La startup Sylfen se fraye un chemin sur le marché hautement stratégique de l’hydrogène vert

L'équipe Sylfen devant le Smart Energy Hub.

Le réchauffement climatique, la dégradation de notre environnement, voilà bien des raisons qui doivent nous inciter à encore plus recourir aux énergies durables et renouvelables pour nos déplacements, nous éclairer ou encore nous chauffer. Mais la production intermittente de ces ressources constitue un frein notable à leur usage. Depuis 2015, la startup grenobloise Sylfen, qui s’appuie sur les innovations de la filière hydrogène-énergie, ambitionne de changer la donne et développe une solution novatrice de stockage-redistribution de l’énergie, destinée au secteur des bâtiments. L’élément chimique H, dans l’air du temps, valorise l’usage des énergies naturelles locales tout en réduisant la dépendance aux énergies carbonées.

La Terre met à notre disposition de nombreuses sources d’énergies renouvelables, dont celle qui nous vient du soleil est probablement la plus abondante, puisqu’il nous envoie « une puissance de 90 000 térawatts (TW), à comparer aux 14 TWh consommés par la population mondiale »(1), et cela restera valable encore quelques milliards d’années. Le succès de la transition énergétique passe par la valorisation optimale de ces ressources, qui repose sur le développement des technologies de stockage, afin d’ajuster en temps réel leur production intermittente à nos besoins quotidiens. Fondée à l’initiative de Caroline Rozain, de Marc Potron et de Nicolas Bardi, la startup grenobloise s’attaque au défi de la sécurisation de l’approvisionnement énergétique à partir de ressources renouvelables, toute l’année, grâce au stockage hydrogène, avec son dispositif « Smart Energy Hub ». Celui-ci met en œuvre un processeur d’énergie rSOC(2), «capable de fonctionner en électrolyseur pour produire de l’hydrogène (fonction de stockage d’énergie), et en pile à combustible hydrogène ou méthane pour restituer électricité et chaleur au bâtiment (cogénération) », détaille Nicolas Bardi.

Conçue pour être réversible, la rSOC, fruit de plus de dix années de recherche au sein du CEA-Liten (Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux de Grenoble), protégée par 22 brevets, offre une véritable technologie de rupture en combinant à des batteries classiques (Li-on) le stockage à hydrogène, « pour conserver d’importantes quantités d’énergies renouvelables, et les restituer en cas de besoin ». Lorsque le bâtiment produit de l’énergie issue d’une production locale, des panneaux solaires par exemple, les batteries sont rechargées et, « le surplus est conservé sous forme d’hydrogène dans des réservoirs ». Les batteries classiques ne sont pas utilisées seules pour sauvegarder l’énergie, « il en faudrait d’importantes quantités, ce qui serait coûteux et nécessiterait beaucoup de place », c’est l’hydrogène qui s’en charge, « un kilogramme d’hydrogène stocké équivaut à 35-40 kWh, soit deux fois plus que la quantité d’électricité stockée dans les batteries d’une voiture électrique ». La technologie rSOC, « basée sur l’électrolyse de l’eau à haute température, en plus de ses fonctions de stockage et de restitution, génère en même temps de la chaleur en cogénération ». Et dans les cas où l’énergie risquerait de faire défaut, au moment de pics de consommation, la technologie rSOC(3) peut être utilisée avec du biométhane pour combler les besoins et continuer à approvisionner le bâtiment en énergie. Avec cette solution, « le bâtiment peut donc être alimenté à 100 % grâce aux énergies renouvelables ». L’enjeu est de taille, « actuellement, les bâtiments génèrent environ 40 % de la consommation d’énergie de nos pays, et une part à peu près équivalente des émissions de CO2 ».

Nicolas Bardi.

À l’image des briques d’un jeu de Lego, le Smart Energy Hub est un outil modulable qui s’adapte aux bâtiments neufs et anciens, « qu’ils soient publics ou privés, tertiaires ou collectifs résidentiels, nous dimensionnons notre installation par rapport au bâtiment en ajoutant des modules en fonction des surfaces, chacun d’entre eux couvrant de 1 500 m² à 2 000 m² ».

Le « hub » est piloté par une suite de logiciels développés par la startup, « une couche d’intelligence embarquée qui, en gérant les ressources énergétiques, optimise le service rendu aux bâtiments, supprime les pertes de surplus d’énergie et rend les constructions autonomes(4) à plus de 90 % en énergie ».

Le Smart Energy Hub, dimensionné notamment pour les écoquartiers, contribue à modifier le modèle économique en matière d’énergie. Son installation dans un bâtiment génère certes un investissement de départ, mais en autorisant le stockage des énergies renouvelables non utilisées, et jusque-là définitivement perdues, le dispositif allège, au bout du compte, sensiblement la facture en réduisant le recours à l’électricité ou au gaz fournis par les réseaux d’approvisionnement classiques. « Avec un objectif de baisse estimée de 80 % de la facture d’énergie, nous pouvons parler dans ce cas d’une véritable émancipation énergétique », qui renforce par ailleurs la valeur patrimoniale du bien immobilier, tout en diminuant les émissions de CO2.

Pas moins de quatre années auront été nécessaires pour développer et valider la solution Smart Energy Hub en concertation avec le CEA, à partir d’un démonstrateur à échelle réduite et en condition réelle d’usage. Un contrat signé l’année dernière, pour l’installation d’ici à fin 2019 du dispositif à Turin, concrétise la phase de déploiement et constitue un premier succès commercial à l’export. Mais, « le vrai lancement commercial n’interviendra pas avant 2021 ».

À terme, Sylfen, qui vise aussi bien le marché professionnel que celui des particuliers, lorgne aussi du côté des marchés internationaux, « dans notre domaine, la dynamique est mondiale ». En la matière, les enjeux planétaires attisent la concurrence et pour ce qui concerne le marché de l’hydrogène destiné aux besoins en énergie des bâtiments, ce sont le Japon, les États-Unis, l’Allemagne et la Corée du Sud qui forment le quatuor de tête, la France arrive après(5).

Le succès de Sylfen repose à la fois sur la qualité de sa solution, développée en partenariat avec une recherche publique de très haut niveau, et sur la garantie d’un accès aux capitaux qui lui permettront de dépasser la phase de Recherche & Développement, pour accéder à celle de l’industrialisation. Dans cette optique, l’année 2019 va constituer une étape charnière, avec le bouclage espéré d’une levée de fonds d’ici à fin juin, « pour plusieurs millions d’euros ». La startup, qui s’appuie à ce jour sur sept collaborateurs, doit financer l’arrivée de nouvelles compétences « pour accélérer le développement commercial et étoffer le pôle étude » et mettre en place la future ligne d’assemblage.

Olivier Durand

(1) Marc Fontecave, chimiste, membre de l’Académie des sciences.
(2) Reversible Solid Oxide Cells (rSOC) ou technologie à oxydes solides à haute température.
(3) La technologie rSOC peut effectivement accueillir de l’hydrogène et/ou du méthane (biogaz, gaz naturel) pour produire électricité et chaleur.
(4) Dans ce cas, l’autonomie est la part d’énergie produite et consommée par le bâtiment pour couvrir ses propres besoins.
(5) Les Echos.

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