Datacenters & IA : aligner ambitions publiques et conditions d’exécution

Joël Vormus, délégué Datacenters et directeur des Affaires Publiques, Gimelec

Il y a six mois, les datacenters occupaient le devant de la scène. Sommet de l’IA, Choose France : la volonté politique était claire ; celle d’accélérer l’implantation de capacités de calcul en France pour répondre aux besoins exponentiels de l’intelligence artificielle.

Par Joël Vormus, délégué Datacenters et directeur des Affaires Publiques, Gimelec

Le projet de loi de simplification devait ainsi contenir une disposition allant dans ce sens, en allégeant certaines contraintes pesant sur les projets de datacenters. Mais un amendement en a vidé la portée : sous couvert de « souveraineté », seuls les grands projets portés par des acteurs européens en seraient bénéficiaires. Autrement dit, quasiment aucun projet. Et pour ajouter à l’incertitude, l’avenir de ce projet de loi reste suspendu à d’éventuels accords politiques dépassant largement le secteur du datacenter. Un exemple frappant de la persistante difficulté française à passer du discours à l’exécution.

Freiner l’implantation locale revient pourtant à entretenir la dépendance que l’on prétend combattre. La dépendance aux infrastructures situées en dehors du territoire européen est bel et bien là. Elle est objectivée par l’augmentation conséquente du dernier bilan environnemental du secteur numérique réalisé par l’ADEME et l’Arcep, qui intègre désormais les datacenters implantés à l’étranger. Cette « délocalisation numérique » se fait notamment aux États-Unis, où le contenu carbone d’un kilowattheure consommé par un datacenter est en moyenne trois à quatre fois plus élevé que celui du kilowattheure français. À besoins de calcul identiques, implanter les datacenters en France réduit mécaniquement l’empreinte carbone du numérique.

L’enjeu dépasse même le numérique. Le système électrique français connaît aujourd’hui une situation paradoxale : une production décarbonée abondante, mais une consommation nationale atone. Au premier semestre 2025, elle restait encore 6 à 7 % en dessous des niveaux précrise sanitaire. Dans ce contexte, la question de la demande devient centrale. Qui pour consommer et ainsi amortir les investissements dans les réseaux et les nouveaux moyens de production décarbonés ? L’hydrogène, longtemps présenté comme le principal débouché, connaît un ralentissement marqué faute de modèle économique robuste. Les datacenters, eux, constituent une solution mobilisable rapidement : ils combinent une demande structurelle, des capacités d’investissement solides et un besoin marché immédiat.

Le TGV de l’IA n’est aujourd’hui pas tant une question d’argent qu’une question de temps. Là où le secteur numérique raisonne en mois, les infrastructures énergétiques évoluent encore à l’échelle des années. Les énergéticiens ont commencé à bouger : EDF et RTE ont lancé des appels à manifestation d’intérêt pour anticiper ces besoins et réfléchir à des raccordements plus agiles. Mais ces efforts n’aboutiront qu’à des gains de temps limités si le cadre réglementaire n’évolue pas lui aussi. Tant que ces contraintes de raccordement ne seront pas allégées, la France restera à contretemps d’un marché mondial qui avance à grande vitesse.

Il est donc urgent que les élus de tout bord reprennent la main sur ce dossier. Laisser perdurer le décalage entre ambitions affichées et conditions d’exécution, c’est condamner le pays à perdre sur tous les tableaux : économique, en manquant des investissements majeurs ; souveraineté, en maintenant la dépendance à des infrastructures situées hors d’Europe ; environnemental, en laissant croître une empreinte carbone supérieure et en ne permettant pas l’électrification, si nécessaire à la transition énergétique. Passer de la parole aux actes suppose d’adapter à la fois la réglementation et le système énergétique au rythme du numérique et de l’IA.

La question est claire : voulons-nous que la souveraineté et la transition numérique s’incarnent dans des projets concrets, ou qu’elles demeurent au stade du symbole ? Le train de l’IA ne sifflera pas deux fois.