Julien Hans, CSTB : « À partir de 2030, nous ne parviendrons pas à réaliser les gains nécessaires de performance “carbone” sans réapprendre dans nos manières de réhabiliter et de construire. »

Julien Hans, directeur Énergie Environnement du CSTB. © Raphael Dautigny

Le Centre scientifique et technique du bâtiment est un établissement public au service de l’innovation dans le bâtiment. Au cœur des projets structurants pour accélérer la transition environnementale du parc français, le CSTB joue un rôle de recherche et d’expertise, d’évaluation, de certification, d’essai et de diffusion des connaissances. Julien Hans, directeur Énergie Environnement au CSTB, revient sur les principaux enjeux de transition énergétique et de décarbonation du parc et sur les actions prioritaires menées par le CSTB pour atteindre les objectifs.

Quelle est la place du bâtiment dans le contexte actuel de transition énergétique ?
Julien Hans –
Le bâtiment représente un tiers des émissions de gaz à effet de serre en France et dans le monde. La filière est très consommatrice de ressources et d’énergie. Les émissions sont de l’ordre de 150 millions de tonnes en France, dont 100 millions pour le parc existant, et 50 millions pour les produits destinés aux bâtiments neufs ou aux projets de rénovation. En 2030, l’objectif est de passer de 150 millions de tonnes de gaz à effet de serre émis à 100 millions de tonnes. En 2050, la barre est fixée à 16 millions de tonnes. À l’échelle du parc, la priorité est donc d’accélérer la rénovation, en gardant en tête qu’en massifiant la rénovation, nous engageons dans l’opération une quantité importante d’émissions de gaz à effet de serre dans les produits que nous utiliserons. Pour cela, il faut que les produits de construction utilisés soient également dans la trajectoire de décarbonation.

Quels sont les principaux enjeux de transition énergétique et environnementale du parc français ?
J. H. –
La réduction des émissions de gaz à effet de serre est la contrainte principale. Mais ce n’est pas la seule. Il faut également faire face à la problématique des économies de matières premières et de limitation des déchets générés et, donc, apporter plus de circularité aux produits de construction. Les produits doivent pouvoir être de plus en plus réutilisables pour réduire leur impact et nous devons prolonger leur durée de vie. Aujourd’hui, les solutions réemployables sont peu nombreuses, nous travaillons essentiellement le recyclage et la recyclabilité. Il faut à la fois utiliser moins de matières premières vierges et plus de recyclage. De plus en plus de projets émergent, notamment via des recycleries. Nous devons réduire de 50 % les émissions en 2030, ce qui est possible, à condition d’employer des solutions moins carbonées. Il y a 20 ans, la consommation moyenne était de presque 300 kWh/m². Aujourd’hui, nous savons faire presque 10 fois moins. À partir de 2030, nous ne parviendrons pas à réaliser les gains nécessaires de performance « carbone » sans réapprendre dans notre manière de réhabiliter et de construire. Il faudra également adresser des sujets comme l’usage de l’eau ou la biodiversité.

Selon vous, quel est le niveau d’avancement de la France par rapport à ses voisins européens ?
J. H. –
La réglementation environnementale pour le neuf (RE2020) est clairement précurseur, car elle intègre l’analyse de cycle de vie des bâtiments, et donc le poids carbone des matériaux de construction, ainsi que l’adaptation au changement climatique avec un indicateur de confort d’été. Pour ce qui est de la trajectoire de rénovation du parc existant, nous ne faisons pas forcément mieux que nos voisins. Nous constatons que la rénovation du parc est poussive, avec des rénovations par geste, qui ont moins d’efficacité sur la performance énergétique et « carbone » des bâtiments que les rénovations globales. Chaque année, moins de 100 000 logements font l’objet d’une rénovation globale, ce qui représente seulement 0,3 % du parc. Pour ce qui est des consommations énergétiques, les progrès ont été assez radicaux dans les bâtiments neufs, car nous construisons aujourd’hui des bâtiments vraiment économes. L’intégration d’énergies renouvelables a bien sûr toute sa place. Mais attention, il faut que les performances théoriques soient tenues lors de la phase d’exploitation. Par exemple, le programme Profeel, qui se base sur la méthode Sereine, consiste à instrumenter les ouvrages, puis à suivre leur réaction sur un cycle très court de chauffe (24-48h). Cela permet de vérifier la performance intrinsèque à la réception. Cette méthode est déployable opérationnellement sur des maisons individuelles, et nous y travaillons pour les logements collectifs, c’est l’objet du projet Sereine 2. Soyons convaincus que si nous voulons financer la rénovation du parc existant, nous devons nous assurer que les résultats seront au rendez-vous. Pour donner l’exemple de l’Allemagne, un très important effort de financement pour la rénovation énergétique a été déployé, mais les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes faute de vérification de la qualité des travaux.

Quelles sont les cibles prioritaires, selon vous ?
J. H. –
Il n’y a pas de réponse dans l’absolu. Certains outils doivent nous aider à définir et à hiérarchiser les actions à mener. Je pense notamment à la base de données nationale des bâtiments (BDNB), qui recense tous les bâtiments français et fournit des informations sur leurs consommations d’énergie, le risque de surchauffe estival… Le site Go-Rénove « particuliers » recense ainsi les informations sur les logements, Go-Rénove « bailleurs » celles sur les logements sociaux. Cela permet d’identifier les bâtiments les plus simples à rénover et d’agir de manière plus ciblée. Si nous voulons rénover 600 000 logements par an, il faut agir sur les problématiques de main-d’œuvre, de technologies, de disponibilité des matériaux et des technologies adaptées… Il faut également créer des structures spécifiques et des offres plus intégrées, ce qui va prendre du temps, comme le précise le Scénario négaWatt. L’objectif est de cibler en premier lieu les bâtiments les plus simples à rénover et avec les gains les plus importants à la clé. Les maisons individuelles peuvent être une cible prioritaire. Nous avons aujourd’hui un réservoir de plusieurs millions de logements simples à rénover. Pour le tertiaire, nous devons encore attendre les résultats du dispositif Éco-énergie tertiaire et voir si certaines typologies de bâtiments ressortent.

La question de la flexibilité et de la réversibilité des bâtiments a été mise en exergue avec la crise sanitaire. Quelles sont les opportunités, selon vous ?
J. H. –
Il y a deux enjeux distincts. Dans le neuf, il faut penser les choses pour que les bâtiments et leurs espaces soient réutilisables et réemployables, avec, idéalement, la possibilité de démonter des éléments. Concernant le parc existant, il y a aujourd’hui sur un total de 33 millions de logements, environ 2 millions de résidences secondaires et 2 millions de logements inoccupés. En considérant que la construction d’un bâtiment nécessite 700 kg de CO2 par mètre carré, il est impératif d’utiliser les surfaces disponibles. Il faut aujourd’hui construire à meilleur escient et ne pas créer de mètres carrés inutiles. Les espaces mal pensés doivent être revus et, le cas échéant, il peut être intéressant de mutualiser les surfaces différemment. Par exemple, au lieu de construire une nouvelle salle des fêtes, il est possible d’envisager d’utiliser des espaces disponibles comme ceux dédiés à la restauration dans le tertiaire, qui sont inoccupés les week-ends. C’est un exemple, mais il y en a bien d’autres, à commencer par les parkings.

Quels sont les travaux du CSTB allant dans le sens de l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments ?
J. H. –
Notre premier objectif est de bien connaître le parc pour mieux cibler les rénovations, grâce à la base de données nationale des bâtiments qui sert de support aux services Go-Rénove. Notre volonté est d’agir sur l’existant, en sécurisant les performances énergétiques, grâce à une culture du résultat. Il faut pour cela travailler sur l’enveloppe et sur les équipements. Les travaux sur Sereine concourent à cet objectif. Avec le Plan bâtiment durable et le GIE (groupement d’intérêt écologique), nous menons également des travaux communs sur le bâtiment tel que nous le souhaitons à l’horizon 2030. Réussir cette transformation est un défi pour l’ensemble des acteurs. Nous travaillons sur une feuille de route qui sera la boussole des actions à mener, en commençant par les travaux sur le bas carbone. Enfin, sur le sujet du neuf, la RE2020 est venue fixer un cadre de référence. Plus globalement, nous devons faire du bâtiment neuf d’aujourd’hui le prototype du bâtiment de demain, en intégrant de la biodiversité, de la circularité, du bas-carbone et la prise en compte du confort dans toutes ses composantes ?

En la matière, quels sont les principaux projets et travaux du CSTB pour l’année à venir pour accompagner la filière dans cette dynamique de transition énergétique et environnementale ?
J. H. –
La base de données nationale, ainsi que le programme Profeel et en particulier le projet Sereine sont nos priorités. Nous travaillons également sur le projet Renoptim, lui aussi issu du programme Profeel et qui vise à rétablir les moyens pour satisfaire aux exigences du confort d’été. Il s’agit de très importants projets de recherche, structurants pour la filière. Ensuite, nous allons travailler sur la trajectoire carbone pour aller au-delà de la RE2020, en nous intéressant aux quartiers et territoires, notamment au travers de la production locale d’énergie, et l’usage des mètres carrés construits via les nouveaux outils UrbanPrint et PowerDis développé avec Efficacity. Nous étudions également un coefficient de biotope surfacique harmonisé, pour encourager le maintien de la biodiversité en zones urbaines.

Propos recueillis par Alexandre Arène

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