Patrick Mauger, la lumière vibration

Patrick Mauger, architecte
Patrick Mauger, architecte

Né à la pointe du Cotentin, « là où la mer n’est pas une couleur mais un état de lumière », Patrick Mauger a appris très tôt à conjuguer le mot lumière, comme un verbe, à différents modes, temps simples et composés, suivant les cycles de la journée ou des saisons. Au fil de cette promenade poétique, il nous conduit à travers ces espaces que la lumière structure, retrace, dessine, de jour comme de nuit.

Patrick Mauger est architecte DPLG, diplômé de l’ENSA-Marseille en 1986. Après un troisième cycle en communication multimédia, SciencesCom-Audencia Nantes et des études en Théories de l’architecture à Paris-Villemin, il obtient une bourse de l’Académie française, fondation Jean Walter-Zellidja, pour mener des recherches aux États-Unis. En 1991, il publie le livre Centres commerciaux aux éditions du Moniteur.
En 1999, il crée Architecture Patrick Mauger, après avoir collaboré avec les agences de Viguier-Jodry et de Jean-Michel Wilmotte, où il acquiert une expertise dans le domaine des grands projets (musées du Louvre et des Beaux-Arts de Lyon) et de la restructuration de bâtiments à forte valeur patrimoniale, culturelle et de recherche (extension du Collège de France).
Son premier projet, le centre culturel du Tourp en Normandie, est nommé au titre de la Première Œuvre en 2002. La même année, le groupe LVMH lui confie la réalisation de la maison d’enchères Phillips Auctioneers à New York. Architecte conseil de l’État auprès du ministère de la Culture depuis 2010, il est aussi membre de l’association Architecture et Maîtrise d’Ouvrage, depuis 2014.

Vous aimez citer l’architecte Louis Kahn à qui l’on doit de nombreux dispositifs lumineux innovants. En quoi la lumière structure-t-elle les espaces ?
Patrick Mauger –
La lumière accompagne tout geste architectural : dans les tracés des axes, les alignements, dans la définition des ombres. Après mes études, j’ai travaillé rapidement dans le domaine de la muséographie, tout d’abord au musée du Louvre aux côtés de Ieoh Ming Pei et de Jean-Michel Wilmotte, et avec le concepteur lumière Georges Berne. C’est lui qui m’a fait découvrir le métier d’éclairagiste et combien la concertation avec un spécialiste de la lumière pouvait être primordiale. J’ai été fasciné en voyant comment le lighting designer Claude R. Engel apportait un éclairage artificiel en compensation de la lumière naturelle en frappant les plafonds des salles de peintures.
Cette première expérience a fédéré tout le travail effectué ensuite avec d’autres éclairagistes. L’idée est de trouver un équilibre entre lumière naturelle et éclairage artificiel ; dans les musées, la question ne se pose plus ; par exemple, au nouvel Institut français de la mode, qui est un bâtiment très épais, nous avons créé de grands puits de lumière auxquels est associé un éclairage artificiel, conçu par l’agence 8’18 », qui prend le relais à la tombée de la nuit. Mais au CRI (Centre de recherches interdisciplinaires) où j’ai pris le parti d’ouvrir deux failles zénithales qui font entrer la lumière du jour, nous ne pouvions pas, pour des raisons budgétaires, associer un éclairagiste. Nous avons donc traité le projet d’éclairage artificiel en consultant plusieurs fabricants, et avec l’aide et l’assistance d’iGuzzini, notamment.

Institut français de la mode - Architecture Patrick Mauger
Institut français de la mode – Architecture Patrick Mauger ©Michel Denancé

Comment décririez-vous votre intervention lumière dans vos projets aujourd’hui ?
Patrick Mauger – Le travail que nous effectuons sur la lumière résulte d’une philosophie qui porte tous les projets et toute la conception : c’est celle de la flexibilité, de l’usage, de la flexibilité de l’usage. Nous nous appuyons sur trois éléments forts dans la conception de l’architecture : tout d’abord, cela doit fonctionner parfaitement, répondre à tous les usages demandés, et aller même au-delà de ce que le client/maître d’ouvrage avait imaginé ; nous appelons cela « enrichir la vie ». Globalement, nous faisons en sorte que la qualité de l’éclairage ne soit pas altérée, même si la configuration des espaces change : il faut que le niveau d’éclairement permette, à l’aide éventuellement de variateurs, la lecture, l’écriture, de bonnes conditions de travail, à tout moment.
Le deuxième point est de révéler l’espace. Et là, je rejoins Alain Moatti : c’est une question d’histoire et de narration. Comment allons-nous souligner les axes structurants, les axes de lumière ? Placet- on les appareils d’éclairage dans les linteaux de fenêtre ? Prend-on le parti de n’éclairer que les extrémités d’une circulation plutôt que les côtés ? Doit-on positionner des luminaires sur des colonnes béton pour faire vibrer ce matériau ? La troisième composante, c’est l’histoire que nous racontons, au moment où la nuit tombe, que la lumière naturelle disparaît, que l’espace devient plus intime, enveloppé d’une lumière douce ; alors, le bâtiment peut renvoyer une image complètement différente de celle de la journée.

Plutôt que de parler de « lumière matière », vous préférez évoquer la lumière vibration. Comment la définissez-vous ?
Patrick Mauger – La lumière fait vibrer un matériau, elle frappe une matière. Nous travaillons la lumière en fonction du matériau : son effet est différent sur le verre, le béton, un mur de pierres sèches, le bois, etc. Cela me fait penser à un très beau roman de Virginia Woolf, Les Heures, dans lequel elle décrit différents moments de la journée et, entre autres, comment la lumière du matin vient taper sur un volet, comment un mur en pierres prend la lumière à midi. C’est ce que nous avons cherché à restituer avec 8’18 », au nouvel Institut français de la mode où, derrière un plafond Barrisol, la lumière du jour vient frapper le bois, le béton, et révèle la matière d’une manière totalement différente le matin, le midi, le soir.
Nous avons souvent joué de cet effet aussi bien avec la lumière naturelle qu’avec l’éclairage artificiel : par exemple, dans le restaurant universitaire de Mabillon, à côté du marché Saint-Germain, à Paris, nous avons mis des clins de bois de châtaignier qui, telles des persiennes, laissent passer des rais de lumière de jour comme de nuit. Ces jeux de lumière participent à l’émotion que nous souhaitons donner aux personnes qui traversent notre architecture. Et si la lumière fait vibrer la matière, elle nous fait vibrer aussi, c’est essentiel.

Propos recueillis par Isabelle Arnaud

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