cette feuille de route sur l’économie circulaire, mais nous attendons surtout d’en connaître les déclinaisons pratiques pour nos entreprises et leurs clients.

Le Gimélec a lancé la démarche « Play EC ». En quoi consiste-t-elle précisément ?
A.F. – Il s’agit d’une invitation à devenir acteur de l’économie circulaire, articulée autour des grands axes sur lesquels se positionnent les entreprises du Gimélec : l’efficacité énergétique, le bâtiment connecté, l’autoconsommation et les boucles locales d’énergie, l’Industrie du futur, les réseaux électriques intelligents et la performance énergétique des infrastructures du numérique. L’objectif est de produire et consommer l’énergie de manière plus efficace et plus locale et de faire du bâtiment une brique de l’écoquartier. Idem pour l’Industrie du futur qui, tout en étant plus compétitive, devient plus sobre. Les modèles et les logiques industriels tendent aujourd’hui vers l’optimisation et vers plus de circularité. « Play EC » permet de valoriser l’ensemble de ces démarches et de créer du dialogue entre les acteurs. Le Gimélec a une vision positive et volontariste de l’économie circulaire.

Selon vous, comment se porte la filière aujourd’hui ?
A. F. –
La filière se porte bien. Conjoncturellement, puisque nous profitons du retour de la croissance en France comme à l’international. Structurellement, puisque cette filière est un acteur des transitions énergétiques et numériques qui la portent durablement. L’équipe du Gimélec est privilégiée de ce point de vue, car tous les jours, nous travaillons sur des sujets porteurs et de progrès. Quoi de mieux que d’œuvrer pour l’accès de tous à l’énergie, pour la lutte contre le réchauffement climatique ou la modernisation de l’industrie nationale ? Nous sommes portés par une lame de fond. Je note à cet égard que le même nombre de nos adhérents est croissant et que nos leaders n’ont cessé de se développer et de s’internationaliser.

Comment le Gimélec souhaite-t-il évoluer dans les cinq années à venir ?
A. F. –
Nous souhaitons être identifiés comme l’organisation professionnelle de référence pour tout ce qui touche aux technologies de la gestion de l’énergie, du bâtiment connecté, de l’Industrie du futur, de la mobilité propre et des infrastructures du numérique sobres en énergie. Sur certains terrains comme la normalisation, nous souhaitons conforter notre leadership au niveau national (Afnor) et international (IEC). En résumé, je souhaite que dans cinq ans le Gimélec soit considéré comme un accélérateur des transitions énergétique et numérique et une organisation reconnue pour ses valeurs en conformité aux règles de concurrence, de transparence et de bonne gouvernance.

Vous occupez le poste de délégué général du Gimélec depuis 2008. Quelles sont vos plus grandes satisfactions ou fiertés ?
A. F. –
Ma plus grande fierté réside sans doute dans la confiance que nous accordent quotidiennement nos adhérents, petits et grands. Confiance qui se traduit par leur très forte mobilisation dans nos instances, source d’une intelligence collective exemplaire. Ma fierté réside également dans la capacité renouvelée du Gimélec à anticiper et à se positionner sur les véritables enjeux stratégiques de la profession.

En l’espace de dix ans, quelle est votre perception de l’évolution de la filière ?A. F. – Après une période faste de croissance nationale de l’après-guerre à la fin des années 80, puis une période de conquête rapide à l’international durant les années 90 et 2000, notre filière vit une nouvelle évolution radicale, celle de la convergence de l’électrique et du numérique. Cette nouvelle évolution nous promet de nouvelles et belles conquêtes, notamment en faveur de la lutte contre le changement climatique.

Propos recueillis par Alexandre Arène

 

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