Clément Molizon, Avere-France : « Le président de la République a annoncé un nouvel objectif de 400 000 points de recharge publics pour 2030. »

Clément Molizon, délégué général de l’Avere-France. © Avere-France

La mobilité électrique se développe à un rythme soutenu en France, avec près d’un quart des nouveaux véhicules sur le marché fonctionnant à l’électricité et l’installation de 3 000 points de charge publics par mois sur le territoire. Avec pour mission principale d’accélérer la transition vers la mobilité électrique, l’Avere-France est un pôle d’information, d’échange et d’expertise qui fédère les principaux acteurs du véhicule électrique. Clément Molizon, délégué général de l’Avere-France, revient sur les missions de l’association, fait le point sur le déploiement des véhicules et des bornes et explique les technologies permettant d’intégrer le véhicule électrique au fonctionnement du réseau.

Pouvez-vous revenir sur les missions de l’Avere-France ?
Clément Molizon –
L’Avere-France est une association professionnelle qui représente l’ensemble de l’écosystème de l’électromobilité, dans les domaines industriel, commercial, institutionnel ou associatif. L’association compte 270 adhérents, qu’elle représente au niveau des pouvoirs publics et dont elle défend les intérêts pour favoriser et promouvoir le développement de la mobilité électrique. La particularité de l’Avere-France est d’être, depuis 2016, mandataire du programme de certificats d’économies d’énergie (CEE) Advenir. L’association publie également des guides, des études, des notes de position et des baromètres pour suivre et encourager le déploiement de la mobilité électrique dans tous les territoires.

Quels sont les derniers chiffres sur le développement du parc de véhicules électriques en France ?
C. M. –
Nous approchons aujourd’hui 1,5 million de véhicules électriques en circulation. Chaque mois, entre 1 véhicule sur 4 et 1 véhicule sur 5 mis sur la route est électrifié et nous observons une croissance exponentielle de ce parc roulant. La France a dépassé tous ses objectifs et le secteur est très dynamique. Nous nous positionnons dans le Top 5 européen.

«Avant le Covid, le rythme d’installation des infrastructures de recharge de véhicules électriques était d’environ 4 000 points par an, contre près de 3 000 par mois en 2023.»

Où en est le déploiement des infrastructures de recharge de véhicules électriques (IRVE) en France ?
C. M. –
Du côté des bornes de recharge, la dynamique est également bonne. Nous avons atteint fin août les 108 000 points de recharge sur le territoire. Le plan « Objectif 100 000 bornes » a été atteint en mai. Avant le Covid, le rythme d’installation des infrastructures de recharge de véhicules électriques était d’environ 4 000 points par an, contre près de 3 000 par mois en 2023. Nous sommes donc parvenus à changer de braquet et le déploiement à grande échelle se poursuit à un rythme soutenu.

Quels sont les principaux freins au déploiement ?
C. M. –
Il existe en effet plusieurs freins au déploiement des véhicules électriques (VE). Le premier concerne le coût d’achat, qui est perçu comme étant trop élevé par rapport aux véhicules thermiques. Pourtant, le coût total de possession (TCO), qui englobe l’ensemble des coûts liés au véhicule, carburant compris, de l’achat à la revente, est plus favorable que pour les véhicules thermiques. Rappelons que le prix de l’essence ou du diesel pour faire rouler un véhicule thermique est trois à quatre fois plus élevé que l’électricité nécessaire à la recharge du véhicule électrique. Un autre frein concerne le couple autonomie/recharge. La moyenne d’autonomie des modèles actuels de VE est de l’ordre de 350 à 400 kilomètres. Une large majorité des ménages préféreraient des autonomies avoisinant les 500 à 600 kilomètres. Pourtant, le kilométrage moyen effectué en France est de 30 à 40 kilomètres par jour. Un autre frein est lié à la technologie : certaines personnes n’ont pas confiance dans le véhicule électrique. Enfin, le dernier concerne le bilan carbone du véhicule électrique. Beaucoup d’idées reçues circulent à ce sujet, jugeant les véhicules électriques plus polluants que les véhicules thermiques, ce qui est bien évidemment une contre-vérité absolue. Pour ce qui concerne les infrastructures de recharge, je pense à un certain nombre d’obstacles, notamment la problématique du foncier disponible pour implanter les stations de recharge, mais aussi les coûts d’installation et de raccordement. Pour prendre un exemple concret, sur certaines aires d’autoroute, situées à grande distance de postes électriques, les coûts de raccordement étaient réellement prohibitifs. La gouvernance et le montage des projets avec des interactions entre public et privé sont également des points à améliorer, avec parfois un manque de vision globale harmonisée.

L’objectif de 100 000 bornes a été atteint en mai dernier. Quels sont les nouveaux objectifs à moyen terme ?
C. M. –
Le président de la République a annoncé un nouvel objectif de 400 000 points de recharge publics pour 2030, pour suivre le déploiement exponentiel des ventes de véhicules électriques. Cet objectif est tout à fait atteignable au rythme actuel. Je pense cependant qu’il serait intéressant de revoir les objectifs à mi-parcours, pour déterminer le besoin réel en infrastructures de recharge nouvelles et faire un point sur la rentabilité des opérateurs. En effet, plus le nombre de bornes disponibles sur l’espace public est élevé, plus cela apportera du confort aux usagers de véhicules électriques. Cependant, plus il y a de bornes, plus la rentabilité est complexe pour les opérateurs. Il est important d’atteindre le juste équilibre pour que chacun puisse s’y retrouver.

Pouvez-vous faire un point sur les dispositifs d’aides disponibles pour l’installation de bornes de recharge au sein des bâtiments ?
C. M. –
Il y a aujourd’hui deux dispositifs distincts, à destination des particuliers. Le premier est un crédit d’impôt, plafonné à 300 €, pour l’installation d’une borne de recharge dans la résidence principale, ou dans la résidence secondaire selon certaines conditions. Le second concerne l’intégration d’une borne de recharge dans les immeubles collectifs, financée partiellement par le programme Advenir. Les dispositifs d’aides ont été mis en suspens pour les entreprises, qui en ont largement bénéficié jusqu’à présent. Depuis la création du programme, les trois quarts des subventions avaient financé des flottes d’entreprises ou des parkings ouverts au public. L’objectif aujourd’hui est de rééquilibrer la balance et de flécher les aides vers les acteurs qui en ont le plus besoin : collectivités, copropriétés, etc.

Comment les véhicules électriques vont-ils peser sur le système électrique français ?
C. M. –
Il s’agit d’une question très importante. Nous avons apporté des éléments de réponse rassurants dès 2019. RTE et Enedis, étude après étude, ont confirmé que cela ne constituerait en aucun cas une menace pour la disponibilité de l’électricité, bien au contraire. En effet, les véhicules électriques présentent un fort potentiel pour assurer l’équilibrage du réseau électrique. Le véhicule électrique est vecteur de flexibilité, car il a la capacité d’être chargé au moment le plus opportun, dans la journée lorsque le vent souffle, que le soleil brille ou dans la nuit quand il y a moins de consommations sur le réseau.

Quelles sont les opportunités ?
C. M. –
L’arrivée massive d’énergies renouvelables ces dernières années, intermittentes par nature, apporte des variations importantes sur le réseau, que le véhicule électrique peut partiellement compenser : le stockage dans les batteries des véhicules permet de décaler les consommations dans la journée. Selon le bilan publié le 20 septembre par RTE sur sa vision à 2035, tout comme son étude prospective à horizon 2050, la mobilité électrique est identifiée comme étant une chance pour le réseau. Il faudra cependant travailler précisément sur les aspects liés au pilotage et à la bidirectionnalité des batteries. Dans cette perspective, nous imposons maintenant le pilotage pour l’obtention d’une prime Advenir.

« Nous identifions de vraies synergies entre énergies renouvelables et véhicule électrique. »

Les bornes de recharge de véhicules couplées à des installations photovoltaïques se développent, intégrant parfois du stockage stationnaire. Quels sont les bénéfices de ces installations ?
C. M. –
Nous allons prochainement publier des travaux communs avec Enerplan et le Syndicat des énergies renouvelables (SER). Nous identifions de vraies synergies entre énergies renouvelables et véhicule électrique. Le plus intéressant est d’utiliser l’électricité produite par les sources renouvelables pour charger les véhicules, ou utiliser du stockage stationnaire pour le recharger dans un second temps et décaler les consommations. En cas de bidirectionnalité des batteries, l’énergie des batteries peut également aider à alimenter le réseau ou le bâtiment, pour améliorer sa flexibilité. Des dispositifs incitent à mettre en place ces solutions globales, notamment la taxe incitative relative à l’utilisation des énergies renouvelables dans le transport (TIRUERT). Cette taxe permet aux opérateurs de bornes de recharge publiques d’émettre des certificats pour chaque kilowatt d’énergie renouvelable utilisé dans une recharge. La connexion directe à une unité de production EnR permet de dégager d’autant plus de certificats.

La bidirectionnalité des batteries de véhicules, en cours de développement, représente une opportunité importante pour le système électrique. Comment ces systèmes se développent-ils, et sont-ils fonctionnels actuellement ?
C. M. –
Certains acteurs se positionnent déjà sur ce segment de marché du Vehicle-to-Grid, c’est-à-dire les ponts énergétiques et les services entre le véhicule et le réseau. Sur ces technologies, nous avons dépassé le stade des démonstrateurs, mais nous sommes encore aux balbutiements de ce marché d’avenir. Aujourd’hui, ces solutions reposent sur des standards asiatiques. Un cadre européen est donc à l’étude et devrait être prêt pour 2025, ce qui permettra des déploiements bien plus importants. Les premières cibles de ces technologies sont les entreprises possédant une flotte captive, qui apporteraient davantage de services au réseau. Nous en sommes tout de même au stade de l’évaluation des meilleures études de cas. Le programme européen Incit-EV teste actuellement aux Pays-Bas la bidirectionnalité en voiries pour les véhicules particuliers. La conclusion de ces travaux arrivera fin 2024 et permettra d’identifier toutes les problématiques. Dans tous les cas, le réseau ne peut soustraire qu’un très faible pourcentage de la batterie pour ne pas trop impacter les usagers. C’est à l’échelle que les bénéfices seront intéressants.

La question des compétences et de la qualification se pose pour le déploiement de ces installations. Comment la filière s’est-elle organisée ?
C.
M. – Il y a deux niveaux de réponse à cette question. Le premier concerne la qualification : pour pouvoir installer des IRVE d’une puissance égale ou supérieure à 3,7 kVA, il faut être électricien et avoir obtenu une qualification IRVE, délivrée par un des trois organismes de qualifications certifiés. Il existe trois modules de qualification distincts pour l’installation, la maintenance et les études de conception. Ensuite vient la nécessité d’identifier les besoins des installateurs, car la question de l’emploi et des compétences à long terme se pose, notamment pour remplir les nouveaux objectifs fixés par les pouvoirs publics à l’horizon 2030.

Quels sont les principaux axes de travail pour l’année à venir ?
C. M. – D’abord, nous poursuivons nos travaux prospectifs, après la publication des feuilles de route de décarbonation des transports et consultations à venir sur le projet de loi énergie-climat attendu prochainement. Nous travaillons également sur le maillage des IRVE, avec une nouvelle étude parue le 21 septembre dernier. Ensuite, nous poursuivons nos travaux sur l’emploi, les compétences et les formations nécessaires pour remplir les objectifs de déploiement. Enfin, un autre axe de travail concerne la démocratisation et l’accessibilité de la mobilité électrique, avec une réflexion sur les dispositifs financiers et fiscaux.

L’Avere-France promeut également le développement de la mobilité électrique lourde. Pouvez-vous préciser ?
C. M. – Le développement de la mobilité lourde, qui englobe les bus et les camions notamment, est un axe très important de nos travaux. Nous observons une véritable bascule sur le transport de marchandises, où les constructeurs proposent de plus en plus de solutions électriques, notamment en raison de l’indisponibilité des autres carburants. Notre rôle est donc de monter au créneau pour favoriser les échanges entre les constructeurs, les transporteurs et les chargeurs. Les transporteurs ont été frappés de plein fouet par la hausse des coûts de l’énergie, il faut les accompagner. Aujourd’hui, le parc de véhicules de transport de marchandises électrique est anecdotique, de l’ordre de quelques centaines de camions en circulation. Certains constructeurs de poids lourds estiment qu’en 2030, les véhicules électriques représenteront 30 à 50 % de leurs ventes. La barre est donc très haute. Il faut pour cela déployer des solutions de recharge adaptées, en équipant notamment les dépôts des transporteurs et les quais de chargement de leurs clients. Aujourd’hui, la mobilité électrique pour le transport de marchandises est surtout adaptée pour des trajets inférieurs à 500 km. Il nous faut également identifier le besoin en itinérance pour le transport long-courrier, afin d’apporter les réponses les plus pertinentes. Comme pour le déploiement du véhicule électrique léger, la question de l’impact sur le réseau de l’intégration de véhicules lourds se pose. Un consortium regroupant Enedis, TotalEnergies, Vinci Autoroutes et les principaux constructeurs de poids lourds, a livré ses premiers résultats sur le sujet en septembre. Le groupement a estimé que le réseau a la capacité d’accueillir ces nouveaux usages, même au plus fort de la demande.

« Il faudra un cadre réglementaire stable et des objectifs ambitieux de la part des pouvoirs publics pour développer la mobilité électrique hydrogène. »

Vos travaux se concentrent également sur la mobilité hydrogène. Quels sont les usages les plus pertinents et où en sommes-nous aujourd’hui sur ce sujet ?
C. M. – La mobilité électrique hydrogène sera très pertinente pour les usages intensifs de mobilité, notamment pour les véhicules lourds et le transport long courrier. Nous estimons qu’il y a de véritables applications à venir. La difficulté se situe aujourd’hui au niveau de la concurrence des usages de l’hydrogène, car de nombreux secteurs ont besoin d’hydrogène pour réussir leur décarbonation. Pour le moment, la ressource est encore assez peu disponible pour le transport, mais le développement de la production d’hydrogène devrait s’intensifier dans les années à venir. La mobilité hydrogène rencontre les mêmes problématiques que la mobilité électrique il y a encore quelques années. Il faudra un cadre réglementaire stable et des objectifs ambitieux de la part des pouvoirs publics pour développer la mobilité électrique hydrogène.

Propos recueillis par Alexandre Arène

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