Christophe Rodriguez, directeur général de l’Ifpeb : « Le bâtiment est le secteur qui a le plus de chance de réussir sa transformation. »

L’Institut français pour la performance du bâtiment (Ifpeb) est une coalition d’acteurs économiques qui vise à créer les conditions pour accélérer la transition énergétique et environnementale dans l’immobilier et la construction. Ses travaux s’articulent autour du développement de connaissances opérationnelles pour contribuer à diffuser des pratiques, des solutions énergétiques, des modes constructifs plus vertueux. L’Ifpeb est également l’organisme fondateur des concours Cube, rassemblés à présent sous la bannière du Championnat de France des économies d’énergie, qui couvrent aujourd’hui un large spectre d’applications. Christophe Rodriguez, nommé à la tête de l’Ifpeb le 1er janvier dernier, revient sur les principaux enseignements du concours Cube et sur les actions de l’Ifpeb pour accélérer la transition énergétique des bâtiments.

Vous avez été nommé à la tête de l’Ifpeb le 1er janvier, prenant la suite de Cédric Borel, qui a occupé ce poste et développé l’organisation pendant les 15 dernières années. Quel est votre état d’esprit quelques mois après votre prise de poste ?
Christophe Rodriguez – Cédric Borel a été l’instigateur de l’Ifpeb. Je suis honoré que Laurent Morel, le président de l’Ifpeb, m’ait fait confiance et qu’il me donne la responsabilité de poursuivre le travail qu’a réalisé Cédric ces 15 dernières années. L’Ifpeb fait partie des associations très innovantes pour développer les modèles d’affaires plus soutenables de demain. Je prends ce poste avec un état d’esprit articulé autour de plusieurs piliers. Le premier est l’humilité : la transition environnementale est un défi majeur pour le secteur de l’immobilier, comme pour tous les secteurs. Nous vivons un alignement des planètes incroyable, avec une accélération impressionnante, entre crise énergétique, coût des matériaux qui explosent, guerre aux portes de l’Europe, accélération des politiques publiques au niveau européen et français. Nous n’avons jamais été autant contraints, de gré ou non, de passer à l’action pour transformer nos modèles d’affaires et notre relation à la planète. Le défi est incroyable et l’Ifpeb souhaite apporter sa pierre à l’édifice. Nous sommes des organisateurs, nous cherchons à créer un terreau fertile à l’innovation. Ce sont les acteurs de l’immobilier et de la construction qui sont réellement au front et doivent faire face à ces défis et à ces transformations. Par ailleurs, je suis très confiant, car nous avons la chance, à l’Ifpeb, d’avoir un ADN très opérationnel, d’être au plus près du terrain. Nous voyons des acteurs mettre sur pied des projets incroyables. Je peux prendre pour exemple des participants du concours Cube qui parviennent, en un an, avec très peu de travaux lourds, à faire des économies très impressionnantes de 15 %, et allant parfois au-delà de 30 %. Il y a énormément d’intelligence collective à aller chercher. Autre exemple, dans le « Booster du réemploi » animé par A4MT, certains acteurs parviennent à réemployer des matériaux et à faire des économies de carbone jusqu’à 100 kgCO2/m² et des économies de ressources tout à fait intéressantes. Dans la plateforme collaborative du Hub des prescripteurs bas carbone, certains commencent à devenir des champions de l’analyse de cycle de vie, alors que la RE2020 est en vigueur depuis seulement un an. Cette proximité au terrain nous rend très confiants, car nous constatons très concrètement que ces changements sont possibles. Aujourd’hui, l’enjeu principal est la massification, ou comment passer d’un projet d’exception à une soutenabilité et un passage à l’échelle.

Votre action s’inscrira-t-elle dans la continuité des travaux menés jusqu’à aujourd’hui ? Pouvez-vous préciser ?
C. R. – L’Ifpeb a historiquement beaucoup œuvré à l’accélération de la décarbonation du bâtiment, avec une polarité très forte sur le tertiaire. Nous allons poursuivre nos travaux sur la neutralité carbone, qui est l’une de nos priorités. Nous allons de plus en plus nous concentrer sur le parc existant. Nous souhaitons également élargir nos travaux à l’échelle urbaine, avec une intensification sur le logement. Par ailleurs, nous allons davantage travailler sur la désirabilité : les constructions bas carbone sont-elles forcément des boîtes à chaussures sans balcon, sans parking et sans fioritures, ou peut-on construire des bâtiments désirables, avec de la qualité d’usage, du confort, du bien-être et de la performance à tous les niveaux ? Nous souhaitons questionner la performance plurielle du bas carbone. Enfin, je souhaiterais impulser une plus grande européanisation de nos travaux. La France est vue comme un laboratoire d’innovation, c’est en tout cas le retour de nombreux homologues européens. En effet, nous avons un ensemble de dispositifs réglementaires innovants : RE2020, loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) ; DPE, dispositif éco-énergie tertiaire ; décret BACS ; loi Climat et Résilience… En France, nous construisons un socle innovant, ce qui n’est simple pour personne. Quoiqu’il en soit, le changement n’est jamais simple !

« Le bâtiment est le secteur qui a le plus de chance de réussir sa transformation. »

Quel est selon vous le rôle du bâtiment dans le contexte de transitions profondes que nous vivons, avec toujours en vue un concours cube, concourobjectif de neutralité carbone à court terme ?
C. R. – Je souhaiterais d’abord apporter des ordres de grandeur au niveau international : le bâtiment représente environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre, en prenant en compte l’énergie et les matériaux. En France, il concentre 33 % des émissions de gaz à effet de serre et 45 % des consommations d’énergie. Comme le bâtiment est un émetteur de gaz à effet de serre très significatif, il a bien évidemment un rôle à jouer. Par ailleurs, il est essentiel d’avoir à l’esprit que le bâtiment est le secteur qui a le plus de chance de réussir sa transformation : en considérant le sujet carbone et selon les dispositions prévues par la Stratégie nationale bas carbone, qui est le plan de bataille de la France pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, le secteur qui a l’ambition la plus importante est le bâtiment. Cette Stratégie nationale bas carbone traite de la forêt, des déchets, de l’énergie, de l’industrie, de l’agriculture… Parmi tous ces secteurs, celui qui a les objectifs les plus importants est le bâtiment, avec un objectif fixé à presque zéro émission de gaz à effet de serre pour 2050. D’autres secteurs, à l’image de l’industrie, arrivent à des incompressibles systémiques : l’industrie peut faire l’objet d’une réduction drastique de ses émissions sur la même période, mais elle se limitera à 80 %. Le bâtiment est plus susceptible de réussir, et ce, pour plusieurs raisons : d’abord, aucune rupture technologique n’est attendue et toutes les solutions existent déjà. La question est aujourd’hui de savoir comment transformer les politiques publiques, les entreprises et leurs organisations pour déployer les solutions à grande échelle.

« Il y a un nombre très important d’actions qui ne coûtent rien ou presque, avec des temps de retour sur investissement inférieurs au mois. »

Championnat de France des Economies d’Energie. © Point TV

L’Ifpeb est à l’origine de la création du concours Cube, le Championnat de France des économies d’énergie. Pouvez-vous nous présenter les grands principes du concours ?
C. R. – Les concours Cube ont été rassemblés sous une bannière commune, baptisée : « Le Championnat de France des économies d’énergie ». La genèse remonte à un pari un peu fou, fait il y a une dizaine d’années : nous souhaitions faire de la sobriété un sport national. Le sujet de la sobriété est largement répandu aujourd’hui, mais ce n’était pas le cas il y a dix ans. Un certain nombre de grands acteurs de l’immobilier, que ce soient des propriétaires ou des locataires, qui étaient à la pointe des démarches RSE, venaient nous voir en nous disant qu’ils ne parvenaient pas à faire baisser drastiquement leurs consommations d’énergie. L’objectif était de trouver une solution pour aller plus loin, faire bouger les lignes et accélérer les démarches de sobriété et d’efficacité énergétiques. Nous avons donc lancé une première édition du concours en 2012. Entre 50 et 70 bâtiments s’inscrivent à cette première édition. À la fin de l’année, nous nous mettons autour de la table pour faire ressortir les principaux enseignements. Notre premier constat est que chacun des bâtiments est parvenu à réduire ses consommations de 10 à 15 %, ce qui est considérable ! Nous remarquons également que certains ont réduit leurs consommations de manière beaucoup plus importante, entre 20 et 30 %. Nous avons dialogué avec les différentes équipes pour comprendre les méthodes employées, et un enseignement très net est ressorti : lorsque des personnes se mettent autour de la table et qu’ils ont accès à la mesure réelle de la performance de leur bâtiment tous les mois, on allume une étincelle, et une mécanique incroyable d’intelligence collective se met en place. Finalement, les participants n’attendaient que ça ! Au cœur du concours, ce travail collectif crée un nouveau socle, un nouveau cadre de collaboration. Pour donner un exemple très concret : le dialogue entre l’utilisateur final et l’exploitant. Dans le cadre du concours, tous les mois les participants ont accès à la mesure de la performance réelle. Certains utilisateurs se rendent compte qu’en partant le soir, toutes les lumières restent allumées, les températures au sein des bâtiments sont très élevées, mais qu’ils n’ont pas de thermostats pour vérifier. Ils vont ensuite taper à la porte de l’exploitant pour échanger avec lui. Ce dernier leur explique alors que l’installation technique permet de réaliser des paramétrages plus adaptés, qu’il suffit alors de modifier pour suivre l’usage réel du bâtiment. En temps normal, en dehors du concours, personne ne prend ce temps pour échanger, et le dialogue entre l’usager et l’exploitant se limite à faire remonter des dysfonctionnements ponctuels ou des pannes. Le concours crée un nouveau cadre et favorise la collaboration entre les différentes parties prenantes du bâtiment. Le concours a bien grandi et nous l’animons aujourd’hui en partenariat avec A4MT (Action for Market Transformation), une structure privée qui nous aide à exporter le concours à l’international et à diversifier les différentes applications du concours. A4MT a permis un passage à l’échelle et nous fonctionnons aujourd’hui dans une dynamique partenariale. L’Ifpeb est garant de la métrologie et des méthodes. De son côté, A4MT contribue à un passage à l’échelle du concours, citons par exemple le lancement de C-CUBE, une spin off du concours Cube pour les flottes automobiles ou, plus récemment, le concours Cube Datacenter pour le numérique responsable.

Quelles sont ses principales déclinaisons ?
C. R. – La dénomination Championnat de France des économies d’énergie a pour objectif de représenter une marque la plus lisible possible. Un premier volet concerne le bâtiment, avec Cube Logement, Cube Tertiaire, Cube S, animé en partenariat avec le Cerema, qui cible les collèges et lycées et Actee Cube.École, coanimé avec le Cerema, avec le soutien de la FNCCR, qui vise les écoles. Nous avons ensuite des ligues territoriales, comme Cube Paris La Défense. Lorsque des immeubles de grande hauteur s’inscrivent au concours Cube, nous créons un concours dans le concours en cherchant à savoir quelle tour de La Défense parvient à faire le plus d’économies. Le deuxième volet concerne la mobilité, avec C-Cube, porté par A4MT, qui vise les flottes automobiles et travaille sur des leviers comme l’écoconduite, ou la réduction de gaz à effet de serre des flottes… Troisième volet, les effacements électriques avec Cube-Flex, en partenariat avec RTE. C’est un concours qui a été lancé très récemment pour apprécier la capacité des bâtiments à s’effacer entre 8 h et 13 h et entre 18 h et 20 h, des plages qui ont inquiété RTE tout l’hiver. L’objectif est de faire de la sobriété, mais aussi de la régulation ou des usages tronqués sur ces plages horaires. Enfin, Cube Datacenter, lancé il y a très peu de temps, s’intéresse aux usages numériques, un secteur que nous n’adressions pas du tout.

Pouvez-vous nous expliquer le principe du Cube Datacenter et les leviers d’actions pour les gestionnaires de centres de données ?
C. R. – Le concours concerne les datacenters, ainsi que les salles informatiques et s’adresse aux utilisateurs de données (entreprises, collectivités) et aux opérateurs (hébergeurs, opérateur de cloud…). Une collectivité qui dispose d’une salle informatique peut jouer, tout comme une entreprise qui gère elle-même son IT avec des salles informatiques et/ou des datacenters, un hébergeur qui fait de la location de serveur, un opérateur de cloud qui héberge des serveurs chez un hébergeur… Dès lors qu’il y a une utilisation de données, il est possible de s’inscrire. Cube est un jeu, et dans la mesure où nous ne sommes ni un label ni une réglementation, tout se joue selon les règles du jeu. Nous comparons les concurrents sur les podiums selon différents critères. Le premier critère est la taille : il existe donc une catégorie pour les salles informatiques d’une puissance inférieure à 100 kW, puis entre 100 et 1 000 kW, entre 1 000 et 10 000 kW, jusqu’à des datacenters de taille importante atteignant plusieurs mégawatts. On ne compare donc pas une salle de serveur de 50 kW avec un datacenter de 2 MW. Il existe ensuite trois catégories, appelées « podiums » : le podium « sobriété » concerne exclusivement les économies d’énergie liées aux consommations des équipements informatiques. Le podium « efficacité énergétique » se concentre sur l’environnement des serveurs ou du datacenter et concerne donc le refroidissement des salles par exemple. Sur le dernier podium, l’ensemble des données des salles informatiques sont scrutées et nous effectuons un calcul global des économies d’énergie réalisées. Il est possible de s’inscrire, quelle que soit la puissance et sur tous les podiums. Tout le monde est le bienvenu ! L’enjeu est de mettre en valeur les progrès et de partager les actions mises en œuvre.

Avec le concours Cube et ses déclinaisons, l’Ifpeb est parvenu à ouvrir le sujet de la performance énergétique au grand public ou à des publics peu sensibilisés. Quelles sont selon vous les points clés de cette réussite ?
C. R. – Il y a plusieurs ingrédients. D’abord c’est incroyablement simple, et même si l’objectif n’en donne pas l’impression au premier abord, c’est très amusant ! Dans un monde où ces sujets de sobriété et d’efficacité énergétique sont parfois perçus comme très descendants, à coups de guides, de chartes, de démarches RSE, des certifications, le tout étant parfois complexe…, Cube présente le formidable atout d’avoir une règle du jeu extrêmement simple : faire le maximum d’économies d’énergie en un an. C’est un concours sans jury, les seuls juges sont les compteurs d’énergie. La simplicité des règles et l’aspect très ludique du concours apportent une réelle bouffée de fraîcheur. Beaucoup d’entreprises voient également le concours comme un outil de management. À l’issue du concours, de nombreuses entreprises conservent l’organisation mise en place lors du concours pour mener d’autres projets. Par exemple, de nombreuses entreprises participantes ont mis en place des « Green Team » avec les volontaires des différents départements, qui travaillent ensemble sur tous les sujets de développement durable liés à l’entreprise. Deuxième argument pour expliquer ce succès : ça fonctionne ! Un des participants m’a dit un jour : « Je suis le seul service central à passer devant le Comex en début d’année et à demander un budget pour lequel je peux donner un temps de retour sur investissement très précis. » Par ailleurs, toutes les équipes qui ont participé ont tiré une grande satisfaction de cette expérience. Quelque chose qui fonctionne, qui ne coûte pas très cher, qui valorise les collaborateurs et qui est ludique ne peut pas échouer ! Les meilleurs vendeurs de Cube sont les cubistes eux-mêmes.

« Nous constatons que les équipes qui sont parvenues à faire le plus d’économies sont celles qui ont su ressusciter des installations techniques désoptimisées au fil des années. »

Vous avez maintenant quelques années de recul sur le concours Cube. Quels en sont les principaux enseignements ?
C. R. – Mon premier constat est que les équipes participantes font preuve d’une intelligence collective incroyable et que le meilleur plan d’action n’est pas celui que l’on peut imaginer loin du terrain. Le plan d’action particularisé, qui vient des usagers du bâtiment, est le plus pertinent. La magie de Cube est de donner aux usagers la possibilité d’agir sur leur environnement quotidien. Les entreprises mettent sur pied une équipe multiservice, pas uniquement composée des départements RSE, mais aussi des RH, de la comptabilité, des services généraux… Cette équipe a pour rôle de récupérer toutes les bonnes idées possibles. Nous constatons que dès l’instant où les participants ont compris, ils ont des bonnes idées. Ils doivent comprendre ce qui consomme dans leur environnement, quels sont les leviers d’action, ce qui est le plus important en ordres de grandeur et avoir accès à l’information du progrès tous les mois, pour savoir quelles actions ont un impact et lesquelles n’en ont pas. Ensuite, tout se met en marche. Depuis la première édition du concours en 2012, tous les participants sont parvenus à atteindre en moyenne 10 à 15 % d’économies d’énergie. Chaque année, certaines équipes atteignent les 25 à 30 %. Nous constatons que les équipes qui sont parvenues à faire le plus d’économies sont celles qui ont su ressusciter des installations techniques désoptimisées au fil des années. Plus ces systèmes sont complexes, plus il y a de risques d’avoir des plaintes, et les désoptimiser peut être un bon moyen de ne pas être embêté. Mais comme les cubistes ont pour seul objectif de réaliser des économies, un nouveau cadre de collaboration utilisateur-exploitant se met en œuvre : un cadre « win win » pour diminuer au maximum la consommation d’énergie.

« Nous préconisons de réaliser des campagnes de recommissioning tous les trois à cinq ans sur les installations techniques du bâtiment, pour recorréler les usages programmés aux usages réels. »

Quels sont les premiers postes d’économies dans les bâtiments, aussi appelés « Quick Wins », pour des économies substantielles à bas coût ?
C. R. – Nous constatons trois familles d’actions principales. La première est la modification des consignes de températures. Cela peut paraître simple, mais la réduction de la température à 19 °C n’est pas acceptable pour tous les usagers (surtout lorsqu’on est statique, au bureau par exemple). En deuxième position, nous retrouvons une famille d’actions liées à l’intermittence. À chaque fois qu’une salle, une zone, un étage ou un bâtiment est vide, il faut faire en sorte de moduler, voire de couper le chauffage, la ventilation, la climatisation et l’éclairage dans les espaces inoccupés. C’est un enjeu de taille, car le bâtiment n’est souvent pas occupé la nuit, le week-end, pendant les vacances ou les jours fériés. Dans les bâtiments dotés d’un système de gestion centralisé, il faut alors modifier les paramétrages ou être en capacité d’agir. Dans ceux qui ne le sont pas, il faut que les usagers prennent de nouvelles habitudes. Pour gérer l’intermittence efficacement, de nombreuses actions sont mises en œuvre comme l’équilibrage hydraulique et aéraulique, le désembouage des circuits, etc. La troisième famille d’actions concerne les éclairages intempestifs : de nombreux espaces restent éclairés toute la journée, personne ne sait réellement pourquoi, et sans un intérêt particulier des usagers, il n’y a pas de vraies raisons de changer. Dans de nombreux cas, des campagnes de rétro-commissioning, c’est-à-dire le reparamétrage de l’installation, permettent de faire des gains très conséquents. Nous préconisons de réaliser des campagnes de recommissioning tous les trois à cinq ans sur les installations techniques du bâtiment, pour recorréler les usages programmés aux usages réels. Quelles que soient les familles d’actions qui apportent des résultats, le fait de réunir des usagers pour échanger sur les gains potentiels est le cœur du sujet. Je vais vous donner un exemple concret : nous voyons souvent des équipes faire ce que nous appelons la « chasse au talon ». Ils prennent les relevés de consommations et regardent les consommations au moment des talons, quand le bâtiment est vide et qu’il ne devrait pas consommer : pendant la nuit, le week-end ou les vacances. Ils se rendent alors souvent compte que la consommation du talon est trop élevée. Nous avons parfois vu des personnes partir à la recherche des équipements en action à l’aide de pinces ampèremétriques. La chasse au talon porte toujours ses fruits ! Je peux également aborder une quatrième famille d’actions que nous retrouvons bien sûr au cœur du concours avec tout ce qui concerne les écogestes : éteindre l’écran, débrancher les prises… et la liste est quasi infinie tant l’intelligence collective est fertile !

1er place vainqueur Cube – Orange. © Point TV

Où se situe la limite de ces actions avant la nécessité de lancer des travaux ?
C. R. – La limite va vous faire sourire : les dirigeants qui décident d’inscrire les collaborateurs dans la démarche leur disent qu’ils les autorisent à y passer du temps sur leurs heures de travail, mais la contrepartie est qu’ils n’y allouent pas forcément de budgets d’investissements. Nous constatons que lorsque les équipes ont passé une année entière à chercher tous les moyens possibles pour réduire leurs consommations dans l’optique de gagner le concours, ils ont fait remonter à leur direction toutes les actions possibles et imaginables, y compris celles qui nécessitent des investissements. Cube est un très bon moyen de coconstruire des plans d’action à moyen/long terme. C’est du pain béni pour les gestionnaires de bâtiments ! Pour ce qui est des petites dépenses, le relamping est souvent assez efficace, tout comme l’isolation des vides sanitaires et des combles. Ces actions présentent des temps de retour sur investissement assez incroyables. Pour aller plus loin, il faut évidemment investir.

La digitalisation du bâtiment est-elle vectrice de performance énergétique et de sobriété à vos yeux ?
C. R. – Faire fonctionner des solutions digitales est très clairement un levier de sobriété. Nous constatons en revanche, au fil des concours, que les bâtiments qui ne disposent pas de systèmes techniques sophistiqués parviennent quand même à réaliser des économies d’énergie importantes. Il faut reconnaître que les équipes qui ont su se réapproprier des systèmes techniques existants pendant le concours vont incontestablement plus loin. L’humain reste au cœur du système. Lorsqu’une solution digitale sophistiquée est installée, l’enjeu est d’abord la formation de l’exploitant et sa connaissance précise du système. La compréhension par l’usager de l’action qu’il peut avoir sur les terminaux à sa disposition est également essentielle.

« La prise en compte de l’usage est décisive pour avoir des solutions utiles, qui fonctionnent, peu coûteuses et bas carbone. »

Quelles sont les conditions pour mettre en œuvre un numérique responsable au sein des bâtiments ?
C. R. – L’enjeu du numérique est de repositionner les usages au cœur des préoccupations. Une maquette BIM est utile uniquement si elle rend service à l’exploitant ou à l’usager, de même qu’une GTB est utile si elle fait gagner du temps à l’exploitant et génère confort et économies significatives. Les systèmes techniques ne sont que des outils et le numérique doit pouvoir répondre à des besoins et des cas d’usages précis et apporter des services aux usagers. La tendance de fond est de revenir au juste nécessaire et de définir précisément les besoins. Il est à nos yeux contre-productif d’anticiper d’éventuels besoins futurs totalement théoriques en installant des systèmes ultrasophistiqués. La prise en compte de l’usage est décisive pour avoir des solutions utiles, qui fonctionnent, peu coûteuses et bas carbone.

Quels sont les principaux leviers de performance énergétique à mettre en œuvre à l’échelle du parc français pour suivre les trajectoires fixées par les pouvoirs publics ?
C. R. – Notre retour d’expérience après 10 années de concours Cube : dès lors que des usagers se mettent autour d’une table et regardent les consommations en réfléchissant aux leviers pour faire des réductions, la consommation s’écroule. J’appelle de mes vœux que tous les utilisateurs et gestionnaires de bâtiments, en ciblant les bâtiments les plus consommateurs, se posent la question de savoir pourquoi ces bâtiments sont si peu performants. Il faut savoir combien on consomme, pourquoi on consomme, s’il y a des talons alors que les bâtiments sont vides… Il y a un nombre très important d’actions qui ne coûtent rien ou presque, avec des temps de retour sur investissement inférieurs au mois. Une idée très efficace serait de faire des actions commando, en ciblant tous les bâtiments qui consomment plus qu’un certain nombre de kilowattheures par mètre carré et de mettre sérieusement les parties prenantes de ces bâtiments autour de la table pour dialoguer. Évidemment, la rénovation globale est la solution pour mettre à niveau tout le parc en 2050, mais il y a beaucoup à faire en parallèle. Il ne nous reste plus que trois baux, c’est-à-dire 30 ans, pour décarboner les bâtiments. Il ne faut donc pas opposer les leviers, nous n’en avons pas le temps. Pour planifier des rénovations globales performantes, les différentes parties prenantes ont l’obligation de dialoguer sérieusement pour se mettre d’accord sur les travaux à effectuer et sur le budget. La sobriété est à mes yeux le point de départ du dialogue et nous permet de nous poser plein de bonnes questions pour aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin. Bref, la sobriété sera certainement un creuset essentiel pour réussir nos rénovations globales.

2e place vainqueur Cube – BNP Paribas. © Point TV

Constatez-vous que l’augmentation des prix de l’énergie fait accélérer le mouvement ?
C. R. – Je vois deux paramètres. Le coût de l’énergie n’a jamais été autant un risque, ce qui est tragique pour ceux qui sont en situation de précarité et positif pour ceux qui se rendent compte qu’ils consomment bien plus qu’ils ne le devraient. Le second paramètre est la pression qu’a mise le gouvernement pour économiser l’énergie et passer l’hiver sans pénuries. Cela a créé, à mon sens, un effet de solidarité positif et nous a permis d’apprendre collectivement la sobriété par l’expérimentation. Selon moi, l’acception de la sobriété à la française est quelque chose d’unique au niveau international : solidarité, travail d’équipe, réappropriation des enjeux énergétiques. Ces notions permettent aux usagers de reprendre le pouvoir sur leurs consommations. L’enjeu crucial sera la pérennisation de ce mouvement de fond, nous y travaillons.

Dans ce contexte, recevez-vous davantage de candidatures pour participer au concours Cube ?
C. R. – Nous constatons qu’il y a beaucoup d’envie et beaucoup d’intérêt, qui se traduisent par des taux de participation inégalés. Ce contexte de sobriété a donné envie à de nombreuses personnes d’appliquer cette sobriété à différentes échelles et de prouver que la sobriété heureuse existe.

« Il est très important de créer de la confiance et de la visibilité à long terme pour donner envie aux entreprises de s’engouffrer sans risque dans ces nouveaux business. »

L’ensemble des secteurs du bâtiment gagne en valeur ajoutée depuis quelques années, avec des offres de plus en plus performantes, servicielles, durables… Comment faire en sorte que les entreprises du bâtiment suivent ces changements rapides et profonds de leurs métiers ?
C. R. – La transition environnementale est encore et toujours une histoire de personnes. De nombreux dispositifs réglementaires ont été décidés ces dernières années et nous arrivons très rapidement aux premières échéances. La question qui se pose aujourd’hui est : aura-t-on les compétences pour répondre aux objectifs ? Les offres servicielles sont un levier d’optimisation qui permettent de créer des boucles vertueuses. Les métiers vont se transformer en profondeur : certains vont évoluer, d’autres vont être créés et certains risquent de disparaître. Il s’agit d’une transformation sur toute la chaîne de valeur et il me semble qu’une des clés est la planification à horizon 2050. Il est très important de créer de la confiance et de la visibilité à long terme pour donner envie aux entreprises de s’engouffrer sans risque dans ces nouveaux business, de se former, de se transformer.

3e place vainqueur Cube – La poste Immo. © Point TV

Au-delà des sujets de sobriété ou de performance à proprement parler, les questions de la structuration des aides et de l’offre pour les rénovations énergétiques se posent. Quels sont pour vous les principaux leviers pour simplifier et fluidifier la rénovation du parc français ?
C. R. – Je n’ai pas la solution, mais nous y travaillons. Selon moi, il ne s’agit pas exclusivement d’une histoire d’aides, l’enjeu est davantage systémique. Il est important de se demander pourquoi les gens ne passent pas à l’action. Le dispositif MaPrimeRénov’ offre pourtant beaucoup de lisibilité. Aujourd’hui, le plus important est certainement de définir une stratégie d’action, en favorisant la rénovation globale pour les passoires, la rénovation par geste comme stratégie « sans regret » pour les autres bâtiments. L’objectif est d’avoir une stratégie lisible avec des offres marketées pour toucher les cibles prioritaires, bref, connecter l’offre et la demande. Ces enjeux font partie de nos priorités pour les prochaines années.

Quelle est votre appréciation de la performance du parc français selon les typologies de bâtiments ?
C. R. – En vision absolue, la France compte 5 millions de logements avec des étiquettes F et G. Les étiquettes A et B représentent moins de 5 % du parc. Ces dernières années, il y a eu de véritables avancées sur la rénovation. En vision relative, il est important de noter que les consommations liées au logement n’ont pas bougé depuis 1990, alors que le nombre de logements a augmenté de 50 % sur la même période. Pour le tertiaire, on compte également une augmentation de 50 % du parc entre 1990 et 2019, mais avec une augmentation de 30 % des consommations énergétiques. Aujourd’hui, nous raisonnons principalement sur les émissions de CO2 : la gestion des émissions carbone est l’équivalent d’une gestion budgétaire, il faut donc mettre en œuvre les mesures les plus impactantes en priorité.

Comment imaginez-vous le bâtiment de 2050 ?
C. R. – Le premier aspect est la résilience aux changements climatiques, avec des bâtiments qui devront supporter les périodes de sécheresse et de canicule. Le deuxième aspect est la valeur d’usage, qui inclut des enjeux de confort, de santé et de bien-être. Nous sommes de plus en plus exigeants sur les services rendus par mètre carré, avec un objectif de créer des mètres carrés les plus serviciels possibles. Le bâtiment devra également être économe en ressources, avec des consommations au juste nécessaire, qu’il s’agisse des matériaux de construction ou des consommations d’eau et d’énergie. Le sujet du réemploi des matériaux est également central pour réduire l’impact carbone du bâtiment. Il faut intensifier les efforts de recherche sur la démontabilité des matériaux. Enfin, le dernier aspect concerne le vivant, avec la fin de l’artificialisation et l’accès à la nature.

Quels sont les grands chantiers que vous souhaitez mener dans les mois et les années à venir ?
C. R. – Nous avons trois piliers d’action principaux. Le premier est de tendre vers un bas carbone soutenable, désirable et opérationnel. Le deuxième pilier de notre action est de contribuer à massifier toutes les solutions qui fonctionnent. Enfin, nous souhaitons porter nos travaux à l’international pour diffuser les bonnes pratiques au plus grand nombre.

Quelle est votre vision stratégique pour l’Ifpeb à 5 ans ?
C. R. – La transition environnementale amène avec elle des changements très profonds, nous voulons être un accélérateur. L’Ifpeb est un lieu d’apprentissage par l’expérimentation, un creuset où l’offre et la demande se rencontrent pour accélérer la reconfiguration des marchés à l’aune de nos transitions. L’Ifpeb intensifiera par ailleurs ses contributions aux politiques publiques pour conjuguer exemplarité et réalité de marché.

Propos recueillis par Alexandre Arène

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