Bruno Djiane : de l’ingénierie à la conception lumière

Bruno Djiane
Bruno Djiane, concepteur lumière, Bee Lux

Une licence d’espagnol, une formation en dessin industriel, une carrière de vingt ans en bureau d’études, puis un virage assumé vers la conception lumière. Pour Bruno Djiane, cette trajectoire s’est construite avec cohérence, guidée par un fil conducteur : le dessin, l’espace, et la volonté de donner une intention visuelle aux lieux.

Bruno Djiane, aujourd’hui à la tête de Bee Lux, revendique une approche sensible et contextualisée de la lumière, loin de la simple mise en conformité technique.

Votre parcours est peu ordinaire : comment passe-t-on des études d’espagnol à la conception lumière ?
Bruno Djiane – On pourrait croire que tout cela n’a aucun lien, mais avec le recul, c’est un cheminement logique. J’ai toujours dessiné, mais après le bac, on m’a expliqué que vivre du dessin était impossible. J’ai donc choisi des études d’espagnol, ma seconde passion. Une fois ma licence obtenue, comme je ne souhaitais pas enseigner, j’ai fait un bilan de compétences. Et là, ironie totale : on m’a renvoyé vers… le dessin ! J’ai donc commencé par suivre une formation AutoCad, sans vraiment savoir ce que c’était, juste qu’il s’agissait d’un logiciel de dessin assisté par ordinateur. Mon stage en bureau d’études a été une révélation : j’ai découvert un univers rigoureux, précis, technique. J’ai alors décidé de passer un BTS en conception industrielle. À peine diplômé, j’ai été embauché comme dessinateur-projeteur en électricité, alors que je n’avais aucune base dans ce domaine, j’ai appris sur le tas.

Quel a été votre premier contact avec l’éclairage ?
Bruno Djiane – Le hasard. Une des premières missions que l’on m’a confiées consistait à trier et documenter des catalogues de luminaires. J’ai pris des notes pour les ingénieurs, je me suis intéressé aux optiques, aux flux, aux matériaux, et je suis devenu le spécialiste éclairage. J’ai commencé à faire des calculs Dialux, des plans d’implantation, puis à rédiger les CCTP pour les lots éclairage, cela me passionnait. Au fil des années, j’ai été identifié comme la personne spécialisée en éclairage au sein du bureau d’études. C’est ainsi que je suis devenu l’interlocuteur privilégié des architectes. La technique m’intéressait, mais je sentais qu’il me manquait la dimension créative.

Qu’est-ce qui vous a convaincu de quitter le bureau d’études pour devenir concepteur lumière ?
Bruno Djiane – Après presque vingt ans, je sentais que j’avais fait le tour du métier. J’avais développé des compétences solides, mais je ne voulais plus me limiter à l’aspect normatif ou économico-technique de l’éclairage. Je voulais travailler sur le sens, sur l’ambiance, l’histoire que la lumière raconte. J’ai donc démissionné en 2019. Et quelques semaines plus tard, le Covid est arrivé. Tout s’est figé. Puis, j’ai rencontré Hervé Audibert : son travail m’a fait comprendre que la lumière pouvait devenir un outil de narration architecturale. J’ai aussi contacté l’ACE et j’ai découvert que des concepteurs lumière venaient d’univers très différents : du spectacle, de l’architecture, des arts plastiques. Je me sentais donc moins illégitime à en faire mon métier.

Votre agence Bee Lux naît fin 2021 : comment se passe ce démarrage ?
Bruno Djiane – De manière assez fluide, ce qui m’a surpris. Mon premier projet a été la mise en lumière extérieure d’un hôtel 5 étoiles. À la fin de l’année 2022, j’ai présenté le projet au concours de l’ACEtylène dans la catégorie « jeune concepteur lumière » et j’ai eu le prix ! Ensuite, le bouche-à-oreille a fonctionné, mais je dois souvent expliquer mon métier, même à des acteurs du bâtiment. Beaucoup pensent encore que l’éclairage se limite à choisir des luminaires. Pour faire connaître la profession, j’ai rejoint une association dans ma région regroupant architectes, bureaux d’études, maîtres d’ouvrage, paysagistes… Ces échanges hors pression de chantier sont très utiles pour comprendre comment les compétences se complètent dans un projet.

Vous intervenez sur des projets intérieurs comme extérieurs : votre démarche est-elle différente selon le contexte ?
Bruno Djiane – En éclairage intérieur, je pars toujours du concept architectural, de la matière, de la géométrie, pour intégrer la lumière comme un prolongement du geste de l’architecte. Je privilégie des luminaires discrets, au service de l’espace. L’église Saint-Blaise aux Pennes- Mirabeau, publiée dans le dernier numéro de Lumières en est un bon exemple. En extérieur, je travaille plus volontiers la dimension narrative : variation des intensités, temporalités, températures de couleur. Pour l’église Saint-Blaise, par exemple, j’ai choisi une mise en lumière descendante, du ciel vers l’édifice, contrairement à la logique ascendante habituelle. Le sens symbolique me paraissait plus juste pour un lieu de culte. Sur un autre projet, un hôtel près d’Arles, situé sur une parcelle triangulaire, j’ai repris les couleurs des trois sites de notre région qui forment aussi un triangle : le massif des Alpilles, la plaine de Crau, la Camargue. La lumière devenait une traduction visuelle du concept, pas un simple éclairage de façade. Quand le bâtiment est neuf, je m’appuie sur l’intention de l’architecte ou bien je m’inspire de sa forme : récemment, j’ai conçu l’éclairage d’un bâtiment qui avait une forme de bateau, avec des mosaïques blanches et bleues sur les piliers. J’ai donc imaginé une nappe lumineuse sous le bâtiment et j’ai fait appel à Frédéric Gervais (French Light) qui travaille beaucoup avec le verre, pour représenter des reflets dans l’eau. Mais ce n’est pas toujours aussi simple : on nous appelle souvent tardivement sur les projets, ce qui laisse peu de place à la créativité. Pour moi, le métier de concepteur en lumière doit faire partie intégrante de l’équipe de maîtrise d’œuvre.

Vous évoquez souvent la nécessité d’être intégré très tôt au projet…
Bruno Djiane – Oui, parce qu’une lumière pertinente ne s’ajoute pas, elle se construit avec l’architecture. Beaucoup de maîtres d’ouvrage font appel à un concepteur lumière quand les choix sont déjà figés : il ne nous reste plus qu’à éclairer ce qui existe ; or, la lumière constitue un élément à part entière du projet. Quand je travaille avec l’agence VLEG, de Martigues, ils m’intègrent dès l’appel d’offres. Cela change absolument tout : je peux participer aux premières réflexions, anticiper les contraintes techniques, échanger avec l’équipe. Le projet gagne en cohérence, et souvent aussi en économies, car on évite les ajouts tardifs, les luminaires trop visibles ou mal placés.

Comment faire pour que votre métier soit mieux connu ?
Bruno Djiane –  Je crois que la profession souffre d’un déficit de visibilité, surtout dans le Sud. J’habite une petite ville, et mon bureau se trouve dans une ancienne boutique avec une vitrine où j’affiche mes projets. Beaucoup de passants pensent que je vends des luminaires. Je dois leur expliquer en quoi consiste la conception lumière. Le fait qu’il n’existe pas de diplôme d’État est un vrai frein à la compréhension de notre métier. Or, nous jouons un rôle de maîtrise d’œuvre, avec des obligations et des responsabilités. Je suis persuadé que plus nous montrerons de projets, plus la profession sera comprise. Une lumière répond à un usage, mais aussi à une intention : elle interprète une architecture, accompagne un parcours, révèle un patrimoine, crée une émotion. Elle dialogue avec l’espace.

Propos recueillis par Isabelle Arnaud

Parcours• • •
Bruno Djiane suit tout d’abord un cursus universitaire en espagnol avant de faire une formation AutoCad. Après un stage en bureau d’études, il passe un BTS en conception industrielle et devient dessinateur projeteur, puis ingénieur chargé d’affaires en électricité. Au fil des années, il se spécialise en éclairage qui devient sa passion. En 2020, il démissionne ; quelques semaines plus tard, la France est confinée. En septembre 2021, il fonde son agence de conception lumière BEE LUX. BEE pour « Bien Éclairer l’Espace ». En 2022, il reçoit le prix du jeune concepteur lumière du concours de l’ACEtylène de l’ACE, pour la mise en lumière paysagère d’un hôtel 5 étoiles. Il est membre de l’ACE.