Olivier Micheli, France Datacenter : « En 2021, les charges opérationnelles des opérateurs de datacenters avoisinaient les 30 %. Cette part va passer à 50 % en 2023, ce qui est colossal. »

Président de France Datacenter, l’association de promotion de la filière en France, et PDG de Data4, parmi les opérateurs majeurs sur le marché européen, Olivier Micheli revient sur les enjeux liés au secteur des datacenters en France, marqués par les pénuries de composants et l’explosion des prix de l’énergie. Un marché dynamique malgré la crise, et qui a su prendre à bras le corps la performance énergétique des installations.

Pouvez-vous brièvement nous présenter France Datacenter et ses missions ?
Olivier Micheli – France Datacenter regroupe 80 % des acteurs du datacenter en France. Parmi les adhérents, nous retrouvons des concepteurs, des constructeurs, des opérateurs et des usagers. La mission interne de France Datacenter est de formaliser les savoirs, de définir et de diffuser les bonnes pratiques et de développer les compétences. À l’externe, il s’agit de défendre les intérêts du secteur et de le faire connaître. Les datacenters ont parfois une mauvaise image pour la plupart des citoyens, car le secteur souffre d’une mauvaise compréhension.

Quelles sont les conséquences de l’envolée des prix de l’énergie sur les gestionnaires de datacenters ?
O. M. – La crise est très brutale. Nous aurions pu l’amortir en France et être le pays qui s’en sort le mieux, mais nous sommes finalement parmi ceux qui s’en sortent le moins bien. La concomitance de l’augmentation du prix du gaz en raison des arrêts d’approvisionnement par la Russie et des problèmes de maintenance sur le parc nucléaire français, qui engendre une sous-production de 15 GW de puissance nucléaire et nous oblige à importer plus de gaz est la principale causede ces prix stratosphériques. En 2021, le prix de l’électricité avoisinait les 50 € du mégawattheure, contre près de 500 € aujourd’hui. Cela fait bondir les charges opérationnelles, ce qui oblige la plupart des acteurs à répercuter les coûts sur leurs clients. Ceux qui n’ont pas cette possibilité subissent de plein fouet la crise, mettant en péril leur pérennité. Notre rôle est de défendre leurs intérêts auprès des pouvoirs publics.

Quelles sont les solutions pour y faire face ?
O. M. – En France, nous avons un système de protection contre l’augmentation des prix : les volumes d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh). Ce volume est fixé à 100 TWh, avec un prix encadré de 40 à 50 € par mégawattheure. En 2022, quand le prix de l’électricité avait été multiplié par cinq, le volume d’Arenh était passé de 100 à 120 TWh. En 2023, alors que les prix auront été multipliés par dix, le Gouvernement revient à un volume d’électricité régulé de 100 TWh, soit un volume équivalent à celui de 2021. Le Gouvernement met en avant sa volonté de réguler les prix au niveau européen et de conserver le volume de 100 TWh. Pour les électro-intensifs, qui ont une consommation linéaire, il est essentiel de pouvoir se projeter. Cette situation crée de fortes tensions sur le marché par manque de lisibilité. Nous prônons une augmentation du volume d’Arenh pour permettre aux électro-intensifs de passer la crise plus sereinement.

Aujourd’hui, l’énergie représente 30 % du coût d’exploitation d’un datacenter. Quelle sera cette part en tenant compte des prévisions actuelles ?
O. M. – En 2021, les charges opérationnelles des opérateurs de datacenters avoisinaient les 30 %. Cette part va passer à 50 % en 2023, ce qui est colossal. Cette situation va réduire fortement la trésorerie des entreprises, dans un secteur où les besoins en investissements sont très importants. Il faut aujourd’hui trouver d’autres modèles de financement, notamment en passant par des tiers, mais cela augmente considérablement les délais. Les financements de 2023 sont actés et nous nous inquiétons qu’ils faiblissent de manière importante. Nous devons être acteurs et trouver des solutions pour contrer la crise. Nous avons plusieurs moyens d’y parvenir. Le premier est de travailler avec les pouvoirs publics et de se battre pour les intérêts des électro-intensifs. France Datacenter et Data4 sont par exemple signataires de la charte EcoWatt, ce qui prouve notre volontarisme sur le sujet. Le deuxième est de répercuter les hausses de prix et l’inflation sur nos clients finaux. Enfin, le troisième levier consiste à continuer à travailler sur la performance énergétique de nos infrastructures. Certaines actions immédiates peuvent être réalisées avant cet hiver, notamment celle d’augmenter la température des salles de serveurs de 2 à 3 °C pour les datacenters qui le peuvent, ce qui permet de réaliser 7 à 8 % d’économies d’énergie. Pour aller plus loin dans la performance à long terme, nous devrons recruter de plus en plus de spécialistes de l’énergie.

Quels seront les premiers touchés par l’envolée des coûts ?
O. M. – Il existe différents types d’offres de services packagées selon les acteurs, comprenant de l’hébergement, de la connectivité… L’énergie est noyée dans ces offres de services globales et si cela n’a pas été prévu dans le contrat initial, il est très compliqué d’instaurer une clause de revoyure, notamment pour les plus petits acteurs. Les acteurs de taille plus importante sont capables de répercuter les coûts énergétiques. France Datacenter s’inquiète en premier lieu pour ces petits acteurs, que nous devons protéger.

Quelles sont les actions concrètes menées par France Datacenter pour maintenir la compétitivité de la filière malgré ce contexte ?
O. M. – Nous menons des actions afin que les évolutions des coûts de l’énergie impactent le moins possible ceux qui conçoivent, construisent et exploitent les datacenters. France Datacenter diffuse les meilleures pratiques en matière de consommation énergétique et d’impact environnemental : nous avons travaillé sur l’intelligence artificielle, qui peut favoriser l’efficience énergétique, la récupération de la chaleur fatale, etc. Nous nous coordonnons également avec nos homologues européens, notamment dans le cadre du Pacte sur la neutralité carbone des datacenters. Enfin, nous alertons régulièrement les pouvoirs publics sur nos problématiques à travers des communiqués ciblés sur le prix de l’énergie, la sobriété énergétique…

Les acteurs des datacenters ont fourni d’importants efforts pour améliorer la performance énergétique de leurs installations. Quels sont les leviers actuels pour aller plus loin ?
O. M. – À court terme, comme je l’évoquais, le premier levier serait d’augmenter la température des salles. Cette action n’est pas réalisable dans tous les datacenters, notamment les plus anciens. Chaque datacenter et chaque salle de serveurs a des contraintes de fonctionnement particulières, mais dans la mesure du possible, une augmentation de la température de 2 à 3 °C a un impact très significatif. Les nouvelles salles sont prévues pour un fonctionnement à 27 °C et l’idéal serait d’atteindre les 29, 30, voire 31 °C. Les datacenters se gèrent sur le temps long et l’optimisation des salles de machines est un levier important. Il faut continuer d’investir aujourd’hui et ne pas repousser ces investissements à plus tard. Pour aller plus loin, il est possible d’injecter de plus en plus de couches logicielles pour monitorer plus d’indicateurs de performance énergétique. Pour pouvoir agir sur un datacenter, il faut pouvoir mesurer ce qui s’y passe. L’investissement dans des projets d’intelligence artificielle, avec l’installation de capteurs sur chaque équipement, permet de délivrer des alertes précises et d’agir rapidement en conséquence. Le datacenter a longtemps été une boîte statique, qui doit devenir de plus en plus dynamique pour permettre un pilotage en temps réel et gagner en performance. Chez Data4, nous développons des projets basés sur l’intelligence artificielle, mais il s’agit de processus très longs. Il est également intéressant d’étudier un datacenter sur l’ensemble de son cycle de vie, pour en avoir une connaissance plus fine au niveau des consommations d’énergie, d’eau, de terres rares… et déterminer les émissions de CO2 sur toute sa durée de vie. Ces enjeux vont plus loin que l’énergie.

France Datacenter avait lancé l’an passé un plan stratégique Ambitions 2025. Quelles en étaient les lignes directrices ?
O. M. – Les quatre axes du plan sont plus que jamais d’actualité. Le premier concerne l’emploi et la formation, car nous avons une réelle pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Le deuxième se concentre sur la résilience des infrastructures, et englobe des sujets tels que la continuité de service ou encore les cyberattaques, qui sont un vrai enjeu. Le troisième concerne les aspects liés à l’innovation et au développement durable, englobant notamment les questions énergétiques et carbone. Enfin, le dernier axe vise à améliorer la compétitivité de la France : notre pays a de nombreux atouts, notamment ses infrastructures, son climat tempéré et son énergie moins carbonée que chez nos voisins. Tous ces enjeux sont imbriqués et créent les conditions pour développer notre activité.

Les pénuries d’énergie ont poussé les pouvoirs publics à envisager des opérations d’effacement cet hiver. Dans quelle mesure les datacenters seront-ils impactés ?
O. M. – Il y a deux sujets différents. Le premier concerne notre participation à la sobriété demandée par les pouvoirs publics. Les acteurs des datacenters sont très volontaires sur ce sujet : nous avons signé la charte EcoWatt, le manifeste Convergences numériques et nous améliorons constamment la performance de nos installations. Le second sujet concerne l’effacement, ou comment soulager le réseau en cas de tensions. Les datacenters sont tous dotés de groupes électrogènes. Un décret impose d’ailleurs l’effacement de nos consommations en cas de tensions et le passage sur groupes électrogènes. Nous souhaitons travailler de manière constructive avec les pouvoirs publics et les gestionnaires du réseau, mais ces sujets nous sont imposés. J’espère que cela n’arrivera pas. Si l’effort des citoyens est important et que les températures sont clémentes, il n’y a pas de raison d’en arriver à effacer nos consommations.

Quel est votre point de vue sur la santé de la filière après la crise sanitaire, les pénuries de composants et de matières premières et aujourd’hui la crise énergétique ?
O. M. – Globalement, la croissance de la filière reste très forte, car les datacenters sont récipiendaires de nos besoins numériques. Comme le trafic internet augmente énormément et que nous produisons de plus en plus de données, il faut de nouvelles capacités et donc de nouvelles infrastructures. En France, nous constatons aujourd’hui un effet de rattrapage, car il y a eu moins d’investissements effectués lors de la pandémie. Le marché français est très dynamique. Logistiquement, la situation est plus complexe : les datacenters concentrent un nombre très important et varié d’équipements qui viennent du monde entier. Depuis la pandémie, les chaînes logistiques sont beaucoup plus complexes et les délais d’approvisionnement ont explosé. Nous encourageons les fabricants d’équipements à constituer plus de stocks pour parer à la demande. Mais malgré les pénuries et l’explosion des coûts de l’énergie, la filière reste très dynamique.
Du point de vue des infrastructures numériques, dans quelle position se trouve la France vis-à-vis de ses voisins européens ?
O. M. – La France est toujours à la quatrième place au niveau européen, après l’Angleterre et l’Allemagne qui occupent le haut du tableau, suivis des Pays-Bas, puis de la France et de l’Irlande. La France ne s’en sort pas trop mal, mais les difficultés sur la gestion du temps administratif constituent un réel parcours du combattant pour le développement de nouveaux projets. Par ailleurs, nous espérons que les coûts actuels de l’énergie sont un élément conjoncturel. Pour qu’ils ne deviennent pas un problème structurel, il est impératif de faire redémarrer nos centrales le plus rapidement possible.

Malgré la hausse des coûts de l’énergie, pour quelles raisons la France est-elle un pays attractif pour l’accueil de datacenters sur son sol ?
O. M. – La France reste attractive et garde certains atouts indéniables : haute connectivité, économie relativement résiliente, énergie de qualité, climat tempéré, cadre juridique sécurisé et compétences en ingénierie de niveau international. Elle est aussi la porte d’entrée vers l’Afrique et le Moyen-Orient.

Quelle est votre appréciation du parc français aujourd’hui ?
O. M. – Nous distinguons deux types de datacenters. D’une part, les centres de données mutualisés, dont les surfaces vont de 500 à plusieurs milliers de mètres carrés, ils sont au nombre de 220. Paris et Marseille regroupent les infrastructures de grandes tailles, suivis par Lyon et Bordeaux qui concentrent les datacenters de tailles moyennes et les territoires qui accueillent de plus petites infrastructures. D’autre part, de nombreuses entreprises disposent encore de leurs propres salles machines, allant de 50 à 200 m². Pour différentes raisons et à différents niveaux, ces salles machines sont un non-sens économique et énergétique. Les datacenters de taille importante sont beaucoup plus pertinents, le marché est très mature et de nombreuses offres existent.

Quels sont les enjeux de rénovation du parc existant pour gagner en efficacité énergétique et opérationnelle ?
O. M. – Sur les datacenters anciens, datant des années 2000, il faut se poser la question de la rénovation énergétique tous les 20 ans. En 2000, les datacenters avaient une capacité de 1 kW par mètre carré, alors qu’aujourd’hui ce chiffre avoisine les 2,5 kW par mètre carré. La performance énergétique, mais aussi la redondance, doivent faire l’objet de mises à jour. Il est cependant difficile d’agir sur l’architecture des bâtiments. Les anciennes salles de serveurs ne dépassent pas les 250 m² alors qu’aujourd’hui nous atteignons les 1 000 m² sans piliers. Il faut suivre les règles de maintenance des équipements et revoir les architectures globales tous les 20 ans.

Quels sont les atouts de l’Edge computing pour contribuer à la réduction des consommations ?
O. M. – L’Edge répond à un besoin de proximité. Tous les datacenters sont l’Edge d’un autre. Les entreprises veulent de plus en plus avoir leurs données sensibles hébergées à proximité, pour des questions de souveraineté, mais aussi de développement durable et de facilité d’intervention. Pour les territoires et les villes intelligentes, le besoin de proximité est fort, avec la nécessité d’accéder aux informations en temps réel. Par exemple, des applications comme la vidéosurveillance nécessitent de la bande passante et la proximité est tout à fait pertinente.

Quelles technologies permettent de répondre au mieux aux enjeux de performance énergétique ?
O. M. – Au niveau de la conception et de la construction, on distingue le freecooling, qui utilise l’air extérieur pour refroidir les salles. Le confinement est également très bénéfique, en séparant les allées chaudes et les allées froides, ce qui permet de concentrer la climatisation sur les points chauds. Les outils logiciels permettent de leur côté d’agir sur chaque composant individuellement, grâce à la possibilité de mesurer, de piloter et d’agir en cas d’anomalie. Il faut pour cela des capteurs qui font remonter des données de fonctionnement et des logiciels capables d’interpréter ces données pour apporter une réponse rapide et pertinente. Enfin, l’hydrogène et le liquid cooling sont des pistes de développement intéressantes et les projets se multiplient.

En dehors de la gestion technique des datacenters, quelles sont les bonnes pratiques à l’usage pour les gestionnaires ?
O. M. – Nous avons plusieurs recommandations. La première est d’investir dans des compétences opérationnelles, c’est-à-dire en ressources humaines, capables d’analyser plus finement le fonctionnement et la performance des infrastructures. Nous devons également travailler sur les consommations d’eau, les émissions de CO2 ou la composition des batteries.

Les acteurs du datacenter ont montré un certain volontarisme sur la réduction de leurs consommations, ces dernières années. Comment cela se traduit-il en chiffres ?
O. M. – Le coefficient d’efficacité énergétique des datacenters, ou PUE, est passé de 2 il y a 10 ans à 1,5 aujourd’hui, et poursuit sa baisse. Le rendement des équipements entre 2010 et 2020 a été amélioré de 600 % et les consommations énergétiques sur cette période ont augmenté de seulement 6 %, ce qui est très peu au regard de l’augmentation des volumes de données échangés. Tout l’écosystème des datacenters a contribué à réduire les consommations.

Selon vos estimations, quel sera l’impact de la 5G ou de la digitalisation de la société sur les besoins en infrastructures numériques ?
O. M. – La 5G, l’explosion du cloud vont nécessairement accroître le besoin d’hébergement de données en France. La croissance du secteur du datacenter, à deux chiffres, se poursuivra dans les prochaines années.

Selon vous, quelles seront les principales évolutions pour le marché des datacenters en France dans les cinq années à venir ?
O. M. – Le développement des datacenters en France est lié aux volumes de données produits. En France et en Europe, le cloud va multiplier ses capacités par deux d’ici à 2025 et par trois en 2030. La production de données est multipliée par 5 ou 10 tous les 10 ans. Nous aurons donc toujours besoin de nouvelles capacités et donc de nouveaux datacenters. D’autant que pour de nombreuses raisons, notamment liées à la souveraineté, à l’environnement et au coût, il est bien plus pertinent de répondre aux usages en développant de nouveaux datacenters en France qu’en s’appuyant sur les capacités étrangères.

Propos recueillis par Alexandre Arène

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