La performance énergétique et environnementale des bâtiments place aujourd’hui le facility management (FM) au cœur des enjeux immobiliers et fait le lien entre propriétaires, exploitants et occupants pour optimiser la gestion du bâtiment. Le SYPEMI (syndicat des professionnels du Facility management) fédère et organise la profession et met en avant les bonnes pratiques. Isabelle Paz, vice-présidente du syndicat et directrice du département contrats Multisites de Dalkia, et Olivier Ledieu, expert GTB et hypervision, livrent leur regard sur les leviers concrets du FM, du déploiement des BACS à la gestion des données, en passant par l’intégration des occupants et l’évolution des compétences à l’horizon 2030.
Pouvez-vous présenter le SYPEMI, son rôle et ses missions ?
Isabelle Paz – Le SYPEMI est un syndicat professionnel membre de la FEDENE. Il fédère les entreprises de facility management qui interviennent auprès de clients propriétaires ou gestionnaires d’immeubles. Ces patrimoines sont variés puisqu’ils peuvent être commerciaux, industriels, tertiaires ou publics, et les attentes sont elles aussi multiples. Le syndicat se donne pour rôle de représenter la profession, de mettre en valeur ses bonnes pratiques et de promouvoir ses activités aussi bien auprès des clients que des pouvoirs publics. Cela signifie que nous formalisons des préconisations qui peuvent servir aux clients ou aux bureaux d’études qui les conseillent en amont des contrats, au moment de leur rédaction et de leur préparation, pour veiller à la clarté des besoins exprimés, et en aval, pour accompagner leur exécution, leur pilotage et leur contractualisation en proposant des formats de livrables, par exemple. Le SYPEMI est à la fois un lieu d’échange et de structuration de la profession.
Comment est organisé le syndicat pour mener ces missions ?
Isabelle Paz – Le SYPEMI s’appuie sur un bureau restreint qui définit les sujets prioritaires et prépare les axes de travail communs. Un conseil d’administration se réunit chaque trimestre pour valider les orientations. Le président, Éric Lefiot, porte la voix des adhérents auprès des pouvoirs publics et représente la profession sur toutes les questions réglementaires, contractuelles ou stratégiques. Ce mode de fonctionnement garantit à la fois réactivité, grâce au bureau, et représentativité, grâce au conseil d’administration, tout en donnant une cohérence d’ensemble à nos prises de position.
Quels sont les principaux sujets de travail sur lesquels vous vous concentrez aujourd’hui ?
Isabelle Paz – Nous travaillons sur trois grands axes. Le premier concerne l’intelligence artificielle, qui bouleverse déjà notre façon d’analyser les données, de piloter les contrats et de suivre la performance. Le deuxième sujet est la donnée, sa gouvernance et sa sécurité, car l’essor des objets connectés et des systèmes de gestion technique génère des volumes d’informations considérables. Ces données doivent être collectées, partagées et utilisées dans un cadre clair et sécurisé. Enfin, le troisième grand sujet est la responsabilité sociétale et environnementale. Nos clients attendent désormais de nous que nous soyons capables de produire des indicateurs précis, notamment sur les scopes 1, 2 et 3. Cela suppose d’intégrer la RSE dans la préparation des contrats et dans leur exécution, en veillant à la fiabilité des données remontées. Pour accompagner cette évolution, nous élaborons des livrables concrets et des retours d’expérience qui aident les bureaux d’études à rédiger des cahiers des charges adaptés, les donneurs d’ordre à formuler clairement leurs attentes et les prestataires à les exécuter sur des bases communes.
En quoi le facility management peut-il être considéré comme un levier de performance énergétique ?
Isabelle Paz – Le facility management agit sur trois dimensions complémentaires. Il y a d’abord le pilotage, qui passe par des indicateurs de performance et un reporting adapté. Il y a ensuite la réalisation des prestations techniques et de services. Enfin, il y a la conformité réglementaire, notamment avec le décret tertiaire et le décret BACS, qui encadrent désormais le sujet de manière précise.
Dans les contrats que nous signons avec nos clients, il y a forcément des engagements liés à la réduction de l’empreinte carbone, et cela couvre l’ensemble des gestes du quotidien : la maintenance technique, la gestion des déchets, les services aux occupants. Bien pilotées et intégrées dans un reporting structuré, ces actions donnent une meilleure maîtrise. La performance énergétique, c’est aussi l’optimisation des coûts d’exploitation. Les prix de l’énergie pouvant flamber, il est indispensable de réduire les consommations pour maîtriser les budgets.
Mais cela ne peut pas se faire sans les occupants. Il faut concilier leurs besoins de confort avec la réduction des consommations, trouver le juste équilibre et l’anticiper dans les contrats. L’exploitation doit donc tenir compte des données d’occupation. C’est un dialogue constant entre le client, qui connaît son organisation et ses rythmes, et l’exploitant, qui ajuste les paramètres techniques.
À cela s’ajoutent l’intégration des nouvelles technologies, l’usage des objets connectés et, bien sûr, l’intelligence artificielle. Mais encore faut-il des compétences adaptées. Savoir interpréter les données permet d’éviter des interventions inutiles et d’optimiser les ressources. Enfin, la RSE s’exprime aussi à travers la gestion des trajets. Dans les contrats répartis sur l’ensemble du territoire, chaque déplacement inutile génère une empreinte carbone. Les trajets des équipes techniques comme des équipes de services doivent donc être optimisés. Tout cela suppose de faire dialoguer l’ensemble des parties prenantes – occupants, prestataires et donneurs d’ordre – sous le pilotage du facility manager.
Quels sont les leviers concrets que peut actionner un facility manager pour réduire les consommations ?
Isabelle Paz – Le levier principal du facility manager, c’est le contrat de performance énergétique (CPE). Il crée des rituels de communication entre les trois parties prenantes : occupants, exploitants techniques et donneurs d’ordre. C’est dans cet échange que se trouvent les marges de progrès, en conciliant confort, optimisation énergétique et adaptation des services.
Les objets connectés permettent de définir des paliers de service différents selon les typologies de bâtiments. Cela donne de la flexibilité et évite d’intervenir inutilement. Le contrat devient donc le cadre qui permet de travailler au juste besoin. Ce juste besoin évolue au fil du temps, selon l’occupation des bâtiments ou l’activité des donneurs d’ordre. Il faut donc prévoir cette variabilité et l’intégrer dans la relation contractuelle.
Cela passe aussi par l’économie circulaire. Dans notre secteur, une part importante des prestations est sous-traitée, et il est essentiel que les partenaires soient les plus locaux possibles. Prenons l’exemple d’un contrat technique porté par Dalkia : des prestations comme le courant faible ou la détection incendie sont confiées à des sous-traitants certifiés APSAD. Nous leur déléguons ces interventions car elles nécessitent des expertises spécifiques, mais nous veillons à ce que ce soit fait au niveau local pour limiter les impacts.
La sensibilisation des occupants aux écogestes est également fondamentale. Sans leur implication, les économies prévues ne peuvent être atteintes. C’est pourquoi le rôle du facility manager inclut cette dimension pédagogique.
L’évolution des compétences de nos collaborateurs est clé : les équipes de FM doivent développer de nouvelles expertises en matière d’efficacité énergétique, de gestion des données et de technologies avancées.
Pouvez-vous donner un exemple concret d’action dans un immeuble tertiaire ?
Isabelle Paz – Dans un bâtiment tertiaire, le facility manager agit d’abord sur la partie technique, en organisant une maintenance prédictive et préventive qui évite les pannes et les surconsommations. Cela permet de maintenir les équipements alignés sur leurs paramètres, par exemple en veillant à ce qu’ils ne consomment pas plus que nécessaire pour garantir une température donnée. Cela évite que les factures du donneur d’ordre ne s’envolent.
Sur la partie services, il pilote la gestion des déchets et accompagne les occupants dans les écogestes.
Sur le confort, il peut échanger avec les donneurs d’ordre pour connaître précisément les taux d’occupation en temps réel, et adapter la conduite des installations ; il peut organiser des campagnes de sensibilisation, par exemple en invitant les occupants, en hiver, à adapter leur tenue vestimentaire lors de pics de consommation, afin de maintenir la température contractuelle sans gaspillage. L’idée est de rappeler que chaque immeuble doit consommer moins d’énergie et participer à la décarbonation, et que les occupants sont aussi acteurs de cet effort.
Enfin, la GTB est un outil majeur. Elle permet de réguler automatiquement les besoins et d’éviter de chauffer ou de climatiser inutilement. Il faut préciser que réaliser des économies ne veut pas dire baisser le confort. L’objectif est de maintenir les conditions contractuelles et d’éviter les gaspillages. Les économies véritables consistent à éliminer ce qui alourdit inutilement la consommation.
Pour la décarbonation, le facility manager peut proposer la mise en place d’énergies renouvelables, par exemple des panneaux solaires en autoconsommation pour l’eau chaude sanitaire, mais aussi le raccordement à des réseaux de chaleur ou de froid dont l’énergie est majoritairement renouvelable.
Quel regard portez-vous sur le déploiement des BACS ?
Olivier Ledieu – La GTB est aujourd’hui reconnue comme un outil central pour atteindre les objectifs fixés par le décret tertiaire et le décret BACS. Pourtant, seuls environ 15 % des sites tertiaires en sont équipés, alors que l’objectif est d’arriver à 100 % dans cinq ans. Même si le marché progresse (+ 31 % en 2024) le rythme reste insuffisant : à ce rythme, nous n’atteindrons que 21 % en 2030.
Il faut donc une prise de conscience collective, de la part des maîtres d’ouvrage comme des exploitants. Les facility managers, qui sont au centre de la technique et de la gestion, ont un rôle clé à jouer. Mais nous voyons déjà certains de nos clients se retrouver face à un mur, compte tenu de la taille de leur parc et de la complexité des configurations. Le décret BACS fixait une première échéance au 1er janvier 2025 pour les installations de plus de 250 kW. Beaucoup d’acteurs ont découvert trop tardivement l’ampleur de la mission, courant 2024, et les carnets de commandes des intégrateurs de GTB sont désormais pleins pour plusieurs années. Ceci laissant peu de temps à la maturation d’une véritable feuille de route adaptée à chaque type de patrimoine.
Isabelle Paz – Le problème n’est pas seulement dû au manque d’équipements. Dans beaucoup de cas, les systèmes existent mais sont mal exploités, sous-utilisés ou ignorés. Certains propriétaires ne savent même pas qu’une GTB est installée dans leur bâtiment. Dans d’autres cas, elle a été posée uniquement pour valoriser un bien à la revente, sans jamais être réellement utilisée. Lors d’une reprise de site, il arrive que l’exploitant ne dispose ni des accès, ni des mots de passe, ni de la documentation. Résultat : l’outil existe, mais il est inutilisable. C’est pourquoi nous insistons sur la prise en main et sur la transmission des informations dès la conception et lors du changement d’exploitant.
« La clé est le commissioning, qui doit être intégré dès la conception du bâtiment. Si l’on attend la réception pour vérifier la pertinence des systèmes, il est déjà trop tard. » Olivier Ledieu
Comment assurer le bon fonctionnement des BACS dans la durée ?
Olivier Ledieu – La clé est le commissioning, qui doit être intégré dès la conception du bâtiment et des systèmes techniques. Si l’on attend la réception pour vérifier si les fonctionnalités sont en adéquationsystèmes et les , il est déjà trop tard. Le commissioning permet d’associer également l’exploitant en amont et de s’assurer que les équipements installés sont réellement opérationnels. Ensuite, un recommissioning régulier doit être organisé pour adapter les réglages aux évolutions des usages, comme le télétravail ou la variation des taux d’occupation. Sans cela, on risque d’avoir des bâtiments économes mais inconfortables ou, au contraire, des installations pilotées manuellement mais inefficaces. Les objets connectés et les capteurs sans fil élargissent encore les possibilités en multipliant les informations disponibles. Mais ces données doivent être exploitées. Cela suppose de nouvelles compétences et l’émergence de profils spécifiques, comme celui de gestionnaire de données énergétiques, qui devient indispensable pour transformer les flux d’informations en décisions opérationnelles.
Comment le métier de facility manager évolue-t-il face à ces enjeux ?
Isabelle Paz – Le métier se complexifie pour apporter une plus grande valeur ajoutée. Le facility manager doit renforcer ses compétences techniques, notamment sur l’IoT et la donnée, mais aussi sur la gestion de projet, car la rénovation et les travaux deviennent de plus en plus fréquents. Il doit également développer ses « soft skills », en particulier la communication, car il faut savoir embarquer les parties prenantes – clients, bureaux d’études, occupants – qui ne sont pas dans une relation hiérarchique directe.
Le métier se structure donc en plusieurs fonctions distinctes : technique, services, coordination. La difficulté est de garder une voix unifiée vis-à-vis du client. C’est le rôle du pilote de contrat, interlocuteur unique qui synthétise, arbitre et garantit la performance, tout en s’appuyant sur son équipe d’experts.
À l’horizon 2030, comment voyez-vous le facility management ?
Isabelle Paz – D’ici 2030, le facility management sera plus technologique, avec l’intelligence artificielle qui accélérera les analyses et optimisera les décisions. Il sera aussi plus décarboné, car les objectifs climatiques pèseront toujours davantage sur les organisations. Enfin, il sera plus centré sur l’expérience utilisateur, car la performance énergétique et environnementale ne peut être atteinte sans l’adhésion des occupants.
Et quel rôle jouera le SYPEMI dans cette évolution ?
Isabelle Paz – Le SYPEMI poursuivra trois missions essentielles. D’abord, définir des standards et diffuser des bonnes pratiques pour donner un cadre commun à la profession. Ensuite, proposer des formations adaptées aux nouvelles compétences attendues, qu’elles concernent la donnée, les technologies ou la conduite du changement. Enfin, assurer une veille réglementaire et technologique pour accompagner les donneurs d’ordre et représenter la profession auprès des instances concernées. Notre ambition est claire : rester un acteur essentiel de la construction d’environnements de travail durables, performants et adaptés aux enjeux de demain.
Propos recueillis par Alexandre Arène






