QAI : les matériaux ne sont pas au cœur de la problématique

Pour les propriétaires, décideurs et élus, exploitants et maîtres d’ouvrage, la qualité de l’air intérieur est devenue un enjeu essentiel des projets de construction et de rénovation. Depuis 2010, des efforts ont été accomplis, notamment au niveau des émissions de polluants chimiques (COV et formaldéhyde) issus notamment des matériaux de construction. Est-ce suffisant ? Où sont donc désormais les enjeux de la QAI ?

Il n’y a pas que les COV qui polluent l’air intérieur
L’air intérieur réunit trois grandes sources de polluants. Les polluants chimiques (COV, formaldéhyde) qui peuvent provenir des matériaux de construction et de décoration, des produits d’entretien mais aussi des mobiliers, des panneaux de particules, des textiles, des colles, moquettes et peintures. Deuxième source, les polluants biologiques et liés à la présence humaine (humidité, acariens, insectes et moisissures, cuisine…) et puis enfin, la pollution extérieure telle que poussières, pollens, particules fines (PM), oxydes d’azote (NOx). S’y ajoute, dans certaines régions françaises, le radon, qui est un gaz radioactif cancérigène, provenant principalement des sols. Cela donne un air intérieur jusqu’à 8 fois plus pollué que l’air extérieur, selon l’OMS, et des coûts sociaux annuels en France évalués à plus de 19 milliards d’euros selon une étude de l’OQAi (Observatoire de la qualité de l’air intérieur) et de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire).

On ne se bat plus sur l’impact des matériaux sur la QAI
« Il y a eu de nettes améliorations avec l’arrivée de gammes de matériaux faiblement émissifs, et ce, sur chaque catégorie concernée », explique le Dr Suzanne Déoux, fondatrice de Medieco et organisatrice du colloque « Défis Bâtiment Santé ».

Il convient cependant de rester prudent sur les peintures : les peintures à phase « aqueuse » sont à privilégier quand cela est possible, et pour les peintures à phase « solvant », le moment d’intégration dans les locaux est important, car l’étiquette A+ mesure les émissions à 28 jours, et c’est souvent sur les premiers jours où les émissions liées à ce type de peinture sont les plus fortes.

Pour les colles, il ne faut pas oublier d’étudier les primaires et les ragréages, car ce n’est pas parce qu’un matériau n’est pas en contact avec l’air qu’il n’émet pas. Les primaires en phase « aqueuse » sont à préconiser et, trop souvent encore, le CCTP ne l’indique pas, poursuit l’experte.

« C’est désormais le chantier qui est le point de vigilance majeur »
Chape pas totalement sèche, ventilation insuffisante ou installation défectueuse, produits, et notamment colles vernis ou peintures destinés à l’extérieur et appliqués en intérieur… les mauvaises pratiques sont multiples et apportent leur lot de pollution. Des émissions d’alcools, d’hydrocarbures aromatiques par exemple, peuvent persister des années et être à l’origine de nuisances olfactives et de troubles de santé plus graves. « Avec l’ADEME, nous avons conçu les Ateliers AIRBAT car la sensibilisation directe sur le chantier de tous les acteurs est indispensable. L’atelier, couplé à une réunion de chantier, présente aux artisans, de façon pragmatique, les problématiques de QAI et les dommages possibles liés par exemple aux moisissures, à la mauvaise ventilation, aux COV, les bonnes pratiques pour protéger non seulement la santé des futurs occupants mais aussi celles des compagnons sur le chantier, et enfin, le partage d’informations entre les différents corps de métier, car le geste de chacun est clé. » Ils sont utiles notamment pour illustrer les bonnes pratiques : respecter le temps de séchage avant la pose d’un revêtement, ne pas substituer des produits préconisés, utiliser des produits de nettoyage de chantier sans solvant… et bien sûr, s’assurer du bon fonctionnement et de la conception des systèmes de renouvellement d’air. Les ateliers sont pragmatiques et leur format plaît aux participants, avec des taux de satisfaction supérieurs à 90 %.

Dr Suzanne Déoux Medieco – Chaque corps de métier a un rôle à jouer dans la QAI du futur bâtiment.

« L’exception à ces nets progrès reste le mobilier où l’étiquetage ameublement n’est toujours pas entré en vigueur. Néanmoins, les émissions peuvent être réduites par application d’un film polyuréthane de quelques microns et bien polymérisé. Ce vernis peut bloquer jusqu’à 95 % des émissions. Mais l’absence de repères et d’étiquettes rend les prescriptions difficiles », explique Suzanne Déoux.
Et il reste aussi à travailler sur les perturbateurs endocriniens, qui sont des composants semi-volatils, par exemple les phtalates. Si les plus toxiques sont interdits, on peut encore retrouver des molécules de cette famille dans certains revêtements de sol en PVC. Mais cela avance et certains fabricants comme Tarkett ont réussi à les éliminer totalement de leurs produits.


Témoignages

Enduits Beissier : « la QAI est un des piliers de la conception de nos produits »

L’enduit Prestonett de Beissier dans sa version dépolluante.

« La majeure partie de nos produits sont étiquetés A+ et c’est un aboutissement de 15 ans de R&D pour obtenir des produits performants en application, et avec des objectifs environnementaux forts », souligne Alexa Leclerc, responsable Marketing et Communication de Beissier. « Cela a été possible car l’intégralité du cycle de nos produits est maîtrisée, de leur conception à leur commercialisation. Ainsi, nous avons 14 références certifiées NF Environnement. Nous comptons même un enduit dépolluant, baptisé Acénis, qui capte jusqu’à 85 %* du formaldéhyde de l’air ambiant, mais aussi ceux émis par le support, et les transforme en molécule neutre. L’applicateur retrouve les qualités de son enduit classique et il y a une valeur ajoutée pour les prescripteurs, et c’est parfois clé en rénovation, par exemple en environnement scolaire. »

* Selon la méthode d’essai ISO 16000-23.

Témoignages

Knauf : « une implication durable dans la performance pour la QAI »

La gamme dépolluante dalle plafond Cleaneo et doublage collé Cleaneo-C.

« Le marquage A+ a été anticipé et nous étions prêts deux ans avant l’obligation, et c’est un facteur différentiant pour notre entreprise. Ainsi, par exemple, pour nos produits doublage collé, il y a eu une nouvelle formulation de colle entre le polystyrène et le plâtre pour réduire l’émissivité au maximum », illustre Bruno Burger, responsable Développement Durable chez Knauf Bâtiment. « Nous avons par ailleurs des produits dépolluants en cloisons et en plafond acoustique, et des produits spécifiques, tels des plafonds certifiés contre le risque infectieux pour les hôpitaux. De plus, Knauf Bâtiment s’est engagé avec Knauf Insulation, Aldes, Gerflor, Tollens au sein d’un consortium afin de proposer des sélections de produits complémentaires aux maîtres d’ouvrage et prescripteurs, notamment pour les projets touchant à la petite enfance. »


Témoignages

Stratifiés Polyrey : faciliter le choix des clients sur les volets environnement et sanitaire

« Les Fiches Environnement Simplifiées que nous avons développées indiquent les usages possibles par type de bâtiment et par typologie de chantier – neuf ou rénovation –, et sont le fruit de notre fort engagement environnemental et de notre volonté d’accompagnement clients dans les choix de produits. Elles permettent d’identifier de façon instantanée les caractéristiques et niveaux de performance des produits, notamment sur les aspects QAI, qualité sanitaire, confort visuel, gestion du cycle de vie produit et s’adressent aussi bien aux spécialistes environnement qu’aux architectes et agenceurs et peuvent se décliner pour les trois référentiels majeurs de qualification (HQE, BREEAM et LEED) », explique Géraldine Farges, responsable Marketing chez Polyrey.


Peintures : le monde de la peinture passe au « vert » ?
« Avec la réglementation, les matières premières ont évolué et les formulations pour les nouveaux produits partagent un même objectif, un taux de COV < 1 g COV / L et un classement QAI A+. Et de gros efforts ont été accomplis depuis la fin des années 2000 », souligne Karine Giner, chef de marque Seigneurie. Avec l’expansion des gammes de peintures en phase aqueuse, les façons de travailler des applicateurs ont aussi changé. Cependant, les applicateurs, pour sélectionner leurs peintures, recherchent la performance technique et restent moins sensibles à la QAI », souligne l’experte.

Quelques exemples avec une peinture biosourcée, classée A+ qui utilise des matières premières renouvelables d’origine végétale chez Seigneurie ; des peintures dépolluantes avec un principe actif absorbant le formaldéhyde chez Guittet ; ou encore chez Onip, avec des peintures qui neutralisent le formaldéhyde ou encore les odeurs, comme celle du tabac ou des aliments, qui illustrent que le monde de la peinture d’intérieur a beaucoup évolué, et continue d’avancer dans une logique environnementale avec des réponses performantes aux labels de certification des bâtiments. D’une façon générale, les peintures en phase aqueuse restant à privilégier.

 

Revêtement de sol : moins de colle et des préconisations de pose

La gamme Marmoleum classée A+ et biosourcée à base de fèves de cacao

Là encore, le sujet QAI est pris très au sérieux par la profession. « Tous nos produits sont développés et contrôlés pour émettre le moins de COV possible, et c’est un objectif prioritaire de conception », explique Jean-François Lacoste, responsable Assistance Technique et Environnement chez Forbo Flooring. Pour la pose, nous préconisons l’emploi de produits à faibles émissions de COV ou de poussières, validés par des labels de type Emicode EC1Plus. Enfin, certains produits ne se collent plus et ont des parties adhésives limitées et par ailleurs, les fabricants de colles et adhésifs ont engagé eux aussi des démarches liées à la réglementation.


QAI Le rôle des matériaux de construction

3 questions à Caroline Lestournelle, présidente de la commission environnement de l’AIMCC

Comment le sujet QAI est-il appréhendé par les produits de construction ?
Caroline Lestournelle – Depuis 2011, les produits de construction et de décoration sont soumis à un dispositif réglementaire d’information sur leurs émissions dans l’air intérieur (décret n° 2011-321 du 23 mars 2011 et arrêté du 19 avril 2011). Alors même que la qualité de l’air intérieur est la résultante de plusieurs sources d’émissions – produits de construction mais également produits d’entretien, meubles et habitudes de vie des occupants – et du bon fonctionnement des dispositifs de renouvellement de l’air, les produits de construction sont toujours les seuls à être concernés par cet étiquetage. Dans ce contexte, les fabricants de produits de construction ont plutôt bien joué le jeu et, finalement, cela a permis de ramener de la raison dans ce sujet en arrêtant les grandes mises en cause un peu facile des produits puisque leurs résultats sont plutôt bons, voire très bons (étiquette A+).
Toute la chaîne d’acteurs du bâtiment prend désormais le sujet au sérieux. Les fabricants bien sûr, en ayant optimisé parfois leurs produits, sur les bases des discussions qui ont eu lieu avec l’État dès 2010, et ont joué la transparence sur les émissions de leurs produits. Les autres acteurs ont progressé également car les bonnes pratiques de chantier sont aussi très importantes. Et le dernier point clé, c’est l’installation et le maintien en bon fonctionnement des systèmes de renouvellement d’air.

L’étiquetage concerne plus précisément quels produits ?
C. L. – L’étiquetage concerne tous les produits cités dans l’article R. 221-23. À savoir : revêtements de sol, mur ou plafond, cloisons et faux plafonds, produits d’isolation, portes et fenêtres, produits destinés à la pose ou à la préparation de ces produits (colles, mastics et vernis notamment). L’étiquette des émissions traduit ce qui sera émis dans l’air intérieur d’un logement par une mesure en laboratoire dans une chambre d’émission. Les niveaux d’émissions dans l’air se traduisent par une étiquette qui indique la plus mauvaise classe obtenue lors de la mesure des composés organiques (COV) individuels et le total des COV. *

Labels/certifications : comment les produits participent-ils aux objectifs de QAI pour les certifications de bâtiments ?
C. L. – Dans la certification NF Habitat HQE, il est demandé d’utiliser des produits A ou A+ mais il est également demandé un contrôle du fonctionnement de la ventilation. Enfin, une mesure de qualité d’air intérieur à réception permet de s’assurer que le résultat est satisfaisant. On a pu constater lors de tests menés dans le cadre de l’Alliance HQE, que les « mauvais » résultats avaient pour cause des dysfonctionnements, voire un non-fonctionnement, des systèmes de ventilation au moment de la mesure.


Pour approfondir le sujet QAI
« Penser Qualité de l’Air en phase chantier » : ce guide méthodologique de l’Agence Qualité Construction (AQC) peut être complété par l’outil d’aide à la décision ICHAQAI permettant de sélectionner les actions préventives selon les spécificités de chaque opération.

Est évoquée dans cet outil, notamment, la mise en œuvre des systèmes de ventilation qui est déterminante : accumulation de poussières en phase chantier mais aussi défaut de conception et de mise en œuvre du système aéraulique (perméabilité à l’air et pertes de charges du réseau). Ainsi, selon une étude, certes effectuée en 2012, 47 % des bâtiments contrôlés étaient non conformes à la réglementation en vigueur, et ce, pour 60 % des cas à cause d’une mauvaise mise en œuvre des différents composants du système de ventilation.

L’outil ICHAQAI détaille notamment les dispositions à mettre en œuvre sur : la vérification de la conformité au CCTP des produits utilisés (caissons, dimensionnement des bouches, niveau de filtration, évacuation des condensats, etc.), la bonne mise en œuvre du réseau aéraulique (absence de points bas et écrasement, calorifugeage des gaines hors enveloppe chauffée, positionnement des prises d’air, etc.), l’accessibilité aux systèmes, l’organisation éventuelle de mesures de perméabilité des réseaux aérauliques et des mesures de pression, les débits et équilibrages, la préparation en exploitation (remplacement des filtres après chantier, nettoyage des bouches, conseil au maître d’ouvrage pour la préparation de l’entretien et de la maintenance, etc.).

« Tous acteurs de la Qualité de l’Air dans le Tertiaire » : une brochure éditée par le Syndicat Uniclima qui met en exergue l’importance de la QAI dans le tertiaire, les solutions possibles par type de polluants (CO2, humidité, PM de l’air extérieur, COV) et par type de bâtiments (bureaux, hôtels, Ehpad…). Une introduction et sensibilisation bien faite sur le sujet QAI en tertiaire.

Une bonne QAI, c’est un gain d’attractivité pour tous
Évidemment, un bâtiment avec une certification et un résultat de QAI satisfaisant a une valeur ajoutée indéniable, pour le confort et le bien-être d’usage de tous, propriétaires et occupants.

« Mais pour une bonne QAI, le geste de chacun est indispensable depuis la conception, et en phase chantier, et même avec toutes les précautions, garde-fous, et un descriptif précis dans le CCTP, aucun chantier n’est dispensé d’un bon système de renouvellement d’air », conclut Suzanne Déoux.

Jean-François Moreau

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