Entretien avec Jean-Michel Wilmotte – La lumière, révélateur d’espace

Jean-Michel WILMOTTE,
Jean-Michel WILMOTTE, Architecte, urbaniste et designer ©Jean Grisoni

Membre de l’Académie des Beaux-Arts depuis 2015, diplômé de l’École Camondo (Paris) en architecture d’intérieur, Jean-Michel Wilmotte a fondé en 1975 Wilmotte & Associés, une agence d’architecture qui, avec son studio de design Wilmotte & Industries, réunit aujourd’hui en France, au Royaume-Uni, en Italie et en Corée du Sud 270 architectes, urbanistes, designers, muséographes et architectes d’intérieur de 25 nationalités. W&A mène plus de 100 projets dans 28 pays. Quels que soient les projets, du plus simple au plus spectaculaire, Jean-Michel Wilmotte et ses équipes développent une approche à la fois innovante et responsable, avec une attention particulière pour la lumière, les matériaux, les finitions et le végétal, toujours dans le respect du site et de son histoire. En 2005, Jean-Michel Wilmotte crée la Fondation d’entreprise Wilmotte et le prix W, un concours européen d’architecture autour de la reconversion du bâti ancien suivant le concept de greffe contemporaine. Jean-Michel Wilmotte affectionne particulièrement l’agencement d’espaces culturels et muséographiques ainsi que les projets de réhabilitation et de reconversion du patrimoine. Avec le studio de design Wilmotte & Industries, il explore les domaines du « design d’environnement » avec des objets aux lignes sobres et épurées. Lauréat de nombreux prix internationaux, W&A est entré en 2010 dans le classement (du magazine anglais Building Design) des 100 plus grands cabinets d’architecture du monde.

Jean-Michel Wilmotte place la lumière au cœur de tous ses projets. Dans son Dictionnaire amoureux de l’Architecture (éditions Plon), il évoque cette particularité du droit anglais, le right to light (le droit à la lumière), qui permet au propriétaire d’un bâtiment pourvu de fenêtres de conserver le même degré d’éclairage obtenu par la lumière du jour, et donc de s’opposer à une construction voisine qui l’en priverait. Jean-Michel Wilmotte réécrit, redessine et sculpte la lumière à chaque fois, avec finesse, avec élégance, dans un logement, un musée, un monument, et dans la ville aussi. Enfin, elle devient design dans ses nombreuses créations de luminaires, en harmonie avec les espaces qu’ils éclairent.

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© Rodolphe Escher, le château Pédesclaux (33250 Pauillac)

Lumières – Comment l’architecte, l’urbaniste et le designer que vous êtes appréhende-t-il la lumière ?
Jean-Michel Wilmotte –
La lumière du jour nous arrive d’en haut, la formule semble évidente, mais nous y sommes tant habitués que la présence de la lumière naturelle ne nous surprend pas, c’est son absence qui étonne. Quels que soient les espaces que je construis, logements, musées, hôtels, je m’efforce de remettre la lumière à sa place ! Autrement dit, je la fais pénétrer le plus souvent possible par les ouvertures zénithales et le plus largement qu’il soit permis. Par exemple, nous avons conçu pour le château Pédesclaux (grand cru classé à Pauillac) un nouveau cuvier et avons redonné toute sa place au domaine en y greffant deux volumes vitrés. Cette intervention sur la façade nous a permis de « donner des ailes » au château. Le cuvier, entièrement vitré, dévoile les étapes de la fabrication du vin. Les cuves, éléments nobles et imposants de la production, sont visibles de l’extérieur et semblent porter le bâtiment. De jour, la lumière pénètre largement dans les espaces intérieurs, tandis que de nuit, elle émane du bâtiment lui-même. Cet écrin de lumière laisse voir les lustres monumentaux que l’agence a créés spécifiquement pour le projet. J’aime que l’éclairage artificiel révèle l’espace, qu’il soit intérieur ou extérieur. Je trouve que de fines lignes de lumière qui entourent des embrasures de fenêtre sont préférables, et de loin, à des puissances lumineuses qui peuvent écraser un bâtiment. Sur un monument historique, rien n’est plus beau que de faibles lueurs qui lèchent les façades ou des accents lumineux qui mettent en valeur des détails architecturaux.

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© Thorn, Luminaire d’éclairage urbain créé pour Thorn.

Pourtant, vous avez créé de nombreux luminaires d’éclairage urbain. Quel regard portez-vous sur l’écriture nocturne de la ville ?
Jean-Michel Wilmotte – Créer du mobilier urbain, notamment des luminaires, offre la possibilité d’éclairer la ville à différentes échelles. L’aventure a commencé il y a plus de 20 ans lorsque Wilmotte & Associés a gagné un concours lancé par la Communauté urbaine du Grand Lyon. L’idée était intéressante : la municipalité souhaitait au départ changer les luminaires pour des raisons plus énergétiques qu’esthétiques. Nous sommes partis de grands luminaires d’éclairage routier pour arriver jusqu’à la plus petite borne destinée aux parcs et jardins, déclinant ainsi une multitude de modèles. À l’époque, il n’existait pas beaucoup de luminaires à l’esthétique séduisante et il s’agissait alors d’un réel défi : comment pouvait-on redonner une identité nocturne à la ville à travers la lumière ? En fait, pourquoi, pour qui éclairent-on en ville ? Pour des raisons de sécurité, de signalétique et pour les piétons. Une fois que nous avons défini ces trois points clés, nous avons fait appel aux technologies existantes et développé de nouveaux designs avec les fabricants. Aujourd’hui, ce sont ces derniers qui viennent vers nous pour créer de nouvelles formes et également de nouvelles fonctions. Nous travaillons, entre autres, avec Comatelec, Eclatec, Thorn. Une de nos dernières créations est le luminaire à LED Urba, conçu pour Thorn – et primé par les « Étoiles de l’Observeur du Design » en 2015, qui allie acier et verre trempé et dispose d’un système de gestion intégré. Tout le travail sur la lumière est difficile tant en ce qui concerne la technicité que l’apparence que l’on souhaite donner à l’objet lumineux. Récemment, la miniaturisation et la qualité des sources lumineuses ont permis une véritable révolution dans la conception des appareils d’éclairage. Nous gardons en permanence à l’esprit que les modèles que nous concevons doivent être adaptés à l’environnement, à la scénographie, aux utilisateurs. Il en va de même pour les éclairages destinés aux intérieurs.

© Amit Geron, Hôtel Lutetia, Paris. Bar Joséphine

Voulez-vous dire que la lumière et le design ne font qu’un ?
Jean-Michel Wilmotte – C’est un peu cela. Par exemple, pour l’hôtel Lutetia, nous avons conçu une vingtaine de luminaires différents, chacun avec une destination spécifique et toujours dans le respect de l’identité du lieu. Des classiques revisités, en harmonie avec l’histoire du lieu, à l’image des grands lustres de l’accueil qui sont une réinterprétation du design de la période Art Déco.

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Suspension créée pour l’hôtel Lutetia, Paris.

Chaque luminaire a été pensé comme une construction architecturale. En témoignent les détails d’assemblage, comme les « agrafes », ainsi que le choix des matériaux tels que l’albâtre, la pâte de verre, le verre soufflé et le bronze foncé, en parfaite résonance avec un palace. Des lustres façon albâtre assurent l’éclairage général des chambres, tandis que des spots (iGuzzini, Artemide) ponctuent les espaces pour créer différentes ambiances lumineuses et que liseuses, appliques, lampes à poser procurent des éclairages fonctionnels et élégants. La lumière doit toujours accompagner doucement et discrètement les lieux qu’elle éclaire, qu’il s’agisse d’une maison, d’un bureau, d’un musée, d’un monument et même d’une ville, sans jamais gêner ses occupants…

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